Tous droits réservés © Association pour l'Étude des Littératures africaines (AP
Tous droits réservés © Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA), 2018 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 13 mars 2022 10:53 Études littéraires africaines La formation de la pensée décoloniale Adélia da Silva Mathias Henri Lopes, lectures façon façon-là Numéro 45, 2018 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1051620ar DOI : https://doi.org/10.7202/1051620ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA) ISSN 0769-4563 (imprimé) 2270-0374 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Mathias, A. d. S. (2018). La formation de la pensée décoloniale. Études littéraires africaines, (45), 169–173. https://doi.org/10.7202/1051620ar À propos du décolonial La formation de la pensée décoloniale La pensée décoloniale a émergé, depuis environ trente ans, à partir d‟un collectif de pensée qui s‟était formé initialement en Amérique du Sud autour des intellectuels Aníbal Quijano, Enrique Dussel et Walter Mignolo, avant de se consolider institutionnelle- ment surtout aux États-Unis et de se répandre plus récemment jusqu‟en Europe. Au centre de leurs travaux issus de disciplines différentes se trouve la préoccupation commune de réinterpréter la modernité à travers le prisme de la « colonialité » en prenant comme point de départ la colonisation européenne du continent latino-américain. La « colonialité » ou, comme le dirait Mignolo, le côté obscur de la modernité, consisterait ainsi dans l‟histoire d‟op- pression et d‟exploitation comme partie prétendument reniée, mais en tout cas constitutive, d‟un processus historique violent culminant dans le discours hégémonique du progrès perpétuel et de la perfec- tibilité sans fin de l‟homme, promesses d‟une modernité eurocentri- que faussement civilisatrice. C‟est ainsi qu‟au sein du groupe de travail « Modernité / Colonialité », base de départ de la pensée décoloniale, la critique des présupposés eurocentriques, et, plus encore, le rejet de toute configuration du savoir eurocentrique et l‟élaboration de nouveaux concepts critiques constituent le projet le plus urgent. 1492 : la référence historique adoptée par la théorie décoloniale Selon les penseurs décoloniaux, les études culturelles et les étu- des subalternes – telles qu‟elles ont été élaborées en dehors de l‟Amérique latine – adoptent généralement comme jalon historique décisif le XVIIIe siècle, à savoir la période de l‟émergence et de la consolidation de l‟impérialisme britannique. Les chercheurs de la décolonialité, quant à eux, prennent comme référence historique la colonisation et la subalternisation successive de l‟Amérique latine, notamment la fin du XVe et le début du XVIe siècle, et plus précisé- ment 1492. La répercussion la plus importante de ce choix consiste en ce que la modernité ne se présente plus comme un projet né au sein de l‟Europe à partir de la Réforme, des Lumières et de la révolution industrielle, auxquelles le colonialisme serait seulement venu s‟ajouter 1. Pour les décoloniaux, c‟est à partir de l‟arrivée en 1 BERNADINO-COSTA (Joaze), GROSFOGUEL (Ramón), « Decolonialidade e perspectiva negra », Revista Sociedade e estado, vol. 31, n°1, Janeiro-Abril 2016, 170) Amérique, de l‟exploitation systématique de la main-d‟œuvre de personnes autochtones et/ou réduites à l‟état d‟esclaves depuis leur déportation des pays africains que la colonisation et la subalternisa- tion des peuples ont eu lieu. Quijano défend notamment que ce n‟est qu‟à partir de l‟Amé- rique que le capital s‟articule avec les autres formes de contrôle de la main-d‟œuvre et du travail en tant que tel, qu‟il se consolide comme structure complexe capable de se transformer en ce que nous entendons aujourd‟hui par capital, et qu‟il atteint finalement une prédominance au niveau mondial, afin de devenir le centre autour duquel toutes les autres formes de domination entrent en concordance pour les besoins d‟un marché global 2. Reconnaître ce repère alternatif implique aussi une délocalisation de la période historique englobant la modernité, ce qui est important dans la mesure où le capital, la modernité et l‟occidentalisme sont des notions spécifiques qui, en Amérique, commencent à se manifester comme un projet dont les objectifs consistent à structurer et organi- ser socialement les continents et les personnes. À l‟époque contem- poraine, ces notions s‟entrelacent de telle sorte qu‟il est problémati- que de les travailler de façon isolée, ne serait-ce qu‟à des fins didac- tiques, car l‟impact de leur interaction est tel que toute étude plus approfondie se doit de les manipuler ensemble en tenant compte de leur interdépendance. Par ailleurs, l‟intersectionnalité, qui constitue un outil de grande valeur pour analyser