OLIVIER TODD une vie Biographies nrf Gallimard Digitized by the Internet Archiv

OLIVIER TODD une vie Biographies nrf Gallimard Digitized by the Internet Archive in 2019 with funding from Kahle/Austin Foundation https://archive.org/details/andremalrauxunevOOOOtodd N.R.F. Biographies OLIVIER TODD ANDRE MALRAUX UNE VIE Thomas J. Bata Librery TRENT UNI VÉfc>. iï PETERBOROUGH, OMARIO GALLIMARD ^ (Si 2.(0-? 5 ' ■ ü V-, i-;; • . ' , . "i Dessins d’André Malraux en fin de chapitres : collections particulières, tous droits réservés, à l’exception du premier : fonds Colette Durand-Pia. © Éditions Gallimard et Olivier Todd, 2001. Pour Anne-Orange Poilpré, Helmut Sorge, et John Weightman L'EAU DU CŒUR Cartes sur table : Malraux compta pour moi. J’ai rencontré son personnage en guerrier. J’avais huit ans. Près du verger au grand Luxembourg, ma mère, alors communiste, me présenta un ami américain, roux, jovial — un menhir : « Tom, m’expliqua- t-elle, rejoint les Brigades internationales en Espagne. » Assis sur des fauteuils de fer beige, maman et Tom bavardaient. J’enten¬ dais : « Madrid... Comrads... Barcelona » Tom nous quitta. Ma mère me parla d’un écrivain combattant en Espagne : ce Malraux commandait une escadrille. Je regardais sa photo dans L’Huma¬ nité. Quelques semaines plus tard, ma mère m’annonça la mort de Tom. Je rencontrai l’essentiel, /'écrivain André Malraux, en 1943, sous l’occupation allemande, toujours au Luxembourg. J’enta¬ mais L’Espoir, livre interdit. Je ne le savais pas. Des soldats de la Luftwaffe, en uniforme rêche, bleu-gris, montaient la garde devant l’entrée du jardin, face à la rue Vavin. J’ai quatorze ans. Les premiers paragraphes du roman caril¬ lonnent dans ma tête. Le style m’entraîne et m’émeut : « Un cha¬ hut de camions chargés de fusils couvrait Madrid tendue dans la nuit d'été... » Des dialogues crépitent entre les gares tenues par les gouvernementaux et celles aux mains des franquistes. Les répliques m’enchantent : — Allô Sepulveda? Ici Madrid-Nord, comité ouvrier. — Votre train est passé, andouilles. Vous êtes tous des cons, et nous irons cette semaine vous les couper. — Physiologiquement contradictoire. Salud!... En 1943, au Luxembourg, les franquistes de Sepulveda deve¬ naient, pour moi, les alliés des soldats allemands. La devise « Gott mit uns » sur la boucle argentée de leur ceinturon répon¬ dait au slogan des troupes de Franco : « Vive le Christ-Roi ! » La guerre d’Espagne s’éternisera dans nos mémoires avec simplicité et manichéisme. À l’époque, je faisais l’impasse sur certaines 12 André Malraux questions évoquées à Bruxelles en 1997 par Paul Nothomb, modèle du personnage d'Attignies, commissaire politique de l’escadrille dans L’Espoir. Le franquisme fut ignoble mais, même aux pires moments, il ne se transfonna pas en nazisme. Osons nous interroger même si nous sympathisons d’abord avec la République espagnole : si les communistes avaient pris le pou¬ voir en Espagne, de quoi la victoire républicaine aurait-elle accouché ? Plusieurs générations de Français se sont faufilés dans des guerres par procuration. Des lecteurs passionnés ou embarrassés ont décrypté leurs propres expériences au prisme des œuvres de Malraux et de sa vie. Longtemps, j’ai imaginé qu’on ne pouvait mieux vivre et mourir qu’avec les membres d’une brigade inter¬ nationale. Comme le disait Aragon, apologiste du mentir-vrai — pathétique tarte à la crème de notre époque —, il faut regarder alors avec les yeux d’alors. Avant la Seconde Guerre mondiale, période aujourd’hui préhistorique pour tant de jeunes lecteurs, quelques équations s’imposaient dans une contagieuse naïveté. On cultivait des formules schématiques : franquistes = fascistes = nazis = le Mal. Et, en pendant, sur la même cheminée idéolo¬ gique : communistes = antifascistes = démocrates = le Bien. L’his¬ toire dans sa complexité émerge avec lenteur. Comment enquêter aujourd’hui avec lucidité et bonne foi sur André Malraux sans renier certaines notions et émotions généreuses charriées par ses œuvres dans un tintamarre enivrant ? Autre redoutable question pour quiconque part à la recherche de Malraux : le mensonge importe-t-il ? Avec hésitation et souvent dans l'incertitude, un bio¬ graphe cherche les vérités factuelles de la vie d’un sujet, même si celui-ci, glissant sur tel épisode, présente des excuses atténuantes au nom des droits ou des devoirs de l’imagination. « Pour l'essen¬ tiel », affirmait Malraux, « l’homme est ce qu’il cache ». Non : il est aussi ce qu’il montre et ce qu’il fait. Admettons-le : Malraux a passionnément agi. André Malraux, protéiforme et orgueilleux Lazare, ressuscita pour quelques semaines le 23 novembre 1996 : Jacques Chirac, cinquième président de la V République, le panthéonisa. Pour¬ quoi ? Chaleureux, Chirac me reçoit dans