1 CULTURE et MANAGEMENT en ALGERIE HYPOTHESES SOCIO-HISTORIQUES SUR LES DIFFICU
1 CULTURE et MANAGEMENT en ALGERIE HYPOTHESES SOCIO-HISTORIQUES SUR LES DIFFICULTÉS DE GESTION DES MANAGERS FRANÇAIS Sixtine de Naurois - Nadine Verschelden Je suis Amazigh mais pas berbère, Algérien mais pas seulement Kabyle. L’arabité m’appartient mais je ne lui appartiens pas » Abderrahmanne Hadj- Nacer Ancien Gouverneur de la Banque Centrale d’Algérie. Introduction L’Algérie depuis sa colonisation entretient de fortes relations économiques avec l’Hexagone, même si la France est passée récemment au 2e rang des partenaires commerciaux après l’Espagne. Soixante ans après l’Indépendance, comment les deux pays coopèrent-ils? Comment comprendre et gérer, plus précisément, les rapports professionnels entre Algériens et Français ? D’une ancienne étude réalisée en 20151, nous reprenons ici quelques aspects particulièrement envisagés sur l’angle de l’Histoire dans le temps long, avec le souci d’un marquage des événements renvoyant à l’évolution des mentalités collectives. Nous centrerons notre article sur les rapports franco-algériens dans le monde du travail. Pouvons- nous penser qu’un questionnement sur la nature et le problème des origines des heurts trans- historiques entre des acteurs mus par des cultures nationales différentes et des intérêts particuliers parfois divergents, serait à même d’offrir une réflexion nouvelle, puis des outils utiles aux managers et aux formateurs en interculturel? Contrairement aux idées reçues le contexte historique douloureux ne se cantonne pas aux 132 ans de colonisation. Son étendue temporelle qui traverse la période marquée par le joug Ottoman contribue à cristalliser encore aujourd’hui, les rapports de domination et de pouvoir entre la France et l’Algérie (Sauquet, 2007). La réalité algérienne envisagée comme « univers de sens », selon d’Iribarne (1989) ou comme « fond culturel commun », selon Mutabazi (2007), semble être encore négligée par les collaborateurs français travaillant sur place. En dépit de tous les risques humains et économiques, en dépit des recherches menées en Algérie sur les variables que sont la culture, la sphère du management et les rapports de pouvoir entre Algériens et Français (Guerid, 2007; Henni, 1993; Ouabdesselam, 2009; Rebah, 2006), il semble que 1 Dans le cadre du Master Management Interculturel de Dauphine, nous avons réalisé en 2015, avec Marina David et Chaher Mohamed Saïd Omar, une étude intitulée « Culture et Mangement en Algérie, quel accompagnement proposer aux managers Français - Concilier l’universel et le particulier ». 2 l’accompagnement interculturel des équipes soit encore insuffisamment pratiqué et qu’émerge encore régulièrement la question des discontinuités culturelles et historiques. Nous verrons dans cette étude que le sujet des rapports historiques entre les deux pays est évoqué, parfois répété, peut tourner à l’invective, est en tous cas suffisamment utilisé pour mériter d’être étudié par les protagonistes comme par les sociologues. Il faut en tenir compte pour aborder les transformations indispensables du développement capitaliste de l’Algérie aujourd’hui après la période influencée par l’Union Soviétique, les problèmes d’une société en métamorphose, et ainsi, accepter d’aller de l’avant en se confrontant à de vieux secrets de famille, occultés par le divorce des deux parents, dont les enfants répèteraient encore un langage trop brouillé par l’émotion. 1. Méthodologie de l’enquête Notre enquête a porté sur l’expérience de managers français en Algérie, et de managers algériens ou franco–algériens sur place. Nous avons voulu sélectionner des hommes et des femmes, qui sont, ou ont été, en charge d’équipes en Algérie du côté des Français, ainsi que des managers algériens en relation avec des expatriés français. Afin d’avoir une vision managériale la plus large possible nous nous sommes dirigés vers la filière pétrochimique et gazière en premier lieu, étant donné que le domaine des hydrocarbures représente 80% du marché algérien. C’est à posteriori que nous avons cherché à creuser les dimensions historiques, qui bien qu’évidentes à priori, ont livré une moisson plus riche qu’imaginée au départ. Des entretiens semi-directifs2 se sont déroulés en France entre septembre 2014 et début janvier 2015. Ils ont duré de 1h à 2h30 et ont tous été réalisés en français (sauf un en anglais). Nos enquêtés étaient Français, Algériens, Franco-algériens, et Britannique. Tous étaient issus du monde du travail dans les secteurs des entreprises d’État algérien (gaz) ou bien issus d’entreprises étrangères investies en Algérie : Grande-Bretagne, France (CAC 40), USA, Chine, Inde, et recouvrant des secteurs variés : Informatique, Publicité, Conseil, Recrutement, Banque. Nous avons organisé le verbatim en tableaux correspondant à des grands thèmes identifiés parmi lesquels l’Histoire, mal comprise, mal assimilée, stéréotypée, semble être parfois un chemin de traverse souterrain. Parmi tous les aspects qui ont retenu notre attention au cours de cette enquête, nous ne parlerons ici que