Paul LAGRANGE L’HISTOIRE D’ABRAHAM NDAA 2007-2008 159 ABRAHAM DANS L’HISTOIRE A

Paul LAGRANGE L’HISTOIRE D’ABRAHAM NDAA 2007-2008 159 ABRAHAM DANS L’HISTOIRE Abraham à l’origine de l’histoire d’Israël Les onze premiers chapitres de la Genèse qui comprennent les récits de la création du monde, du conflit entre Caïn et Abel, du déluge et de la tour de Babel, ne font pas partie de l’histoire (au sens que donnent à ce mot les historiens) mais sont une réflexion sur l’origine du monde et des hommes. En revanche, quand Abraham entre en scène, il nous semble que les récits ont un caractère différent, que nous n’avons plus affaire à des personnages mythiques ou symboliques mais à des hommes qui ont réellement vécu, autrement dit que l’Histoire commence. Ce sentiment de vérité historique est renforcé par les indications que la Bible fournit pour dater la période où vécut Abraham. Le livre des Rois (I Rois 6,1) dit que Salomon commença la construction du Temple la quatrième année de son règne, soit vers 968 avant J.C. selon notre manière de compter, et le même verset précise : la quatre cent quatre-vingtième année après la sortie des fils d’Israël hors d’Egypte. Selon ce verset, la sortie d’Egypte aurait donc eu vers 968+480 = 1 448 av. J.C. Le livre de l’Exode dit par ailleurs (Ex. 12,40) que la durée du séjour des fils d’Israël en Egypte fut de quatre cent trente ans. Si on ajoute à ces 430 ans le temps de vie des patriarches en Canaan avant qu’ils ne descendent en Egypte, on peut estimer que le départ d’Abraham pour Canaan a eu lieu entre 2000 et 1800. Tous les éléments de cette datation sont évidemment approximatifs ; selon les commentaires de la TOB 1975 sur le verset du livre des Rois cité plus haut : ’’Cette date (celle de la sortie d’Egypte) est le résultat d’un calcul savant et tardif qui fait intervenir le nombre de grand-prêtres en fonction de Aaron à Sadoc en le multipliant par 40, durée traditionnelle d’une génération’’ ; la durée du séjour en Egypte est évidemment une estimation et la longévité des Patriarches n’est pas une donnée attestée par des registres d’état-civil. Cependant les spécialistes s’intéressant aux origines d’Israël, exégètes, historiens et archéologues ont longtemps admis que la Bible donnait une datation vraisemblable de l’époque où vécut Abraham. Ils estimaient que le départ du patriarche et de son clan de la Haute Mésopotamie vers Canaan avait bien eu lieu entre 2000 et 1800 avant J.C. Les annexes chronologiques de nos Bibles gardent la trace de ces datations ; ainsi, dans ses tableaux chronologiques la TOB (1975) donne le titre de ‘’Époque patriarcale’’ à une période allant de 2 200 à 1 550 dans laquelle elle précise : vers 1 800 première arrivée des clans patriarcaux en Canaan ; de son côté, la BJ indique : vers 1 850, migration d’Abraham de Mésopotamie vers le pays de Canaan. Abraham est un araméen qui est parti de sa terre à l’appel de Dieu et a reçu la promesse que, en réponse à sa foi, il aurait une descendance nombreuse qui hériterait de la terre de Canaan, la Terre Promise. Le fils d’Abraham et Sara, Isaac, a bénéficié de cette promesse, l’un des fils d’Isaac, Jacob-Israël, en a hérité à son tour puis les douze fils de ce dernier, qui sont à l’origine des douze tribus d’Israël, ont eu pour descendance un peuple nombreux. Paul LAGRANGE L’HISTOIRE D’ABRAHAM NDAA 2007-2008 160 Absence de traces des patriarches dans l’histoire Les sciences qui s’intéressent au passé n’ont pas trouvé de confirmation de l’existence des patriarches. Et c’est normal, car si l’histoire est commencée depuis plusieurs siècles en ce début du deuxième millénaire, ceux dont on a gardé des traces sont des souverains, bâtisseurs de villes, conquérants ou législateurs qui ont laissé des traces de leurs exploits ou gravé leurs décrets dans la pierre et les tablettes des archives. Les patriarches, bergers itinérants, n’apparaissent pas dans les documents de leur temps : aucune tablette, aucun monument ne parle d’eux. Ils n’ont pas laissé d’écrit car, selon tout vraisemblance, ils n’écrivaient pas. Les piquets de leurs tentes n’ont pas marqué durablement le sol et ils n’ont construit que des tombes ou des autels, comme Abraham à Sichem (12,7) ou à Béthel (12,8), que les archéologues n’ont pas identifiés. On aurait pu espérer que Joseph dont la Bible dit qu’il occupa la fonction de grand vizir ou vice-roi en Egypte aurait, lui, laissé une trace dans les archives égyptiennes mais son nom n’a pas été retrouvé dans les listes de fonctionnaires des Pharaons. L’archéologie "biblique" semblait confirmer la Bible A défaut de trouver des traces des personnages dont parle l’Ecriture, les chercheurs ont pensé que la Genèse peignait un