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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Comment le régime militaire brésilien a imposé sa doctrine paranoïaque en Amazonie PAR JEAN-MATHIEU ALBERTINI ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 21 JUILLET 2021 Un camion a# be#tail, sur la Transamazonica. © Photo Jean-Mathieu Albertini pour Mediapart L’immense Amazonie et ses habitants ont longtemps été marginalisés et déconsidérés, y compris dans le champ des idées. Une absence de reconnaissance sur laquelle a prospéré une idéologie paranoïaque et destructrice durant la dictature. Une doctrine à laquelle le gouvernement Bolsonaro cherche à redonner une nouvelle vigueur. Premier volet de notre série de grands reportages. Humaitá (Brésil).– «Cette route ne nous apporte que des mauvaises choses. Les travailleurs ont amené avec eux les maladies… Beaucoup de Parintintin sont morts. » Severino Parintintin, cacique de l’aldeia Traira, à deux grosses heures et une traversée de bac de la ville de Humaitá, au sud de l’État d’Amazonas, soupire quand il évoque la BR-320. Cette route, la mythique transamazonienne, passe à environ 6kilomètres de là. Sans aucun préavis, les bulldozers ont débarqué dans les années 1970, et avec eux la variole ou la rougeole… Severino Parintintin, cacique de l'aldeia Traira. © Photo Jean-Mathieu Albertini pour Mediapart La doctrine de la sécurité nationale, développée par les militaires dans le contexte de la guerre froide pour l’ensemble du pays, trouve une résonance particulière dans la région. En 1960, le livre L’Amazonie et la convoitise internationale d’Arthur Reis (futur gouverneur de l’Amazonas pendant la dictature)marque profondément les hauts gradés de l’armée et alimente leurs théories paranoïaques. Persuadés que le Brésil peut perdre cet immense territoire dépeuplé, ils craignent tout spécialement que des États étrangers ne financent la formation de nations autochtones, notamment dans les zones frontalières. Il faut donc « occuper pour ne pas livrer »,comme le résume un slogan de l’époque. « Cette doctrine est la matrice intellectuelle de notre région »,considère Lucio Pinto, journaliste qui a passé les dernières décennies à la couvrir. Une idéologie qui a ouvert la voie à la déforestation chaotique toujours d’actualité, et qui s’est imposée d’autant plus facilement que « le Brésil n’a jamais vraiment produit d’idée ou de grand mythe national sur cette forêt », continue le journaliste. Pendant longtemps, la région est considérée comme un bout du monde, idéal pour exiler les indésirables, tels les participants à la révolte du vaccin de Rio de Janeiro en 1904. L’immensité et la complexité de la forêt dépassent l’entendement. Témoin de la difficulté de faire entrer l’Amazonie dans la culture brésilienne, la frustration d’Euclides da Cunha, monument de la littérature du XIXe siècle, qui après un an d’expédition n’a pas réussi à terminer son chef-d’œuvre sur la région. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 Les auteurs locaux ont eux bien du mal à influencer le reste du Brésil. Les ouvrages de Dalcídio Jurandir, l’un des grands écrivains modernistes d’Amazonie, sont presque introuvables. Plus contemporains, Milton Hatoum ou Márcio Souza sont aujourd’hui parmi les rares auteurs reconnus. Le pays a en fait renié son histoire amazonienne, en commençant par en rejeter l’héritage autochtone. Au- delà de siècles de massacres et d’épidémies, « l’État s’est construit contre les autochtones pendant les XIXe et XXe siècles, cherchant notamment à effacer leurs spécificités pour s’emparer de leurs terres, explique ainsi Davi Avelino, professeur d’histoire à l’UFAM (Université fédérale d’Amazonie). Via les missionnaires d’abord, puis via les militaires, qui ont commencé à exercer une grande influence sur la politique autochtone à partir du début du siècle». L’approche développée par ces derniers, privilégiant l’intégration comme force de travail plutôt que l’extermination, n’empêche pas de nombreux abus et violences. Mais avec le coup d’État et, surtout, l’arrivée au pouvoir du général Médici fin 1969, c’est une nouvelle période dramatique qui s’ouvre pour les autochtones, considérés