son palais de l'Élysée désert, un samedi. Le Président dénouera-t-il, au moral, sa cra¬ vate? Il s’ébroue, embrasse Christine Albanel, alors conseillère pour l’Éducation nationale et la Culture. Elle a soutenu les parti¬ sans de la panthéonisation d’André Malraux et tramé le discours de Chirac au Panthéon. — Vos auteurs modernes français préférés, Monsieur le Président ? L’eau du cœur 13 La réponse de Chirac vient d’une coulée : — Saint-John Perse, Aragon... Chirac ne se présente ni en contempteur ni en cagot du romancier : — Pour moi, Malraux n’est pas un grand écrivain, mais un grand homme. Là, le Président s’accorde avec André Gide, ami attentif et perplexe de Malraux. Pourquoi donc Chirac accepta-t-il le « trans¬ fert des cendres » de l'écrivain, à la suggestion de Pierre Messmer, président de l’Institut Charles-de-Gaulle ? — Il fallait, explique Chirac, célébrer en 1996 le vingtième anniversaire de sa mort. Compagnon du Général, Malraux inventa le ministère de la Culture... Il avait du panache... Le Président a récemment relu L’Espoir : — Son meilleur roman peut-être... Chirac, me semble-t-il, lui accorderait un 13 sur 20. Il voit néanmoins dans ce livre « une intensité rare, une formidable ampleur, une quête métaphysique... ». Selon lui, Malraux incarne une « nostalgie française, avant tout celle de la volonté et de la fra¬ ternité ». Les rapports entre Chirac et Malraux furent limités. En 1962 et 1963, au conseil des ministres, en bout de table, le secrétaire d’État Chirac, de l’avenir plein les dents, regardait la gloire, le ministre d’État Malraux, siégeant à la droite du Président de Gaulle, la majesté. — Malraux dormait avec une certaine distinction, dit Chirac; il grimaçait, enfonçait son menton dans une main ner¬ veuse... Il avait une forte capacité à se faire écouter et à faire sem¬ blant de sommeiller. Lorsque Malraux prenait la parole, Chirac discernait dans les yeux du Général une « certaine tendresse ». Parfois, le secrétaire d’État se rendait au ministère de la Culture : — Dans son bureau, Malraux me fascinait et m’irritait... En mars 1967, une de nos discussions se passa mal. Malraux avait ses fulgurances. Si on le contestait, il se mettait en colère. Pour l’art, il n’avait pas de hiérarchie. Il voyait des Michel-Ange par¬ tout. Je prends des notes. Chirac feint, je crois, l’inquiétude : — Vous n'allez pas mettre ça ? — Pourquoi pas ? Le Président et sa conseillère sourient. Chirac n’apprécie guère les livres d’art de Malraux : — Ils manquent de rigueur scientifique. Mais personne n'a parlé mieux que lui des fétiches. Malraux voyait dans les fétiches « une des formes extrêmes 14 André Malraux du génie africain 1 *. » Chirac vibre davantage en évoquant le Mal¬ raux grand prêtre gaulliste et militant d'un Rassemblement du peuple français. Échappant aux poncifs sur l’écrivain, il mani¬ feste une verve d'Ancien Combattant, se rappelant une réunion électorale en Seine-Saint-Denis, banlieue rouge : — Jetais assis derrière Malraux. Envahie par les commu¬ nistes, la salle se déchaînait. Les chaises volaient. On huait Mal¬ raux, assis à la tribune. Il profita d’un silence, et, comédien extraordinaire, s’adressa aux militants et sympathisants du P.C.F. : « J'étais sur le Guadalquivir. Je vous ai attendus. Je ne vous ai pas vus venir... » Nous revenons au Général. Chirac hasarde : — Dans toutes les civilisations, les chefs ont des fous. Cela les détend... Aux échecs, le fou se place à côté du roi en début de partie. Malraux demeura auprès du Général jusqu'au dernier jeu, l’abdication inutile et bouleversante de Charles de Gaulle, en 1969. — La personnalité de Malraux, dit le Président, suscite l’émotion, pas nécessairement de l’admiration. L’eau du cœur monte aux yeux. Il fallait entendre sa voix familière ou chamanique. Un prê¬ tre se justifie par la foi, Malraux s’imposait souvent par sa voix. À vingt, trente ou cinquante ans, la voix rauque, la beauté ténébreuse, il maniait une arme : son magnétisme allié à l'auto¬ rité. Imaginez Malraux prophétique, gouailleur à l’occasion, éternuant, secoué de tics, et répétant : « c'est complexe », « soyons sérieux », « question énorme », « point capital ». Dans toutes les circonstances, un doigt sur une dent ou le menton, marchant dans un salon, un bureau ministériel ou sur un champ de bataille, il se réservait le premier rôle, sauf face à Charles de Gaulle. Trépidant ou impavide, qu'il s'adressât à une employée de maison ou à un dictateur, aux gardiens d’un musée ou à son conservateur, Malraux ponctuait ses propos avec un ton irréfutable : « uploads/Histoire/ andre-malraux-une-vie.pdf

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  • Publié le Jan 24, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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