CONSIDERATIONS SUR LA MARCHE DES IDEES ET DES EVENEMENTS DANS LES TEMPS MODERNE

CONSIDERATIONS SUR LA MARCHE DES IDEES ET DES EVENEMENTS DANS LES TEMPS MODERNES Par M. COURNOT Ancien inspecteur général des études Fata viam inveniunt. VIRG. AEn. III, 395 Tome Premier Considérations sur la marche des idées Texte conforme à l’édition Hachette de 1872. L’orthographe de Cournot a été respectée. Les chiffres entre crochets indiquent la pagination de l’édition d’origine. Cliquez sur le lien figurant ci-dessous pour signaler les erreurs éventuelles. walter.galvani@ac-strasbourg.fr Texte conforme à l’édition Hachette de 1872. Numérisé par W. Galvani 2 Considérations sur la marche des idées PREFACE. Discurrere per negotiorum celsitudines, non humiliunj mimilias indagare causarum. AMM. MARCELL. XXVI, 1 [I] Dans la plupart des grandes histoires que l'on écrit ou qu'on récrit de nos jours, au récit détaillé des événements politiques et militaires que l'on continue de regarder comme le fond de l'histoire, il est d'usage de joindre, par forme de complément ou d'appendice, une esquisse des progrès de l'esprit humain dans les sciences, les arts, l'industrie, durant la même période de temps. Pourquoi ne pas suivre quelquefois une marche inverse, en prenant pour le fond de son sujet le travail de l'esprit humain, et pour accessoire ou appendice, comme dans un éloge académique, ce qui n'est en quelque sorte que de la biographie sur une plus grande échelle, la biographie d'un peuple ou celle du genre humain? On ne manque pas non plus d'exemples qui déjà autorisent ce renversement d'ordre, et l'on peut dire qu'il est prescrit, dès que l'on s'élève de la considération des choses qui passent à celle de leur raison immuable. Si l'homme n'est qu'une bien petite partie du grand tout, et si à ce point de vue spéculatif la con-[II] naissance de l'économie générale du monde doit primer celle de l'économie de nos sociétés, pourquoi ne pas tenir compte, dans le tableau des progrès de la connaissance humaine, de l'ordre qui subsiste effectivement entre les objets de nos connaissances ? Serait-ce pour se régler sur l'utilité pratique ? Mais à ce compte il faudrait donc, dans une revue historique des progrès de l'esprit humain, faire passer la médecine avant l'astronomie et la physique, car les progrès de la médecine nous intéressent plus sensi- blement que la connaissance des mouvements des corps célestes ou des lois de la physique. C'est pourtant là ce qu'on ne s'est jamais avisé de faire dans les revues dont nous parlons ; et pareillement, de ce que les dogmes religieux et les institutions politi- ques ont en pratique bien plus d'importance directe pour les individus et les peuples, que les sciences et la philosophie n'en peuvent avoir, ce n'est pas, dans l'ordre de la pure spéculation, un motif suffisant de leur donner le pas sur la science et la philosophie. L'histoire même se charge de manifester à la longue la subordination théorique du particulier au général. Nous ne sommes pas encore à une très-grande distance du dix- septième siècle ; et déjà Galilée, Descartes, Pascal, Newton, Leibnitz intéressent la grande famille humaine bien plus que toutes les querelles religieuses ou politiques du même temps. Deux nations seulement, l'Angleterre et la France, pourraient encore hésiter à souscrire à cette décision du sens commun des nations, en songeant, celle-là à sa révolution politique, si féconde en grandes conséquences, celle-ci à l'éclat qui a rejailli et qui, après tant de calamités, rejaillit encore sur elle de la splendeur du grand règne. Mais, plus on avance, plus la trace lumineuse du grand siècle semble appartenir à un autre monde que le nôtre, plus l'établissement politi- [III] que de l'Angleterre perd de son originalité, alors que Galilée, Descartes, Pascal, Newton, Leibnitz ne font que grandir dans l'histoire de l'esprit humain. Dès à présent donc, l'on conçoit que, dans un tableau d'ensemble, ces savants, ces philosophes aient sur les guerriers, les politiques, les controversistes, les orateurs de la chaire et de la tribune, une prééminence que le monde de leur temps était bien loin de leur attribuer. Et si nous sommes conduits à adopter un tel ordre quand il s'agit du dix-septième siècle, l'analogie ne veut-elle pas que nous nous y conformions pour des siècles tout voisins? Quoi qu'il en soit, c'est l'ordre que nous avens eu en vue ; c'est pour le faire ressortir, au risque d'encourir le reproche Texte conforme à l’édition Hachette de 1872. Numérisé par W. Galvani 3 Considérations sur la marche des idées de bizarrerie, que nous avons pris la plume ; et il convenait d'en avertir le lecteur que cet ordre pourrait choquer, au point de le dispenser de la peine