ABÉLARD PAR CHARLES DE RÉMUSAT. 1845 Spero equidem quod gloriam eorum qui nunc
ABÉLARD PAR CHARLES DE RÉMUSAT. 1845 Spero equidem quod gloriam eorum qui nunc sunt posteritas celebrabit. Jean de SALISBURY, disciple d'Abélard. Metalogicus in prologo. TOME PREMIER PRÉFACE. On se propose dans cet ouvrage de faire connaître la vie, le caractère, les écrits et les opinions d'Abélard, et de recueillir tout ce qu'il est utile de savoir pour marquer sa place dans l'histoire de l'esprit humain. Abélard est moins connu qu'il n'est célèbre, et sa renommée semble romanesque plutôt qu'historique. On sait vaguement qu'il fut un professeur, un philosophe, un théologien, qu'il se fit une grande réputation dans les écoles du moyen âge, et qu'il exerça une puissante influence sur les études et les idées de son temps. Mais dans quel sens dirigea-t-il les esprits, quel était le fond de ses doctrines, quelle la nature de son talent, quels les titres de ses ouvrages, quel rôle joua-t-il dans les lettres et dans l'Église, voilà ce qu'on ignore; et le vulgaire même raconte la fatale histoire de ses amours. C'est par ce souvenir que le nom d'Abélard est resté populaire. Peut-être à la faveur de ce souvenir, le tableau que j'entreprends de tracer inspirera-t-il quelque curiosité. Peut-être souhaitera-t-on de mieux connaître l'homme dont on a si souvent entendu rappeler les aventures, et l'amant servira-t-il à recommander le philosophe. Moi-même, je l'avouerai, ce n'est point par l'histoire que j'ai commencé avec lui. C'est dans le monde de l'imagination que je l'avais cherché d'abord, et l'étude de la philosophie n'a pas donné naissance à cet ouvrage. Le lecteur me permettra-t-il de lui en retracer brièvement l'histoire? ABÉLARD 1 Il y a quelques années qu'en réfléchissant sur un sujet que la réflexion n'épuisera pas, sur ce que devient la nature morale de l'homme dans les temps où l'intelligence prévaut sur tout le reste, je fus conduit à me demander s'il n'y aurait pas moyen de concevoir un ouvrage où la puissance de l'esprit, devenue supérieure à celle du caractère, serait mise en présence des plus fortes réalités du monde social, des épreuves de la destinée, des passions même de l'âme. La lutte de l'esprit tout seul avec la vie tout entière me paraissait intéressante à décrire encore une fois, et je cherchais dans quel temps, sur quelle scène, par quels personnages, il serait bon de la représenter. Pour que cette peinture fût frappante et vive, en effet, il ne me semblait pas qu'elle dût avoir pour cadre un sujet imaginaire. Un héros idéal qui à une époque indéterminée se mesure avec des êtres d'invention, ne saurait offrir un exemple qui saisisse et qui émeuve; si vraisemblable qu'on s'attache à le faire, il paraît toujours hors du vrai, et la situation où on le place est prise pour une combinaison de fantaisie. La pensée morale que j'aspirais à mettre en action, ne pouvait prendre tout son relief et produire tout son effet que sur un fond de réalité. Je rêvais à tout cela, lorsqu'il m'arriva un de ces hasards qui ne manquent guère aux auteurs préoccupés d'une idée. Un jour, mes yeux s'arrêtèrent sur l'affiche d'un théâtre où se lisait le nom que j'écris aujourd'hui au titre de cet ouvrage. Seulement ce nom était suivi d'un autre que la philosophie seule a le triste courage d'en séparer. Soudain, la pensée qui flottait dans mon esprit se fixa, pour ainsi dire; elle s'unit au nom d'Abélard, et prit dès lors une forme distincte: le sujet nécessaire me parut trouvé. Et prenant dans l'histoire les faits et les situations, dans les moeurs et dans les hommes du XIIe siècle, les traits et les couleurs, je composai avec une sorte d'entraînement un ouvrage en forme de roman dramatique, qui, lui aussi, s'appelle Abélard. Quelques personnes pourront se souvenir d'en avoir entendu parler. J'avais écrit sous l'empire d'une sorte de passion pour mon sujet, pour mon idée, mais avec le sentiment d'une indépendance absolue. La science, la foi et l'amour, l'école, le gouvernement et l'Église, j'avais essayé de tout peindre, sans rien écarter, sans rien adoucir, sans rien ménager, ne supposant pas même un moment qu'un si étrange tableau pût jamais passer sous les yeux du public. Mais qui ne connaît les faiblesses paternelles? Quel auteur ne prend confiance dans l'ouvrage dont la composition l'a charmé? J'ai donc un jour songé à livrer aux périls de la publicité ce premier Abélard. Cependant il s'agissait d'une oeuvre qui contient sans doute une pensée sérieuse et morale, mais sous les formes les plus libres de la réalité et de l'imagination, où dans le cadre des moeurs grossières du XIIe siècle, la lutte violente des croyances, des idées et des passions est