Les intellectuels Le mot d’intellectuel renvoie à une prise de position éthique

Les intellectuels Le mot d’intellectuel renvoie à une prise de position éthique, politique, autant voire davantage qu’aux activités intellectuelles. Cette mutation du terme aide les historiens. Pascal Ory, M. Winock, J.F. Sirinelli, ont travaillé sur les intellectuels. Ory, dans un dictionnaire, distingue une définition sociologique et technique d’une définition éthique. Il explique que la figure de l’intellectuel née après l’affaire Dreyfus correspondrait à la définition éthique. Un intellectuel l’est donc du fait de sa légitimité dans les milieux de l’art et du pouvoir, et en même temps dans l’engagement qu’il prend. Il n’y a pas d’intellectuel sans engagement, ni d’engagement crédible sans légitimité tirée d’une compétence. Dans la fin du XIXème siècle, Maurras et Barrès sont les intellectuels de premier ordre. Le tournant est l’Affaire Dreyfus. Au moment où elle est lancée, il y a aussi parmi les signataires dreyfusards de jeunes hommes scientifiques. Ils réclament le droit de réfléchir sur des sujets qui ne relèvent pas de leur discipline. C’est déjà vrai pour Zola, pour Jaurès, mais ça l’est encore plus pour des physiciens, etc. L’Affaire voit donc un élargissement de la catégorie des intellectuels. Ce sont les compétences. Intelligentsia, en russe, désigne le diplômé. La conception s’étend donc lorsque c’est la dimension éthique et morale qui prime, adossée sur la reconnaissance universitaire. Dans l’Affaire, on a des signataires pas forcément légitimés par leurs diplômes, mais par leur légitimité culturelle : c’est le cas des journalistes. Cette émergence des intellectuels ne tient pas de la génération spontanée, mais était en gestation. Cette figure de l’intellectuelle est conforme à l’évolution du champ des intellectuels dans la deuxième partie du XIXe siècle. Ce champ est rattaché à l’instauration et l’installation d’un régime démocratique, la république, qui est débattue, et qui a donc ouvert la possibilité d’engagement. Ce contexte est aussi celui de la transformation du monde universitaire, avec l’entrée des universités dans l’ère moderne : multiplication des universités, positivisme, statut des sciences exactes ou sociologique qui se développe. Enfin, un renouvellement culturel : formes romanesques, nouvelles écoles de peinture (impressionnisme), qui sont autant d’interrogation suscitant des engagements et contradictions (Baudelaire qui devient critique littéraire et pictural, Courbet ou Vallès liés à la Commune et politisés). L’ensemble de ces mutations est sans doute incarné par Victor Hugo. Il représente très tôt cette figure de l’intellectuel, en étant emblématique de la critique du Second Empire. Sa mort libère une place dans le champ intellectuel : il y a la concurrence de grands esprits pour accéder à la notoriété culturelle. « J’accuse » est une action louable et éclairée, mais est aussi source de notoriété renouvelée. L’intellectuel apporte la caution à une cause grâce à sa légitimité, mais il a toutes chances de recevoir ne retour une aura conférée par son engagement même. Jaurès et Zola apportent leur notoriété à la cause de Dreyfus, et se mettent en valeur en même temps. Les journaux, maisons d’éditions, gagnent ou prennent des risques. La Croix, Le Gaulois, selon les plumes qu’ils accueillent, augmentent leur audience. Quand B. Lazare publie en 1896 La vérité sur l’Affaire Dreyfus, on a un phénomène d’édition évident. Au lendemain de la grande liste de pétition de 1998, quand Drumont lance une souscription dans La libre parole pour la veuve et l’orphelin du colonel Henri, il gagne une audience intellectuelle qui améliore son statut. Quand Aragon prend la tête des Lettres françaises, le supplément littéraire de l’humanité, il est évident qu’il a accès à des relais qui vont médiatiser son œuvre. P. Juquin, le dernier biographe d’Aragon, montre aussi cet opportunisme d’Aragon dans son engagement dans le PC. Drieu la Rochelle, Brasillach, dans le clan opposé, font pareil. Drieu la Rochelle dirige la collection blanche de Gallimard, la collection la plus prestigieuse, pendant la guerre : c’est évidemment dû à sa collaboration. Ce monde intellectuel qui apparaît va être bouleversé par la guerre. Démographiquement : morts de Psichari, Péguy (balle), Fournier, Pergaud, Apollinaire (grippe espagnole). Cela correspond aussi à libérer des places pour de nouveaux intellectuels. Les représentations sont perturbées, redonnent vigueurs à l’antimilitarisme, le pacifisme, voire l’anarchisme. Rares sont les intellectuels qui y échappent. R. Roland écrit Au-dessus de la mêlée, dès 1914, pour rappeler que les intellectuels ne doivent pas être seulement un outil politique et idéologique pour l’union nationale et le nationalisme de la guerre. Barrès, A. France, deviennent des apologistes de l’effort de guerre. On a des ouvrages reçus comme favorables, Le Feu de Barbusse en 1916, les Cahiers de Barrès pendant la guerre, mais qui possèdent toutefois des doutes face à la guerre, sur les actes. Très