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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/273267450 De la beauté du geste technique en préhistoire Article · May 2013 DOI: 10.4000/gradhiva.2583 CITATIONS 2 READS 199 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Conférence de Sophie A. de BEAUNE au Musée du Quai Branly le 19 avril 2018 View project DEX_TER : Lascaux au cœur d’un réseau culturel inédit à la fin du Pléniglaciaire ? (LabEx LaScArBx) View project Sophie A. de Beaune Université Jean Moulin Lyon 3 136 PUBLICATIONS 476 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Sophie A. de Beaune on 04 August 2015. The user has requested enhancement of the downloaded file. 17 2013 dossier 17 2013 dossier De la beauté du geste technique en préhistoire. Par Sophie A. de Beaune 27 De la beauté du geste technique en préhistoire par Sophie A. de Beaune mots clés préhistoire, forme, design, Leroi-Gourhan, technique, usage, rythme, esthétique, symétrie, biface Quelles relations les outils de la préhistoire entretiennent-ils entre esthétique et fonction ? À partir de l’examen d’un objet qui présente la particularité de disposer de deux plans de symétrie perpendiculaires, le biface, la notion leroi-gourhanienne d’esthétique fonctionnelle est ici revisitée. L ’auteur propose l’hypothèse que le geste qui se cache derrière l’outil est lui aussi susceptible de receler une certaine beauté, qui n’est pas étrangère à l’esthétique des objets eux-mêmes. De la beauté du geste technique en préhistoire par Sophie A. de Beaune mots clés préhistoire, forme, design, Leroi-Gourhan, technique, usage, rythme, esthétique, symétrie, biface Quelles relations les outils de la préhistoire entretiennent-ils entre esthétique et fonction ? À partir de l’examen d’un objet qui présente la particularité de disposer de deux plans de symétrie perpendiculaires, le biface, la notion leroi-gourhanienne d’esthétique fonctionnelle est ici revisitée. L ’auteur propose l’hypothèse que le geste qui se cache derrière l’outil est lui aussi susceptible de receler une certaine beauté, qui n’est pas étrangère à l’esthétique des objets eux-mêmes. dossier 28 « L’homme a toujours eu l’amour du beau. Même aux temps primitifs, où les besoins de la vie matérielle absorbaient tous ses moments, il cherchait à rendre ses armes et ses outils symétriques et à leur donner une forme élégante. » Édouard Piette (1889 : 159) « Dès qu’apparaît la plastique, on voit surgir des notions d’équi- libre, donc des notions de rythme ; et dès qu’apparaît la rythmique, l’art apparaît. Socialement et individuellement, l’homme est un animal rythmique. » Marcel Mauss (1967 [1947] : 85) L’image de l’homme de la préhistoire est ambivalente. Il est vu tantôt comme un pauvre hère vêtu « de peaux de bêtes,/échevelé, livide au milieu des tempêtes… », tantôt comme un ingénieux artisan capable d’adapter parfaitement ses outils à ses besoins, presque un designer avant la lettre. Si la première de ces images fait encore les beaux jours de la littérature ou du cinéma de vulgarisation, nos connaissances sur le mode de vie des hommes de la préhistoire l’ont aujourd’hui frappée d’obsolescence. Les spécialistes savent désormais que les chasseurs-cueilleurs du Paléo- lithique supérieur étaient parfaitement intégrés à leur environnement et suffi samment bien organisés pour être dispensés de consacrer l’essentiel de leur temps à se procurer de quoi survivre 1. On peut dire que, comme les chasseurs-cueilleurs contemporains, dont l’image a été réhabilitée en particulier par Marshall Sahlins 2, les groupes humains préhistoriques – du moins ceux vivant au Paléolithique supérieur 3, mieux connus – vivaient dans une relative aisance et étaient beaucoup moins besogneux qu’on ne l’avait longtemps cru. Le temps passé à l’acquisition et à la préparation de la nourriture n’excédait sans doute pas chez eux cinq heures par jour, ce qui leur laissait assez de temps pour se consacrer à l’art, au jeu, à la musique et aux devoirs de la vie sociale ou religieuse. La question de l’adaptation de l’homme préhistorique à son milieu étant réglée – nous sommes du reste la preuve vivante de cette excellente adaptation –, nous allons explorer ici plus en détail la seconde de ces images et évaluer dans quelle mesure la beauté que nous trouvons à certains outils de la préhistoire a été recherchée par leurs créateurs. En d’autres termes, quelle part leur souci d’effi cacité technique laissait-il aux préoccupations esthétiques 4 ? Mais précisons d’emblée que les outils à la forme régulière et symétrique dont il va être question ici sont bien plus anciens que le Paléolithique supérieur. Ils apparaissent pour la première fois en Afrique