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28/09/11 8:41 AM Vous avez dit exception ? Page 1 of 7 http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=13663 Sylvain Allemand À force d'être utilisée, la formule n'occulte-t-elle pas les dynamiques de changement à l'oeuvre en France comme dans d'autres pays ? L'expression apparaît régulièrement sous la plume d'historiens, de politologues, d'essayistes et d'autres observateurs de l'actualité : la société, la vie politique ou l'économie hexagonale présentent-elles une singularité, une spécificité qu'aussitôt on l'impute à une exception française. Outre une histoire pluriséculaire et mouvementée, le double héritage de la période révolutionnaire et napoléonienne est spontanément invoqué pour justifier l'usage d'une telle expression : le caractère un et indivisible de la République, la prétention de celle-ci à incarner des valeurs universelles attachées aux droits de l'homme. De même que le rôle central que joue l'Etat dans la constitution de l'identité nationale : la France figure parmi les plus anciens Etats-nations et c'est cette ancienneté qui expliquerait sa difficulté ou réticence à se fondre dans les tendances qui travaillent les autres pays. De la France, l'ancien ministre Roger Fauroux peut ainsi écrire qu'elle est « le seul pays d'Europe où l'Etat et la nation ont fait corps à ce point ». Des singularités françaises... D'autres caractéristiques, les unes positives, les autres négatives, sont invoquées pour accréditer ou justifier l'idée d'une exception française. - Sur le plan économique : le poids de l'Etat et son soutien traditionnel apporté aux fleurons de l'industrie (les champions nationaux) au détriment des petites et moyennes entreprises ; le nombre pléthorique de fonctionnaires (plus de 5 millions). - Sur le plan politique : le caractère centralisé et jacobin du pouvoir ; le poids des élites et notamment des énarques (environ 5 000 hauts fonctionnaires français formés à l'Ecole nationale d'administration depuis 1945). - En matière de politique étrangère : le poids de l'héritage gaullien qui inciterait le pays à cultiver une certaine indépendance à l'égard des Etats-Unis et une politique de puissance, fût-elle moyenne, à travers notamment l'entretien d'une force nucléaire. Article de la rubrique « L'exception française : mythe ou réalité ? » Hors-série N° 46 - Septembre-Octobre-Novembre 2004 L'exception française : mythe ou réalité ? Vous avez dit exception ? 28/09/11 8:41 AM Vous avez dit exception ? Page 2 of 7 http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=13663 L'exception culturelle mise en avant par la France lors des négociations du Gatt de 1993 serait l'ultime avatar de cette exception française associée à l'idée de grandeur. Les stéréotypes relatifs aux tempérament et comportement des Français sont également parfois soulignés pour accréditer cette exception : leur esprit cartésien, leur romantisme aussi (l'image du french lover), etc. Une autre manière de justifier l'invocation d'une exception française est de constater a contrario les difficultés rencontrées par la France à s'adapter au contexte de mondialisation mais aussi à une construction européenne synonyme à terme de banalisation. Interrogés sur l'existence d'une telle exception, les chercheurs étrangers ne cachent pas leur scepticisme. « Si vous m'interrogez sur l'exception française, prévient l'un d'entre eux, alors je vous parlerai de l'exception allemande, de l'exception anglaise... » Bref, la France n'aurait pas le monopole de l'exception. De même, elle ne se singulariserait pas autant qu'on le dit. Le fait est que plusieurs caractéristiques évoquées plus haut ne sont pas propres à la France. ... qui ne sont plus toujours d'actualité Par ailleurs, des caractéristiques qui lui sont traditionnellement attribuées ne paraissent plus aussi d'actualité si tant est qu'elles l'ont jamais été. Ainsi du capitalisme à la française qui se révèle être l'un des plus mondialisés. Quant au caractère centralisé de l'Etat, des travaux montrent rétrospectivement qu'il a pu être surévalué. Que pour être tout-puissant, l'Etat n'en a pas moins traditionnellement composé avec les acteurs locaux. Même constat pour les corps intermédiaires. Depuis Alexis de Tocqueville et son célèbre ouvrage L'Ancien Régime et la Révolution (1856), il est admis que ce pays se caractérise par une faiblesse quasi congénitale de ceux-ci. Dans son dernier ouvrage, consacré au modèle politique français (1), Pierre Rosanvallon montre qu'il n'en a rien été. Dès la Révolution, de nouveaux corps ont été créés ; tout au plus a-t- on veillé à ce qu'ils ne servent pas à la défense d'intérêts corporatistes. De manière plus générale, nombre de travaux consacrés à la société, l'économie ou la vie politique françaises attestent de changements profonds (2). A l'évidence, la France d'aujourd'hui ne ressemble plus guère à la France de l'après-guerre. Il n'est pas jusqu'au caractère un et indivisible de la République qui ne soit en passe d'être remis en cause sous le double effet de la