L'antiquité classique L'épopée grecque Albert Severyns Citer ce document / Cite
L'antiquité classique L'épopée grecque Albert Severyns Citer ce document / Cite this document : Severyns Albert. L'épopée grecque. In: L'antiquité classique, Tome 1, fasc. 1-2, 1932. pp. 313-344; doi : https://doi.org/10.3406/antiq.1932.2954 https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1932_num_1_1_2954 Fichier pdf généré le 18/12/2018 312) L'épopée grecque. par A. Sevebyns. La présente chronique sera consacrée tout entière à l'examen d'un capital que M. Nilsson, le savant professeur de Lund, vient de publier dans la collection des Sather Classical Lectures et dont le titre même la thèse essentielle : L'origine mycénienne de la mythologie grecque (*) . M. Nilsson, spécialisé depuis longtemps dans l'histoire des religions, ne touche à l'épopée que d'une manière accessoire, mais il apporte dans ce problème tant débattu quantité de vues nouvelles dont l'historien de la devra tenir compte à l'avenir. A ce titre, le livre de M. Nilsson mérite une place d'honneur dans une chronique sur l'épopée grecque. Les mythes qu'on se propose d'étudier sont naturellement les anciens, et non ceux dont on peut situer l'éclosion à date historique, non plus que les remaniements récents de mythes plus anciens. Pour les étudier, on a le choix entre plusieurs méthodes. La mythologie comparée de Max Müller n'est plus guère à la mode aujourd'hui: elle avait, entre autres, le défaut de ne pas distinguer religion et mythologie, et elle ne connaissait pas la civilisation mycénienne dont la révélation a bouleversé tant d'idées sur la prime enfance du peuple grec. Par une réaction assez naturelle, savants, surtout anglais, sont revenus à l'évhémérisme, jadis condamné. Ils n'ont eu qu'un tort, celui d'aller trop loin dans cette voie: ils acceptent comme historiques des personnages mythiques et ceux de leurs exploits qui n'ont pas un caractère fabuleux; ils vont même jusqu'à adopter sans les généalogies mythiques et la chronologie mythique. Ils perdent de vue que ces généalogies, cette chronologie sont avant tout une œuvre de systématisation imputable aux poètes cycliques et surtout aux logo- (') Martin P. Nilsson, The Mycenaean origin of GreeTc Mythology, University of California Press, Berkeley, California, 1932. Un vol. cart. in-8° de 258 pages. Prix: 3 dollars 50 (Sather Classical Lectures, vol. VIII). 314 Α· SEVER YNS graphes. Par là, M. Nilsson s'écarte notamment des théories cfe M. Myres, dont j'ai rendu compte ailleurs avec beaucoup de réserves (*). Tout autre est le point de vue de l'école allemande (représentée notamment par Bethe, Wilamowitz), qui se préoccupe de traiter historiquement les mythes. D'après cette école, des éléments mythiques existaient avant les épopées, qui les auraient remaniés, coordonnés et groupés en cycles à l'époque d'Homère et de ses successeurs. En appliquant ce principe, on aboutit à des résultats contradictoires: chaque savant a son système, et l'on ne voit pas pourquoi on choisirait l'un plutôt que l'autre. Chez tous ces savants, on retrouve l'idée chère à K. 0. Müller, le fondateur de l'école : c'est que les mythes ont suivi les tribus grecques dans leurs migrations, et qu'ils se sont mêlés comme les tribus elles-mêmes. Si l'on appliquait cette théorie à des œuvres épiques plus voisines de nous ( les germaniques et les Scandinaves), on aboutirait à des erreurs grossières. Au demeurant, on confond ainsi deux choses différentes: le développement des mythes et le développement de la poésie épique. Rien n'empêche de supposer qu'il a existé des cycles mythiques constitués dans leurs grandes lignes et dont les poètes homériques ont fait librement usage, exactement comme les lyriques et les tragiques ont traité la matière épique. L'analyse littéraire sur laquelle se fondent toutes ces recherches ne peut donner le dernier mot sur le problème homérique. Deux questions se posent, en effet: Jusqu'à quelle époque l'analyse littéraire peut-elle nous faire A quelle époque remontent les plus anciens éléments de la poésie homérique que nous puissions dater avec certitude? L'analyse littéraire découvre l'utilisation par les poètes homériques de poèmes plus anciens; ces poèmes, transmis par voie orale, ne peuvent avoir vécu plus de trois ou quatre générations dans la mémoire des hommes, et ainsi l'analyse littéraire ne peut guère remonter plus haut qu'un siècle avant Homère. L'archéologie fournit d'autres moyens de dater certains éléments qui dans les poèmes homériques; toutes les époques y sont depuis les premiers temps du Mycénien jusqu'à la période du style orientalieant, soit plus d'un demi-millénaire. Il résulte de là que les savants se partagent en deux clans: ceux qui voient en Homère un poète récent, le font descendre jusqu'au VII* siècle et considèrent les éléments anciens comme des survivances; ceux qui font d'Homère un Mycénien et considèrent les éléments récents comme des ou des interpolations. Aucune de ces deux théories ne peut être la vraie. (*) Musée Belge, 1932. Voir aussi mes Anachronismes homériques in: Serta Leodiensia, I. 1930. l'épopée grecque. 