Extrême-Orient Extrême-Occident 30 | 2008 Du bon usage des images: Autour des c

Extrême-Orient Extrême-Occident 30 | 2008 Du bon usage des images: Autour des codes visuels en Chine et au Japon Une écriture en images : les armoiries parlantes How to Write with Images? The Canting Arms Michel Pastoureau Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/extremeorient/110 DOI : 10.4000/extremeorient.110 ISSN : 2108-7105 Éditeur Presses universitaires de Vincennes Édition imprimée Date de publication : 30 octobre 2008 Pagination : 187-198 ISBN : 978-2-84292-220-7 ISSN : 0754-5010 Référence électronique Michel Pastoureau, « Une écriture en images : les armoiries parlantes », Extrême-Orient Extrême- Occident [En ligne], 30 | 2008, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 06 mai 2019. URL : http:// journals.openedition.org/extremeorient/110 ; DOI : 10.4000/extremeorient.110 © PUV Existe-t-il un langage des signes communs aux différentes civilisations? Probablement pas. Mais il existe, dans de nombreuses cultures, des signes visuels qui ont pour fonction de dire l’identité des individus et des groupes, et leur place dans la société. Ces signes s’expriment par des formules diverses et prennent place sur des supports de toutes natures: le corps, le vêtement et ses accessoires, les bijoux, les étoffes et les parures, la maison, le mobilier, les bâtiments et les monuments, les armes de guerre, les objets d’art et ceux de la vie quotidienne, les documents officiels et même les animaux domestiques ou le bétail. Certains, parmi ces signes, sont organisés en véritables systèmes et obéissent à des règles rigoureuses de composition, d’utilisation, de représentation et de transmission. D’autres sont d’un usage plus souple ou plus libre. Tous, ou presque, présentent la particularité d’être chargés d’une forte dimension symbolique et de toujours dire plus que ce qu’ils ont pour fonction de dire. Les armoiries européennes comptent parmi ces signes. Elles peuvent se définir comme des emblèmes en couleurs, propres à un individu, à une famille ou à une communauté, et soumis dans leur composition et leur représentation à des règles particulières qui sont celles du blason. Ainsi définies, les armoiries apparaissent dans le courant du XIIe siècle sur les champs de bataille et de tournoi, et s’organisent rapidement en un code social, à la fois ouvert et rigoureux: l’héraldique. C’est l’existence de quelques règles de composition – peu nombreuses, mais contraignantes – qui différencie le système héraldique européen de tous les autres systèmes d’emblèmes, antérieurs ou postérieurs, militaires ou civils. Parmi les différents systèmes utilisés par les sociétés non occidentales, ce sont probablement les mon japonais qui présentent avec les armoiries européennes les ressemblances les plus étroites. Comme en Occident, c’est dans le courant du XIIe siècle que ces emblèmes, d’abord individuels et Une écriture en images: les armoiries parlantes Michel Pastoureau Extrême-Orient, Extrême-Occident, 30 – 2008 188 Michel Pastoureau d’origine militaire (se faire reconnaître au combat), opèrent leur greffe sur la parenté, et deviennent familiaux et héréditaires: tous les membres d’un même clan portent désormais le même mon. Comme les armoiries occidentales, ces mon disent à la fois l’identité et la parenté, servent de marques de possession et remplissent des fonctions ornementales. Par là même, ils prennent place sur de nombreux supports, notamment les vêtements, les étoffes, les armes et les objets. Toutefois, entre les armoiries européennes et les mon japonais, il existe aussi de fortes différences, qu’il ne faut pas dissimuler. Les couleurs, par exemple, qui jouent un rôle essentiel dans les armoiries, ne comptent pas, ou guère, pour les mon; ceux-ci prennent la couleur du support sur lequel ils sont apposés. De même, le répertoire des figures est fort différent: végétal à 80 % au Japon, beaucoup plus diversifié en Europe (animaux, végétaux, objets, figures géométriques). Enfin, alors que le mon est commun à l’ensemble d’un clan et concerne un grand nombre de personnes, les armoiries disent souvent l’individu et précisent sa place au sein du groupe familial. Je n’ai pas les compétences nécessaires pour faire ici une véritable étude comparée des armoiries et des mon. Ce devrait du reste être la tâche d’un travail collectif. Mais profitant du thème du présent volume, je souhaiterais attirer l’attention sur une catégorie d’armoiries particulière, très en vogue au Moyen Âge dans toute l’Europe: les armoiries «parlantes». Il s’agit d’une véritable écriture en images. Une définition difficile Définir les armoiries parlantes n’est pas un exercice aisé, car elles s’expriment par des formules variées. Grossièrement on peut dire que sont «parlantes» les armoiries dans lesquelles le nom de certains éléments – le plus souvent celui de la figure principale – forme