décentralisation (voir les projets de loi à vocation territoriale) et des débats autour du caractère multiculturel de la société française. Si exception française il y a, elle serait plus à concevoir comme motif de conversations telles que les Français les prisent. C'est ce que suggère non sans humour l'historien anglais Théodore Zeldin dans une contribution à un ouvrage collectif sur ce thème : « La France, y explique-t-il, est un pays d'exception parce qu'elle ne se lasse pas de se demander en quoi elle est un pays d'exception. (3) » 28/09/11 8:41 AM Vous avez dit exception ? Page 3 of 7 http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=13663 Entretien avec Herrick Chapman Sciences Humaines : Pour le spécialiste de la France que vous êtes, la notion d'exception française a-t-elle un sens ? Herrick Chapman : Je ne pense pas que l'exceptionnalisme soit un concept utile. N'importe quel pays pourrait être décrit comme exceptionnel, comme s'écartant d'un modèle ou d'un autre. Mais cette manière de penser conduit souvent à l'exagération ou au culturalisme. En tant qu'historien américain de la France, j'invite mes compatriotes à ne pas généraliser trop vite à propos des Français car, en réalité, ils ne font que répéter les stéréotypes hérités d'une manière tout anglo-américaine de les appréhender, comme étant précisément ce que les Anglais et Américains ne seraient pas. Or, les Français sont un peuple divers qui évolue au cours du temps. Le défi pour les historiens est de faire des comparaisons rigoureuses, en se gardant de surenchérir dans l'idée que la France ou les Etats-Unis seraient des modèles à part. Mes propres travaux procèdent à partir de comparaisons à la fois internes, afin de déceler des différences au sein de la France (par exemple j'examine en ce moment la manière dont, après 1945, l'autorité étatique a été réimaginée dans les sphères de la politique publique), et externes, avec d'autres pays où les structures de l'Etat et les notions d'individu et de droits ont été élaborées différemment. Je suis particulièrement fasciné par la manière dont la centralisation de l'Etat, la tradition révolutionnaire, l'anticléricalisme, les taux élevés d'immigration et d'autres caractéristiques majeures de l'histoire française continuent à façonner la vie sociale et l'économie de votre pays. Pour autant, je ne pense pas que ces caractéristiques, ni d'ailleurs les sujets de préoccupation habituels des médias américains (les 35 heures, l'affaiblissement de la religion ou la position de la France sur l'Irak), justifient de parler d'exception française. Plutôt que de se demander si une telle exception existe, il conviendrait de se demander pourquoi cette idée de l'exceptionnalisme exerce un tel attrait en France et aux Etats-Unis. Que diriez-vous à ceux qui considèrent que la globalisation ne peut conduire qu'à une banalisation de la société française ? La globalisation est vieille de plusieurs siècles, et la France y a largement contribué. Même à Manhattan, vous ne pouvez pas passer un instant sans rencontrer la France, à travers la nourriture, le cinéma, la mode, les arts, la publicité, etc. Les Français sont souvent à l'avant-garde de la création de produits qui symbolisent la mondialisation, que ce soit dans le domaine médical, aérospatial, l'alimentation ou même les OGM. Aussi, quand des Français s'inquiètent de l'impact de la globalisation, ma première 28/09/11 8:41 AM Vous avez dit exception ? Page 4 of 7 http://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=13663 réaction est de dire que celle-ci ne leur est pas seulement imposée de l'extérieur ; elle a ses origines aussi bien en France. Par exemple, le déclin du petit commerce, symbole de la France « traditionnelle », n'est pas venu de la concurrence des entreprises américaines mais de la grande distribution française. Une seconde réponse consiste à souligner le succès avec lequel les Français s'adaptent à la globalisation. Prenez l'exemple du cinéma ou de l'industrie aérospatiale. Après 1945, les Américains étaient près de l'emporter dans ces deux domaines. Finalement, ces secteurs ont été relancés à l'aide de subventions, mais aussi de l'instauration de quotas et des coproductions internationales dans le cas du cinéma, d'une coopération interétatique dans le domaine aérospatial. Finalement, il peut être utile de garder à l'esprit que la globalisation implique toujours un processus de diffusion internationale et une inventivité nationale. On en a une autre illustration à travers la vitalité de la scène musicale française où la chanson de variété côtoie le hip hop et des musiques du monde revisitées. Bien sûr, il y a de nombreux aspects de la globalisation qui méritent d'être contestés : le creusement des inégalités, la violation des droits des travailleurs, les dommages environnementaux. Mais la menace uploads/Histoire/ allemand-vous-avez-dit-exception.pdf

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  • Publié le Apv 17, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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