il y a près de deux millions d’années. Leur premier auteur est un lointain précurseur d’Homo sapiens. D’où la question de savoir s’il est légitime d’attribuer des préoccupations esthétiques aux premiers représentants du genre Homo – habilis, erectus, rudolfensis, neandertalensis… La réponse à cette question me paraît devoir être positive. Tous fabriquaient des outils à partir de techniques de débitage et de façonnage de la pierre déjà complexes qui impliquaient une bonne maîtrise de leur environnement, une excellente habileté technique et l’aptitude au raisonnement analogique 5. Et tous – qu’ils soient en Afrique, en Europe ou en Asie – ont manifesté le même souci de régularité et de symétrie dans la fabrication de leurs outils, ou du moins de celui dont je parlerai. 1. Je me permets de renvoyer ici à Beaune 1999 (1995) et 2013 (2007). 2. Sahlins 1972. 3. Le Paléolithique supérieur s’étend d’environ 40 000 à 12 000 ans avant le présent. Il est le fait de l’homme anatomiquement moderne, Homo sapiens. 4. Les termes « beau » et « esthétique » seront défi nis au fur et à mesure de la progression de ma réfl exion. 5. Sur les aptitudes cognitives des premiers homininés de la préhistoire, voir Beaune 2009 et 2011. L’étude de l’émergence des tout premiers outils ainsi que des processus de transfert technique tout au long de la préhistoire montre que, sans aller jusqu’à poser l’existence d’universaux biologiques et cognitifs communs à tout le genre Homo (voire aux australo- pithèques fabricants d’outils), les aptitudes cognitives nécessaires à l’invention étaient présentes très tôt. De la beauté du geste technique en préhistoire. Par Sophie A. de Beaune 29 Beauté des objets techniques Venons-en donc à notre outil, le biface, très simple, très ancien, constitué de deux faces qui lui ont valu son nom. Elles sont de surcroît symé- triques l’une de l’autre et chacune d’elles est pourvue d’un plan de symétrie, ce qui fait pour l’ensemble de l’outil deux plans de symétrie perpendiculaires (fi g. 1). Les préhistoriens, dont nous verrons qu’ils en ont jugé un peu vite, se sont longtemps accordés à lui trouver des formes parfaitement adaptées à sa fonction. En même temps, ils aiment à penser – et, sur ce point, je ne leur donne pas tort – que la symétrie de ces formes témoigne d’une recherche esthétique. Nous devrions donc considérer les fabricants de bifaces comme de parfaits designers puisque, selon l’une de ses défi ni- tions les plus communes, le design consiste en une recherche d’harmonie entre les formes et les fonctions d’un objet. Du reste, certains designers se réfèrent explicitement à ces lointains devanciers. Ainsi, les « couteaux de céramique » imaginés par le New-Yorkais Matthias Kaeding se réclament du Néolithique, sans doute à cause de leur forme censée évoquer celle des lames de hache polies 6. De même, voici comment Marie Garnier commente un objet de « design culinaire » qu’elle a baptisé « Homo sapiens » (fi g. 2) : Homo sapiens : le premier outil préhistorique pour l’homme moderne ! Transformer la matière culinaire, aiguiser une lame d’acier avec une pierre taillée… Des gestes simples et intuitifs qui nous rappellent les premiers gestes de l’homme et établissent un lien entre le présent et le passé. Ce caillou sculpté (grès) est un véritable « bijou de cui- sine » qui répond à plusieurs fonctions : aiguiser les couteaux mais aussi concasser, broyer des grains de poivre ou de l’ail… Conçu pour être suspendu à un crochet, il se range facilement tout en décorant la pièce de sa présence insolite 7. Ces artistes ne font que redire à leur manière ce qu’André Leroi- Gourhan écrivait déjà dans Le Geste et la Parole. Le fait que tel ou tel outil (biface, racloir, couteau…), « très adapté à son usage particulier, laisse transparaître à un égal degré la qualité esthétique de la rencontre de la fonction et de la forme » relève de ce qu’il appelle une « esthétique fonctionnelle ». Pour lui, la valeur esthétique d’un outil varie en directe raison de l’adéquation de sa forme à sa fonction (Leroi-Gourhan 1965 : 120 sq.). Cette beauté « fonctionnelle 8 » serait présente dans toutes les productions humaines dès lors que leur forme s’est dépouillée de tout superfl u et ne matérialise plus que leur seule fonction. Ainsi, le poinçon, qu’il soit en pierre taillée ou en acier, est mécaniquement parfait ; on pourra donc le dire beau, au même titre, par exemple, que les alvéoles des abeilles ou l’aile de l’albatros. uploads/Histoire/ beaune-2013gradhivagesteesthetique.pdf

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  • Publié le Jui 07, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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