tableau exact de la période pendant laquelle ont vécu les patriarches, la première moitié du 2e millénaire avant J.C. (de 2 000 à 1 500). Si on pouvait prouver que l’histoire biblique patriarcale reflétait la culture de cette époque là (et d’aucune autre pour que la démonstration fasse preuve) dans la région, on démontrait que l’histoire des patriarches s’était bien déroulée à l’époque indiquée par l’Ecriture, que les récits les concernant étaient insérés dans l’histoire, qu’il était possible et vraisemblable que les patriarches aient été à l’origine du peuple élu. Dans leur effort pour monter que la Genèse décrivait l’époque des patriarches, les spécialistes se sont, par exemple, intéressés à l’histoire de la mère stérile qui met sa servante dans le lit de son mari pour avoir un enfant, comme Sara le fait en donnant Hagar à Abraham (Gn 16) et comme le feront ensuite Léa et Rachel, les deux épouses de Jacob, qui ont connu des périodes de stérilité et ont donné chacune leur servante, Bilha et Zilpa, à leur mari (Gn 29-30). On ne trouve pas dans la Bible d’autres mentions de cette coutume. En revanche on trouve dans des documents mésopotamiens de la période 2000-1500 des contrats similaires. Les spécialistes cherchant à prouver que les récits de la Genèse sur les Pères étaient ancrés dans la culture de cette époque, y ont vu une confirmation de l’ancienneté des patriarches. Les savants attachés à démonter que la Bible dit la vérité historique ont réuni tout un faisceau d’indices pour étayer leur thèse. Ils ont ainsi relié les déplacements d’Abraham à des migrations de population (les Amorites) qui auraient eu lieu de Mésopotamie vers Canaan à cette époque. Ils se sont appuyé sur le fait que la ville d’Our, lieu de naissance d’Abraham, a été une grande cité sumérienne au 3e et 2e millénaire, que Our et Harrân (la ville où la famille du patriarche est restée après son départ vers Canaan), ont fait l’objet de fouilles où certains des premiers noyaux de la civilisation ont été découverts. Les fouilles ont montré que Harrân (la ville où se trouvait Abram quand il a entendu l’appel de Dieu) a été un centre caravanier important et que, au début du 2e millénaire, d’importantes caravanes d’ânes venant de Damas et Harrân sont descendues à travers la Palestine en direction du Sinaï. W. F. Albright (1891-1971), Paul LAGRANGE L’HISTOIRE D’ABRAHAM NDAA 2007-2008 161 un archéologue américain célèbre en son temps, soutenait qu’il fallait ‘’reconnaître dans la vénérable figure d’Abram l’hébreu un chef de caravane de haute réputation. Il est représentatif des caravaniers d’ânes du 19e siècle av. J.C., quand cette profession était au zénith.’’ Albright écrivait encore : ‘’Abraham, Isaac et Jacob ne semblent plus des figures isolées, encore moins des reflets de l’histoire hébraïque ultérieure ; ils apparaissent à présent comme de vrais enfants de leur temps, portant les mêmes noms, se déplaçant sur le même territoire, visitant les mêmes villes (notamment Harrân et Nahor), soumis aux mêmes coutumes que leurs contemporains. Autrement dit, les récits des patriarches ont de bout en bout un fond historique.’’ La remise en cause d’une époque des patriarches Les recherches des historiens et des archéologues pour montrer l’accord entre les textes bibliques et les découvertes de leur discipline ont d’abord semblé couronnées de succès mais elles étaient faussées dans leur fondement même par la volonté de prouver que la Bible avait raison. C’était l’époque où un livre intitulé « La Bible dit vrai1 » connut un succès mondial. On employait alors couramment l’expression archéologie biblique c'est-à-dire que les fouilles en Palestine avaient pour but de prouver que les récits et les datations de la Bible étaient vraies. Quant on y réfléchit les mots ‘’archéologie biblique’’ devraient nous choquer autant que, par exemple, la ‘’génétique soviétique’’ de Lyssenko qui a ramené la génétique et l’agriculture russes des décennies en arrière. Une science, archéologie ou génétique, ne peut avoir des buts idéologiques. Les spécialistes étaient dangereusement aiguillonnés car toute découverte qui semblait étayer la Bible avait un immense retentissement. Des tablettes sortaient de terre et on s’empressait d’établir des correspondances entre elles et les récits bibliques. Des découvertes majeures en Egypte ou en Inde n’avaient d’écho que dans le cercle des initiés mais une minuscule trouvaille sur la Bible valait des articles importants dans les grands journaux uploads/Histoire/ abraham-15.pdf

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  • Publié le Dec 01, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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