des questions que soulèvent les récits récurrents des difficultés relationnelles. Les interlocuteurs des sites gaziers semblent se diviser en deux camps qui se défient au tournoi : la France responsable des drames, et des managers rendus responsables d’événements survenus avant leur naissance. Ainsi à chaque occasion de conflit, voire de frottement, est rapporté le reproche adressé à l’expatrié : « colon abusif ». (« Rapport colon/indigène, absence de distanciation par rapport à l’Histoire, fierté mise en avant à chaque remarque », (Enquêté Christophe L., Agence de Publicité)). C’est une part d’Histoire qui est alors récupérée. Elle est portée par les anciens rêves déchus d’une société opulente et par un discours binaire (Aktouf, 1986; El Kenz, 1987). La seule nuance à distinguer relève des secteurs. Le secteur bancaire notamment ne présente aucun problème relationnel particulier de ce type, nous le verrons. A partir de là nous avons tenté de décrypter ce qui dans ce recours au passé, pourrait offrir des clés de compréhension pour les managers et les formateurs Nous ne retiendrons dans cet article que la partie historique de notre étude qui par ailleurs soulève d’autres dimensions dans les relations que les managers peuvent entretenir avec les autres acteurs telles que la question de l’ethnocentrisme de 2 QUIVY, R., VAN CAMPENHOUDT, L., Manuel de recherche en sciences sociales, P 195, 1988. « L’entretien semi-directif, ou semi-dirigé, est certainement le plus utilisé en recherche sociale. Il est semi- directif en ce sens qu’il n’est ni entièrement ouvert, ni canalisé par un grand nombre de questions précises. Généralement, le chercheur dispose d’une série de questions-guides, relativement ouvertes, à propos desquelles il est impératif qu’il reçoive une information de la part de l’interviewé. Mais il ne posera pas forcément toutes les questions dans l’ordre où il les a notées et sous la formulation prévue. Autant que possible, il « laissera venir » l’interviewé afin que celui-ci puisse parler ouvertement, dans les mots qu’il souhaite et dans l’ordre qui lui convient. Le chercheur s’efforcera simplement de recentrer l’entretien sur les objectifs chaque fois qu’il s’en écarte et de poser les questions auxquelles l’interviewé ne vient pas par lui-même, au moment le plus approprié et de manière aussi naturelle que possible. » 3 part et d’autre des groupes, les décalages de perception relatifs aux croyances et aux biais cognitifs. Une autre problématique abordée est la conscience que les groupes ont ou n’ont pas de leur relation aux autres et dans quelles conditions, ainsi que celle liée à la conscience collective de soi et des loyautés établies. Comment à partir de cette enquête, envisager ce qui est à l’œuvre dans les représentations mentales qui se font face ? Quelle est la part de la connaissance historique, de ce qui est transmis dans l’imaginaire des populations, de ce « construit » issu de la part psychique et des traumatismes à géométrie variable selon les secteurs d’activités ? Peut-on envisager une archéologie des strates trans-générationnelles qui permettrait d’éclairer les visions du monde et dont la nature serait propre à influencer ces regards croisés entre managers expatriés et employés locaux ? 2. Management, Histoire et rapports de pouvoir L’idée de positionner la réflexion historique sur de longues périodes comme une clé de compréhension managériale est-elle pertinente ? Cela aurait-il un sens dans certaines régions du monde dont on supposerait, a priori, que la tradition historique soit issue de l’école historique française et ait donc imprégné les esprits ? Mais une certaine manière de raisonner issue des Lumières ne fait-elle pas partie aussi dorénavant, du patrimoine intellectuel algérien et rappelons- nous de plus que l’Algérie a une très ancienne tradition historique écrite. Au XIVème siècle, Ibn Khaldoun (1332-1406) élabore une œuvre étonnante de modernité, la Muqaddima (« Les Prolégomènes ») où il tente de placer l’Histoire au centre d’une organisation du savoir qui embrasse un grand nombre de réalités pour mettre l’accent sur la cohérence des faits (Nadoulek, 2005). A partir du XXè siècle, l’Histoire du pays a fait l’objet de multiples interrogations. Finalement nous pourrions nous reposer sur la formule de Martine Laffon, reprise par Sauquet : l’autre a le don de nous prendre « en flagrant délit d’être nous-mêmes » (Sauquet, 2005). En lien direct avec les rapports géopolitiques entre les États-Nations, Sauquet nous propose de penser «la question du capital historique et de l’«arriéré historique» dans les relations interculturelles » (Sauquet, Vielajus, 2014), «avoir conscience, au moins, de la nature de l’arriéré historique ; [car] «être soi-même» jusque dans l’héritage historique et culturel dont on est porteur pour dialoguer et travailler avec l’autre en uploads/Histoire/ culture-et-hypotheses-de-gestion-en-algerie.pdf
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- Publié le Aoû 05, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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