dès lors comme des obstacles à la sécurité nationale. Même ce calvaire subi pendant la dictature a longtemps été occulté par l’histoire officielle. « Les militaires n’ont jamais reconnu leur rôle, malgré les preuves et les témoignages »,constate Davi Avelino. Au moins 8 350 autochtones ont été tués par l’action directe ou l’omission du régime, selon les chiffres divulgués en 2014 par la commission nationale de la vérité. Les identités et les idées de ces peuples sacrifiés, dont la tradition est le plus souvent orale, sont marginalisées ou disparaissent. « On a des difficultés à faire revivre notre culture qui est presque en voie d’extinction »,se désole ainsi Edson Diarroi. De son côté, le cacique Severino Parintintin explique que la BR-320 a sérieusement malmené « la cohésion et l’organisation de notre société. Or la culture est essentielle pour défendre notre territoire. » S’ils s’organisent aujourd’hui pour les revitaliser, les brèches attirent les profiteurs. De nouveaux missionnaires intensifient leurs activités, notamment depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, tandis que les trafiquants de bois ou les orpailleurs alternent menaces et propositions de partenariat. Cette pression constante nourrit les divisions internes. Severino ne le reconnaît pas mais, selon un autre Parintintin interrogé, leur peuple est maintenant divisé, car certains vendent du bois issu du territoire. Sur le bord de la route,des empilements de troncs modestes sont entreposés avec leurs prix dessinés à la craie. Ce ne sont ici que des bois de clôture, mais chez les Tenharim voisins, les trafiquants de bois travaillent main dans la main avec plusieurs d’entre eux pour exploiter les essences les plus nobles. Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit. Au-delà des autochtones, le Brésil a délaissé l’Amazonie. Durant la période coloniale et jusqu’au début de la république, elle s’est plutôt tournée vers l’Europe. Quand ces liens se rompent avec la fin du boom du caoutchouc (1879-1912), ce territoire en crise se tourne vers la capitale, qui ne fait pas d’effort pour intégrer cette région peu intéressante électoralement, car pauvre et faiblement peuplée. Quant au développement promis par le régime militaire, il ne s’est jamais vraiment produit. L’Amazonie reste défavorisée, malgré les nombreuses richesses déjà extraites, tandis que le peuplement chaotique a engendré des conflits pour la terre. « Il y a une incapacité à comprendre les spécificités de la région. Cette idéologie a survécu à la dictature alors qu’elle renferme l’Amazonie sur elle même et l’empêche de se développer, assure Flavio Pinto. Et la démocratie brésilienne n’a pas non plus compris ce territoire. » Les grands investissements entraînent toujours un développement chaotique ainsi qu’une explosion des problèmes sociaux et environnementaux, comme récemment dans la ville d’Altamira avec la construction du barrage de Belo Monte. Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 Le gouvernement actuel, avec plus de 6 000 militaires dans ses rangs et avec à sa tête un admirateur de la dictature, semble vouloir redonner une nouvelle jeunesse à cette doctrine. En 2019, le site The Intercept révèle les enregistrements d’une réunion de gradés organisant le « projet Rio Branco », un grand plan d’infrastructures pour avancer sur les régions les plus préservées d’Amazonie. Là encore, les justifications mélangent promesses de développement économique, paranoïa et raisons stratégiques. Les critiques récurrentes de Jair Bolsonaro contre les autochtones ou contre les ONG sont également un héritage de cette doctrine, et trouvent un fort écho dans la région, où une partie de la population ne voit d’opportunité que dans une économie de la destruction. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani. Actionnaires directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie- Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des Amis de Mediapart, Société des salariés de Mediapart. 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  • Publié le Jan 20, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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