tôt, des mouvements intellectuels discutent la guerre (1916-1917), ce qui va avec la prise de distance des socialistes de l’Union sacrée. Le dadaïsme naît avant la fin de la guerre, en 1917, année de la Révolution bolchevique par ailleurs. Cette guerre va devenir la référence pendant les vingt ans à venir, chez les intellectuels. La condition humaine doit être réexaminée à l’aune de certaines découvertes : redécouverte de la psychanalyse, incitation des surréalistes, éloge de la spontanéité (écriture automatique) plus respectueuse des élans de la nature humaine et dépassant l’engagement idéologique. Chez les surréalistes, le recours à des éclairages nouveaux contredisant l’engagement idéologique, est relativement bref puisqu’on bascule rapidement de Freud à Marx. C’est aussi une conséquence de la guerre. Adhésion des surréalistes au PC en 1927 globalement. Le moment de respect de l’individualité est bref. Même si des intellectuels vraiment militants comme Barbusse qui fonde Monde, hebdomadaire communiste, subordonné à Moscou, en 1928, sont assez rares. Beaucoup sont des « compagnons de route », sympathisants mais qui gardent leur singularité. Effet de génération. La première génération d’intellectuels s’éteint avec la guerre ou juste après. Barrès meurt en 1923, A. France en 1924. La trahison des clercs, publiée en 1927, est en retard. C’est contre un monde idéologique qu’il s’exprime, mais il est déjà trop tard avec la guerre. À une époque où de nombreux intellectuels et artistes se tournaient vers la politique au nom du réalisme, Julien Benda leur reproche de se détourner des valeurs cléricales, c'est-à-dire la recherche du beau, du vrai, du juste, et qui sont pour lui statiques, désintéressées et rationnelles. Stefan Zweig parle avec nostalgie d’un « Monde avant 1914 ». L’engagement ne se fait plus désormais à des valeurs universelles, comme cela pouvait l’être avec Jaurès, profondément patriotique mais surtout internationaliste, humaniste et pacifique. Ce sont des désormais des engagements dans des camps, montés les uns contre les autres. En juin 1935, un Congrès international des écrivains pour la défense de la culture à Paris : malgré son titre, c’est un repère de communistes qui exalte ce modèle et place la lutte antifasciste sous le mandat de ce parti. Le PCUS passe en effet du « classe contre classe » à « tous contre le fascisme ». Même un fondamentalement indépendant comme Malraux, fait un temps le chemin avec les cocos, au nom de la priorité donnée au combat antifasciste. L’Espoir, grand roman de Malraux, est le constat fait en Espagne de l’inefficacité du combat des anarchistes, et de la pertinence de l’organisation des communistes, méthodiques et disciplinés, seuls à même de pouvoir contrer le franquisme. Eloge et hommage rendu aux anarchistes, mais en tant que révolutionnaires intègres et qui se font dépasser par les fascistes comme les communistes. Un discours sur la culture Dans les années 1930, cet engagement s’accompagne d’un discours de ce que doit être la culture, et sur la manière de s’adresser au public. La démocratisation de la culture permettrait aussi une meilleure reconnaissance des intellectuelles. L’ « Association populaire des amis des musées », dirigée par Paul Rivet, veut rendre familières au grand public les œuvres et créations artistiques. Le Corbusier, Tzara, sont enthousiastes à servir ce genre d’initiatives. Quelque part, la tradition malrucienne continuera cette ambition de démocratisation ; Malraux a connu ces années 1930. Les prises de position idéologiques Vendredi : hebdomadaire communiste créé dans les années 1930, très influent, parmi lesquels écrivent Gide, Giono, etc. Dans cet hebdomadaire écrivent de nombreux pacifistes. Dans l’extrême-droite, il y a Je suis partout, un des principaux organes de collaboration pendant la guerre, avec Brasillach, L. Rebatet (Les décombres), P. Gaxotte qui a été secrétaire de Maurras, a écrit dans l’Action française, directeur de Je suis partout. La guerre d’Espagne divise entre pro et anti fascisme, mais d’autres clivages : Bernanos, parmi les intellectuels catholiques, a été choqué de ces excès comme Mauriac, Mounier, et ils prennent parti contre les Franquistes et pour les Républicains (ou pour la République). Des intellectuels sont victimes du franquisme : Garcia Lorca (poète, dramaturge, peintre, pianiste,) est fusillé. Les régimes fascistes sont très ambigus envers les intellectuels. Ils les critiquent, intellectuels dans leur fumée, non virils, qui ne comprennent pas le monde ; mais ils ont essayé d’en utiliser (Drieu, Brasillach, etc.). De nombreux intellectuels espagnols s’exilent : R. Alberti (poète, dramaturge) en Argentine. Giono : pacifisme intégral. Il préfère tout à la guerre. Lorsque la campagne de France a lieu, il reste pacifiste. uploads/Histoire/ les-intellectuels-en-france-depuis-l-x27-affaire-dreyfus.pdf

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  • Publié le Fev 09, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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