FACTA UNIVERSITATIS Series: Linguistics and Literature Vol. 17, No 2, 2019, pp.

FACTA UNIVERSITATIS Series: Linguistics and Literature Vol. 17, No 2, 2019, pp. 287-297 https://doi.org/10.22190/FULL1902287V © 2019 by University of Niš, Serbia | Creative Commons Licence: CC BY-NC-ND Review Paper LA RENAISSANCE ET LE CLASSICISME : PARALLÈLES ENTRE DEUX ÉPOQUES DES LETTRES FRANÇAISES UDC 821.133.1.02 Nermin Vučelj Faculté de philosophie, Université de Niš, Serbie Résumé : La pierre angulaire de la Renaissance française et de l’Âge classique français fait leur enracinement dans l’antiquité gréco-romaine. Si l’humanisme refonde l’héritage antique et le Grand Siècle le reprend, devrait-il y voir une simple continuité entre l’époque de l’humanisme et l’Âge classique ? Parmi les théoriciens, les uns considèrent le classicisme français comme un second humanisme ou nomment la Pléiade la première école du classicisme, voire ils accentuent les parallélismes soulignant les similitudes entre ces deux époques des lettres françaises. Les autres théoriciens signalent la rupture du classicisme avec l’époque précédente et accentuent l’opposition entre la réforme de la Pléiade et la langue ronsardienne de l’imagination débridée, d’une part, et, d’autre part, la doctrine classique et la langue malherbienne annonçant la clarté et le rationalisme du Grand Siècle. Pour susciter de nouvelles considérations à ce sujet, cette recherche revalorise des parallèles entre deux époques et leurs poétiques que les théoriciens ont fait dans l’histoire littéraire, de la fin du XIXe siècle, tout au long du XXe siècle, jusqu’au début du XXIe siècle. Mots-clés : Renaissance, humanisme, classicisme, le XVIe siècle, le XVIIe siècle, antiquité gréco-romaine. 1. REPENSER LA RENAISSANCE FRANÇAISE ET L’ÂGE CLASSIQUE FRANÇAIS Lieu commun de toutes histoire et théorie de la littérature font leurs périodisations des courants poétiques et de la production littéraire selon lesquelles, au nom d’une connaissance raisonnée voire systématisée, on répartit l’ensemble des lettres en époques dont chacune d’elles se lie à un siècle historique. C’est la raison pour laquelle, selon Alain Viala (2014, 183), « nous avons l’habitude de confondre dans une même représentation mentale » une époque littéraire et un siècle de calendrier au détriment de la vérité historique qui est plus Submitted July 2, 2019; Accepted September 17, 2019 Corresponding author: Nermin Vučelj University of Niš, Faculty of Philosophy E-mail: nerminvucelj@gmail.com 288 N. VUČELJ complexe. Le XVIe siècle égale la Renaissance, le classicisme est le meilleur synonyme du XVIIe siècle, le XVIIIe se nomme celui des Lumières. Bien que ces termes d’emblées désignant les siècles littéraires soient arbitraires, les théories et histoires de la littérature ne renoncent guère à cette sorte de généralisation, en risquant ainsi de ne donner qu’un tableau simplifié et partiel sur une période des lettres au lieu d’instaurer un regard approfondi et juste. Toute étude philologique du passé affronte un obstacle difficile à surmonter : on considère une période passée du point de vue de sa propre époque. Toujours est-il que la compréhension d’une ancienne culture est façonnée par notre cadre culturel. Nos interprétations sont un regard à présent sur un esprit d’autrefois ? Suffit-il de juger d’une ancienne période culturelle par nos critères actuels ou faut-il restituer le passé même en saisissant l’esprit de l’époque dans son cadre originel ? 1.1. Question de terminologie Communément, les appellations des périodes particulières viennent bien plus tard – tels que la Renaissance, le baroque, le classicisme – et n’existaient pas dans les époques auxquelles ils ont été attribués a posteriori. Rappelons-nous avec Daniel Ménager qu’au début du XIXe siècle apparaît l’idée que la Renaissance forme une période étant « l’aurore des temps modernes » et « le réveil des études » suscité par la « renaissance de l’antiquité », et qu’on invente le mot humanisme, provenant de l’allemand Humanismus, pour désigner « le mouvement intellectuel associé au réveil des langues et de la littérature anciennes » (Ménager 1968, 33–34).1 C’est l’avènement du romantisme français qui impose le terme de classicisme, obtenu par la substantivation de l’adjectif « classique », auquel on a attribué une connotation négative, celle d’un académisme sclérosé et de la poétique dépassée étouffant l’enthousiasme créateur. Néanmoins, les partisans des valeurs classiques ont approprié le terme de classicisme en tant que notion de suprématie culturelle du Grand Siècle. Alors que les termes humanisme, Renaissance, classicisme avaient été inventés au XIXe siècle, rappelons-nous avec Alain Génetiot que celui de classique avait été bien attesté au XVIIe siècle dont la définition renvoyait « exclusivement aux auteurs de l’Antiquité posés en modèles de perfection littéraire » (Génetiot 2005, 9). Suivons l’étymologie de l’adjectif « classique » avec Michel Delon (Delon 2006, 23) : du latin classici cives, signifiant « les citoyens de la