un jeu de mots ou établit une relation de sonorité avec le nom du possesseur de l’armoirie. Le cas le plus simple est celui où le nom de la figure principale et le nom du possesseur entretiennent une relation directe, comme par exemple sur trois sceaux normands du XIIIe siècle: Jean de La Tour porte une tour; Baudouin de Corbeil, un corbeau; Raoul Cuvier, un cuvier (fig. 1) 1. Mais il existe des liens entre le nom et la figure qui sont moins patents. La relation peut être allusive (ainsi, toutes les familles dont le nom évoque une porte et qui placent des clefs dans leurs armes) ou bien se faire avec une partie du nom seulement: Guillaume de Capraville, puissant baron anglais, place dans son écu, vers 1300, une simple chèvre 2, tandis que, quelques décennies plus tard, Pierre d’Orgemont, chancelier de France (1373-1380) arbore fièrement trois épis d’orge 3. La relation peut également être construite sur le nom d’une couleur et non pas d’une figure: la grande famille florentine des Rossi porte ainsi un écu tout rouge (de gueules plain) 4. Ou bien, et plus fréquemment, elle peut être construite sur les noms associés de plusieurs figures et former une sorte de rébus: les comtes de Helfenstein, par exemple, largement possessionnés dans le nord de la Suisse et dans le Wurtemberg, associent dans leurs armes un éléphant (Elefant) et un rocher (Stein) (pl. 29, p. 111); les Chiaramonte, originaires de Vérone, un mont surmonté d’une étoile qui semble l’éclairer. Exceptionnellement, la relation parlante se fait non pas avec le nom de famille mais avec le nom de baptême. Citons pour exemple l’écu gironné d’or et d’azur d’un shériff du Northampshire nommé Giron de Bassingburne, écu blasonné par plusieurs armoriaux de la seconde moitié du XIIIe siècle 5. La notion de «jeu de mots» est elle-même très floue, ou du moins évolue avec le temps: ce qui constitue un jeu de mots au XIIIe siècle peut ne plus être perçu ou considéré comme tel au XVe ou au XVIIe siècle. D’où la difficulté qu’il y a à définir de manière univoque ces armoiries que le français et l’allemand qualifient de «parlantes» (redende Wappen). L’anglais, plus poétique ou plus précis, les nomme joliment «chantantes» (canting arms). Cette expression, qui insiste sur l’harmonie sonore de la relation entre le nom de la personne et celui de la figure, se retrouve dans la langue latine des érudits du XVIIe siècle: arma cantabunda ou arma personantia 6. Une pratique ancienne Malgré leur grand intérêt, les armoiries parlantes attendent encore leurs historiens. Ni les héraldistes (trop peu philologues), ni les philologues (trop peu héraldistes), ni les anthroponymistes ne s’y sont jusqu’à présent véritablement intéressés 7. Le matériel est pourtant abondant et suscite de 189 Une écriture en images: les armoiries parlantes Figure 1. Une figure sigillaire parlante: un cuvier. Sceau de Raoul Cuvier, paysan normand (début du XIIIe siècle). Paris, Arch. Nat., sceau D 4203. nombreuses interrogations. Mais il semble que ces armoiries souffrent encore du discrédit dans lequel les ont tenues les héraldistes du XVIIe et du XIXe siècle. Elles passent pour moins anciennes, moins nobles et, héraldiquement, moins pures que les autres armoiries 8. Ce qui est absolument faux. Les armoiries parlantes existent depuis la naissance de l’héraldique au XIIe siècle, et à cette date de très grandes familles en ont fait déjà usage: les comtes de Bar (deux bars adossés), les comtes de Boulogne (trois «boules» ou tourteaux) (fig. 2, p. 192), les comtes de Minzenberg (une branche de menthe), les sires de Hammerstein (un marteau) et bien d’autres, sans compter le royaume de Castille (des châteaux) et celui de Léon (un lion). Au reste, les hérauts d’armes du Moyen Âge, quand ils ne connaissent pas les armoiries d’un royaume (réel ou imaginaire) ou d’une grande seigneurie, n’hésitent pas à forger des armoiries parlantes pour pallier les lacunes de leur information. De telles armes leur semblent naturelles et parfaitement fidèles à l’esprit du blason. C’est ainsi qu’un héraut d’armes français, compilant un armorial universel aux environs des années 1300, attribue au roi de Portugal un écu ayant pour figure une porte (pl. 30, p. 112), au «roi» de Galice un écu orné d’un calice et au prétendu roi du Maroc un écu à trois rocs d’échiquier (ibid). Ces armes imaginaires connaissent un certain succès et sont reprises par d’autres armoriaux du XIVe siècle, y compris des armoriaux germaniques pour lesquels la relation parlante entre les noms et les figures n’est pourtant plus intelligible 9. D’une manière générale, les armoiries parlantes ne sont ni moins anciennes, ni moins honorables, ni uploads/Histoire/ armes-parlantes-michel-pastoureau.pdf

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  • Publié le Jui 13, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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