représentée avec une franchise qui peut paraître excessive, avec un abandon qui peut blesser les esprits sévères. C'est une de ces oeuvres enfin qui n'ont qu'une excuse possible, celle du talent. Je me figurai quelque temps que je pourrais lui en créer une autre; c'est alors que je conçus le projet d'opposer l'histoire au roman, et de racheter le mensonge par la vérité. A des fictions dramatiques, je résolus de joindre un tableau de philosophie et de critique où le raisonnement et l'étude prissent la place de l'imagination. Changeant de but et de travail, je m'occupai alors de mieux connaître l'Abélard de la réalité, d'apprendre sa vie, de pénétrer ses écrits, d'approfondir ses doctrines; et voilà comme s'est fait le livre que je soumets en ce moment au jugement du public. Destiné à servir d'accompagnement et presque de compensation à une tentative hasardeuse, il paraît seul aujourd'hui. Des illusions téméraires sont à demi dissipées; une sage voix que je voudrais écouter toujours, me conseille de renoncer aux fictions passionnées, et de dire tristement adieu à la muse qui les inspire: Abi Quo blandae juvenum te revocant preces. Ce récit servira du moins à témoigner de mes consciencieux efforts pour rendre cet ouvrage moins indigne du sujet. Plus je tenais à expier en quelque sorte une composition d'un genre moins sévère, plus je devais tâcher de donner à celle-ci les mérites qui dépendent de l'étude, de la patience et du travail. Je n'ai rien négligé pour savoir tout le nécessaire, pour ne parler qu'en connaissance de cause, et dans la partie historique j'espère Abélard - Vol I. PRÉFACE. 2 m'être approché de la parfaite exactitude. L'étendue de mes recherches, et plus encore la révision de quelques savants amis m'ont donné confiance dans ma fidélité d'historien. On trouvera donc ici une biographie d'Abélard plus complète qu'aucune autre, aussi complète peut-être que permet de la faire l'état des monuments connus jusqu'à ce jour. Quant à l'intérêt du récit, il me paraît, à moi, très-vif dans les faits mêmes. Qui sait s'il ne se sera pas évanoui sous ma main? Mais tout n'est pas histoire dans cet ouvrage. Après la première partie, qui renferme la vie d'Abélard et qui peut aussi donner une vue générale de son talent et de ses idées, il me restait à faire connaître ses écrits. A l'exception de quelques lettres sur ses malheurs, ils sont tous philosophiques ou théologiques: j'ai donc joint au livre premier, un livre sur la philosophie, un livre sur la théologie d'Abélard. Cette partie de mon travail, pour être la plus neuve, n'était pas la plus attrayante, et j'ignore si ce n'est point une témérité que d'avoir voulu rendre de l'intérêt à la science si longtemps décriée sous le nom désastreux de scolastique. A la fin du dernier siècle, une telle entreprise aurait paru insensée. Le temps même n'est pas loin où le courage m'aurait manqué pour l'accomplir. Mais de nos jours, le tombeau du moyen âge a été rouvert avec encore plus de curiosité que de respect. On s'est plu à y contempler les grands ossements que les années n'avaient pas détruits, à y recueillir les joyaux grossiers ou précieux qui brillaient encore mêlés à de froides poussières. Les monuments où ces reliques languirent oubliées si longtemps, sont devenus l'objet d'une admiration passionnée, comme s'ils étaient retrouvés d'hier, et que la terre les eût jadis enfouis dans son sein. Ne pouvant inventer le neuf, on s'est épris du plaisir de comprendre le vieux. L'enthousiasme du passé est venu colorer la critique, échauffer l'érudition. A juger sévèrement notre époque, on pourrait dire que les faits réels réveillent seuls en elle l'imagination et qu'elle ne retourne à la poésie que par l'histoire. A-t-il été présomptueux d'espérer que le goût d'antiquaire qui s'attache aux moeurs, aux formes, aux édifices des âges gothiques, s'étendrait jusqu'à leurs idées, et qu'on aimerait à connaître la science contemporaine de l'art qu'on admire? Il ne faut rien dissimuler, ce livre est très-sérieux. Nous ne nous sommes point arrêté à la surface. Rassembler en passant quelques traits de la physionomie d'un homme et d'une époque, offrir de rares extraits, piquants par leur singularité, choisis à plaisir dans les débris d'une littérature a demi barbare, aurait suffi peut-être pour donner à quelques pages un intérêt de curiosité. Ce n'était pas assez pour nous. Notre ambition a été de faire connaître, avec les ouvrages d'Abélard, le uploads/Histoire/ abelard-tome-i-by-remusat-charles-de-1797-1875 1 .pdf
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- Publié le Sep 03, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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