d'instruire plus à fond le procès de l'auteur. Ces premières réflexions, aussi bien que le titre de notre livre, annoncent assez qu'il appartient, non au genre de la composition historique, mais à ce que l'on est convenu d'appeler « la philosophie de l'histoire. » Or, cela nous oblige, pour ne pas affronter trop de préventions à la fois, de dire en quoi notre philosophie de l'histoire diffère essentiellement de celle de beaucoup d'autres, qui ont eu la prétention de découvrir des lois dans l'histoire. Qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas des lois dans l'histoire, il suffit qu'il y ait des faits, et que ces faits soient, tantôt subordonnés les uns aux autres, tantôt indépendants les uns des autres, pour qu'il y ait lieu à une critique dont le but est de démêler, ici la subordination, là l'indépendance. Et comme cette critique ne peut pas prétendre à des démonstrations irrésistibles, de la nature de celles qui donnent la certitude scientifique, mais que son rôle se borne à faire valoir des analogies, des inductions, du genre de [IV] celles dont il faut que la philosophie se contente (sans quoi ce serait une science, comme tant de gens l'ont rêvé, mais toujours vainement, et ce ne serait plus la philosophie), il s'ensuit que l'on est parfaitement en droit de donner à la critique dont il s'agit, si attrayante malgré ses incertitudes, le nom de « philosophie de l'histoire. » II en est à cet égard de l'histoire des peuples comme de l'histoire de la Nature, qu'il ne faut pas confondre avec la science de la Nature, parce qu'elles ont principalement pour objet, l'une des lois, l'autre des faits, mais des faits qui peuvent acquérir une si grande proportion, avoir des conséquences si vastes et si durables, qu'ils nous paraissent avoir et qu'ils ont effectivement la même importance que des lois. La raison n'en conçoit pas moins la différence radicale des lois et des faits : les unes valables en tout temps, en tout lieu, par une nécessité qui tient à l'essence permanente des choses ; les autres amenés par un concours de faits antérieurs, et déterminant à leur tour les faits qui doivent suivre. Il y a dans l'histoire d'un peuple, comme dans la biographie du plus humble individu, indépendamment de ce qui tient à leurs dispositions natives et aux lois constantes de la Nature, des faits, des accidents qui influent sur tout le cours de leurs destinées. La critique philosophique n'a nuls motifs de s'occuper de pareils faits, de pareils accidents, à propos d'un homme, ordinaire : elle s'y applique avec grande raison quand il s'agit de la vie d'un peuple, et surtout d'un peuple dont la vie a influé sur les destinées de l'humanité tout entière. On peut donc se méfier beaucoup des lois, des formules en histoire, qui ont occupé et souvent égaré tant d'esprits, sans que cela doive, à notre sens, nuire à ce qui constitue effectivement la philosophie de l'histoire. Impossible de s'adonner au genre de critique dont nous par- [V] lons, sans être à chaque instant conduit à se demander comment les choses auraient vraisemblablement tourné, sans l'accident ou l'incident qui a imprimé un autre cours aux événements. L'his- torien s'abstient tant qu'il peut de poursuivre de pareilles hypothèses, de même qu'il s'abstient de prédictions pour l'avenir, et il a bien raison, car tel n'est point le but de l'histoire proprement dite. C'est déjà pour lui une assez grande tâche que d'être partout véridique et clair, en joignant quand il le faut au talent de raconter celui d'émouvoir. Mais, pour un genre de critique qui ne peut reposer que sur des inductions, l'hypothèse n'est vaine que là où l'induction fait défaut ; et tant que l'induction soutient suffisamment l'hypothèse, celle-ci, qui n'est qu'un moyen de mettre l'induction dans son jour, se trouve suffisamment justifiée. C'est assez dire que la difficulté et le mérite de la critique se trouvent dans la juste et sobre mesure de l'induction et de l'hypothèse. Pour l'histoire des temps modernes à laquelle s'applique notre essai de critique, nous Texte conforme à l’édition Hachette de 1872. Numérisé par W. Galvani 4 Considérations sur la marche des idées n'avons ici qu'une remarque à faire. Chaque siècle de l'histoire moderne étant l'objet d'un tableau ou d'un livre à part, que faire de la Révolution française ? Appartiendra-t-elle au dix-huitième ou au dix-neuvième siècle ? Se partagera-t-elle ou s'intercalera-t-elle entre les deux ? Nous n'avons pris ni l'un de ces partis, uploads/Histoire/ cournot-considerations-sur-la-marche-des-idees-et-des-evenements-dans-les-temps-modernes.pdf

  • 37
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Mai 10, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.4047MB