315 On a eu tort de limiter la question épique à la seule question homérique; il y a eu des poètes avant Homère, et l'on ne peut écarter ce problème sous prétexte que nous manquons de renseignements sur ces époques reculées. Il est pourtant possible d'avoir certaines clartés même sur ces époques, en étudiant les poèmes épiques par la méthode comparative. Il faudrait une vaste enquête générale sur les épopées chez les différents peuples, et nous attendons avec impatience le prochain livre annoncé dans une note [p. 16], où M. Nilsson compte donner un exposé complet de cette En attendant, je me permettrai de lui signaler les recherches de mon savant collègue, M. Henri Grégoire, sur l'épopée byzantine, qui ont un chapitre nouveau dans l'histoire de la littérature grecque. De cette étude comparative à peine esquissée se dégagent dès à présent principes généraux que les numérisants auraient tort de méconnaître. Il ne faut pas chercher l'origine de l'épopée dans une poésie populaire collective: elle est la création propre à un âge héroïque. Elle naît dans une société aristocratique, voire féodale, elle loue les exploits d'hommes décrit des événements contemporains, sans se défendre d'attribuer à des vivants des traits mythiques et des éléments folkloriques. dans la louange des héros aboutit forcément au surnaturel dans un milieu dont le développement intellectuel n'est pas très poussé. Cette poésie épique n'est pas composée par le peuple en général, mais par certains mieux doués qui vivent en ménestrels, quelquefois même en de cour, dans l'entourage de quelque grand seigneur. Tel est le stade premier, généralement éphémère. Si l'âge héroïque se continue, l'épopée chantera des matières nouvelles qui varient évidemment avec les circonstances. Si l'âge héroïque cesse, l'épopée chantera le passé, avec une tendance à limiter son choix à l'un ou l'autre cycle d'aventures, ce qui n'empêche nullement des créations nouvelles, des additions, des Dans ces conditions, l'épopée peut être plus populaire encore que précédemment, mais en un sens elle est stagnante. Cet état de choses peut être interrompu par un nouvel âge héroïque, marqué par de nouvelles épopées relatives à des hommes et des événements contemporains; si, au contraire, la stagnation continue, l'épopée peut être remplacée par d'autres genres littéraires ou être oubliée au milieu d'une civilisation plus avancée: elle peut aussi émigrer et être adoptée par peuples de moindre culture, mais aimant la poésie, et qui conserveront les chants épiques. Il va de soi que, dans ces conditions essentiellement variables, l'épopée peut subir des changements multiples et variés. L'épopée est une masse flottante enfermée dans certaines limites. L'art de la chanter se transmet dans des familles, voire des écoles de ménestrels. Cette transmission étant orale et la reproduction mot pour mot, il doit pratiquement exister autant de formes de poèmes qu'il y en a 316 A. SEVERYNS de récitations: on n'enseigne point des poèmes tout faits, mais une épique, grâce à laquelle les ménestrels possèdent un langage de mots et de phrases, qui leur permet d'improviser un poème sur n'importe quel sujet. Cette technique traditionnelle explique pourquoi toute épopée est arehaïsante tant pour le fond que pour le vocabulaire, et pourquoi elle mêle l'ancien et le moderne. Ces conditions générales de la naissance et du développement des sont applicables à l'épopée grecque. Si Homère contient des éléments répartis sur une durée de plus d'un demi-millénaire, l'épopée grecque doit remonter jusqu'à l'époque mycénienne. Il faut alors admettre que ceux que nous nommons, faute de mieux, les Mycéniens étaient des Grecs et non point, comme le croit Sir Arthur Evans, des Minoens non- helléniques. Pour ma part, je suis porté à donner raison à M. Nilsson, parce qu'en étudiant de près quelques formules homériques, j'étais arrivé au résultat. J'ai pu constater, en effet, que certains détails de toilette par exemple, qui ne peuvent s'expliquer que comme un souvenir du monde mycénien, se trouvent dans des formules toutes faites; que le digam- ma est respecté à l'intérieur de formules de ce genre, mais l'est plus ailleurs, si bien que je ne suis pas loin de croire qu'Homère lui-même avait des idées assez vagues sur cette lettre-fantôme; j'ai pu constater aussi que certaines épithètes, exactes dans la formule traditionnelle, fausses quand le poète remanie cette formule: ainsi l'épithète τειχιόεσσα, très juste dans la formule traditionnelle, où elle s'applique à Tirynthe, l'est beaucoup moins dans la formule remaniée, où elle s'applique à Gortyne. uploads/Histoire/ albert-severyns-l-epopee-grecque.pdf
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- Publié le Jul 01, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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