première classe et les plus grosses fortunes de la cité », on vient aux classici testes désignant « les témoins irréprochables, dans un glissement des valeurs sociales aux valeurs morales », pour finir avec autores classici – « comme des écrivains de premier plan », en faisant ainsi le passage de signification des valeurs morales aux valeurs esthétiques. En dehors de la littérature latine, le terme de classique s’applique de même aux bons auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles, ce qui Dumarsais avait déjà noté dans son article paru au troisième tome de l’Encyclopédie de Diderot et de d’Alembert.2 1 Le terme de Renaissance en tant qu’époque et non plus pour désigner un renouveau des lettres et des arts, a été utilisé pour la première fois en 1840 par l’historien Jean-Jacques Ampère, puis par Jules Michelet en 1855. Le terme Humanismus a été utilisé pour la première fois en 1808 par Friedrich Immanuel Niethammer pour désigner les études de l’antiquité gréco-romaine, et ce n’était qu’en 1841 que ce terme commence à signifier l’entreprise humaniste de Quattrocento, l’époque de la première Renaissance en Italie au XVe siècle, et cette notion de la découverte de l’héritage grec et latin et de la renaissance des sciences et des arts sera largement acceptée dès 1859. (Giustiniani 1985, 172). 2 Le cadre n’est plus celui de l’enseignement des collèges, mais de la normalisation linguistique et esthétique, constante Michel Delon concluant que l’article de Dumarsais est « traversé par une tension entre un modèle La Renaissance et le classicisme : parallèles entre deux époques des lettres françaises 289 1.2. Question de méthodologie Étant donné que les notions de Renaissance, humanisme et classicisme avaient été inventés a posteriori, bien après les périodes auxquelles on a donné ces noms, l’enjeu de notre contemporanéité, des critères actuels, de ce « à présent », joue évidemment un rôle primordial dans nos études de l’esprit d’une époque pédagogiquement encadrée par des dates arbitraires. Vu sous cet angle, les questions suivantes s’imposent : nos recherches ne font-elles que simplifier l’image du passé dans le noble dessein de l’éclaircir (le XVIe siècle égale la Renaissance, le XVIIe siècle égale le classicisme) ; nos considérations des époques étudiées restent-elles encrées dans des hypothèses issues de notre temps, au lieu de s’affirmer comme des catégories que les auteurs d’un passé qui est en question approuveraient et que notre postérité confirmerait ? L’objectivité philologique est-elle une illusion vaniteuse ? Ou c’est la relativisation du tout, qu’Alan Sokal et Jean Bricmont (Sokal et Bricmont 1997, 33) nomment « un relativisme cognitif et culturel » envahissant les études humaines du dernier quart du XXe siècle, qui réduit toute étude humaniste, y compris des études littéraires, à des narrations ou constructions partielles parmi d’autres, ce qui est la conséquence du rejet du rationalisme hérité des XVIIe et XVIIIe siècles. Les deux époques des lettres françaises figurant dans le titre de cette recherche contestent par leur principe majeur que les critères de la recherche et de la réception, du jugement et de l’observation critique sont instaurés par la raison, ce qui devrait assurer leur intemporalité. Cette recherche tente de revaloriser des parallèles entre deux périodes des lettres françaises et leurs poétiques – la première époque, celle de l’humanisme redécouvrant l’antiquité qu’elle prend pour le mentor ; la seconde époque, celle du classicisme appliquant les leçons des Anciens dans le contexte français. Leur rapport à l’antiquité fait le point de départ dans cet article. Tout d’abord, une note concernant la terminologie. L’humanisme et la Renaissance sont habituellement pris en synonyme, et dans cette recherche, qui est relative à la Renaissance française ou l’humanisme français, le terme de Renaissance ou d’humanisme est utilisé en visant toujours les lettres françaises. En ce qui concerne la seconde époque, l’appellation Âge classique français, le convenable d’ailleurs, se croise ici avec le terme de classicisme désignant une poétique et sa production littéraire qui marquent une période de la culture nationale, ce qui nous permet d’utiliser tous les deux, l’Âge classique et le classicisme, en synonyme pour le Grand siècle des lettres françaises.3 1.3. La première école classique et la seconde renaissance Le dénominateur commun de deux époques faisant objet de cette recherche est leur enracinement dans l’antiquité gréco-romaine. Si l’on instaure le principe de l’imitation comme le critère de distinction des courants littéraires, en faisant la différence entre deux pistes de l’inspiration poétique, dont la première serait la théorie de l’imitation des ancien et une norme récente », voire « entre deux définitions de ce qui ne se nomme uploads/Histoire/ 5430-35092-1-pb-pdf.pdf

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  • Publié le Jul 22, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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