cette structure, alors nou- velle, dialogue en ce sens avec la pensée décoloniale sans en faire partie à proprement parler. Pour revenir à l‟importance du repère historique de 1492, son adoption fait apparaître certains problèmes sociaux qui sont profon- dément enracinés dans les sociétés actuelles et qui remontent à la période en question, afin de mettre en évidence l‟idée fausse qui consiste à interpréter les formes de travail esclave, la servitude et le travail salarié comme des formes de travail graduelles qui auraient existé à des périodes historiques successives, comme s‟il y avait eu un processus évolutif vers l‟actuel système-monde 3. L‟Amérique latine du XVe au XIXe siècle constitue la confirmation puissante de ce que l‟esclavage, la servitude et le travail salarié ont existé p. 15-24 ; p. 17 : http://www.scielo.br/scielo.php?pid=S0102-6992201600010 0015&script=sci_arttext&tlng=en. 2 QUIJANO (Aníbal), « A colonialidade do poder : eurocentrismo e América Latina », in : LANDER (Edgardo), ed., A colonialidade do saber. Eurocentrismo e ciências sociais : perspectivas latino-americanas. Buenos Aires : Consejo Latino- americano de Ciencias Sociales (CLACSO), 2005, 278 p. ; p. 117-142 ; p. 117. 3 QUIJANO (A.), « A colonialidade do poder… », art. cit., p. 126. À propos du décolonial (171 simultanément et ont fait partie d‟un processus plus complexe d‟im- position de l‟ordre social 4. La référence historique adoptée est aussi le point de départ pour comprendre deux autres grands apports de la théorie décoloniale : la « race », le racisme et la pensée liminaire. La « race » comme catégorie de division du travail et le racisme comme contrepartie idéologique moderne du maintien de pouvoir Selon Quijano, avant l‟Amérique, l‟idée de « race » au sens moderne n‟existait pas et il souligne le fait que la « race » et l‟iden- tité raciale ont été établies comme instruments de classification sociale 5. Les colonisateurs ont codifié le phénotype des colonisés, les Noirs ont été soumis au régime d‟esclavage et les populations autochtones à la servitude, alors que les Blancs sont devenus employeurs ou salariés, dans la mesure où ils avaient besoin de travailler. À l‟intérieur du nouveau système-monde capitaliste- patriarcal-chrétien-moderne-colonial-européen, la « race » et le racisme sont devenus des principes directeurs d‟accumulation de capital à l‟échelle mondiale et des rapports de pouvoir d‟un système- monde qui différenciait les conquérants et les conquis en fonction d‟une codification phénotypique à partir de l‟idée de « race » 6. En se transformant en premier critère fondamental pour la classi- fication de la population mondiale, la « race » a été imposée comme première caractéristique de la division du travail, elle a structuré des endroits et hiérarchisé les rôles des sujets et des nations modernes 7. Sur la base de la « race » et en recourant à une extrême violence, s‟est formée une structure d‟oppression si puissante qu‟elle reste en vigueur jusqu‟à aujourd‟hui. Des recherches, telles qu‟elles sont réa- lisées par l‟Institut de recherches économiques appliquées (IPEA) 8 au Brésil, démontrent les conséquences de cette organisation en fonction de la catégorie de « race », clairement liée à d‟autres catégories comme la classe sociale et le genre, par exemple. Les recherches de l‟IPEA présentent des données qui montrent que la population noire est celle qui travaille le plus d‟heures par jour, que c‟est elle que l‟on retrouve le plus dans les emplois informels et qui touche le moins pour les services rendus, même lorsqu‟elle exerce les mêmes fonctions que les Blancs et qu‟elle représente aussi la 4 QUIJANO (A.), « A colonialidade do poder… », art. cit., p. 118. 5 QUIJANO (A.), « A colonialidade do poder… », art. cit., p. 117. 6 QUIJANO (A.), « A colonialidade do poder… », art. cit., p. 118. 7 QUIJANO (A.), « A colonialidade do poder… », art. cit., p. 120. 8 « Retrato das desigualdades de gênero e raça », Instituto de Pesquisa Econômica Aplicada (IPEA) (et partenaires) : http://www.ipea.gov.br/retrato/ (consulté le 02.06.2018). 172) partie de la population la plus pauvre du pays, dont une grande par- tie vit dans la misère. Quand les chercheurs décoloniaux affirment que la pensée coloniale est toujours en place, des données comme celles-ci étayent leur approche critique de l‟imaginaire et des prati- ques coloniales en vigueur en Amérique latine, comme le racisme structurel qui empêche l‟accroissement des richesses de la popula- tion noire. Il est extrêmement rare de voir, dans cet espace géogra- phique et uploads/Histoire/ a-propos-du-decolonial.pdf
Documents similaires










-
30
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 04, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
- Taille du fichier 0.5683MB