Dialogues d'histoire ancienne. Supplément Corps, sexualité et genre dans les mo
Dialogues d'histoire ancienne. Supplément Corps, sexualité et genre dans les mondes grec et romain Sandra Boehringer, Madame Violaine Sébillotte Citer ce document / Cite this document : Boehringer Sandra, Sébillotte Violaine. Corps, sexualité et genre dans les mondes grec et romain. In: Dialogues d'histoire ancienne. Supplément n°14, 2015. L'histoire du corps dans l’Antiquité : bilan historiographique. Journée de printemps de la SOPHAU du 25 mai 2013. pp. 83-108; http://www.persee.fr/doc/dha_2108-1433_2015_sup_14_1_4062 Document généré le 27/11/2017 Abstract Bodies, Sexuality, and Gender in Ancient Greek and Roman Societies. Gender and sexuality studies in Greece and in Rome provide a fundamental development to the history of the ancient body. At the end of the twentieth century, the theoretical import of gender studies, of women's studies and of Michel Foucault's work have played an important part in the orientations of today's research. Early twenty-first-century research has tended to focus on defining all relevant Greek and Roman categories in the perception of bodies (gender, age, social status, physical appearance, erotic practices, deportment, gestures, quality of voice): the variable importance given to sexual organs in the distinction between bodies, the progress of archeology devoted to identification of skeletons, ancient eroticism, the issue of sexual work in antiquity, all these are subjected to a renewed interest. These studies where archaeology, anthropology, linguistics, political, and social history interact offer a reading aware of the various conceptions of the body according to historical context and to the pragmatical nature of the documents. Résumé Les travaux dans les domaines du genre et de la sexualité en Grèce et à Rome constituent un apport fondamental à l’histoire du corps antique. L’influence théorique des women's studies, des gender studies et des travaux de Michel Foucault, à la fin du XXe siècle, ont joué un rôle important dans l'orientation de la recherche actuelle. Les études du début du XXIe siècle favorisent la mise au jour de l'ensemble des catégories signifiantes grecques et romaines dans la perception des corps (le sexe, l’âge, le statut, l’apparence physique, les pratiques érotiques, la posture du corps, les gestes et la tessiture de la voix) : la place, relative, accordée aux organes sexuels dans la distinction des corps, les progrès de l'archéologie portant sur l'identification du sexe des squelettes, l’érotisme antique, la question du travail sexuel dans l’Antiquité font l'objet d'un intérêt renouvelé. Ces études, qui font se croiser l’archéologie, l’anthropologie, l’histoire politique et sociale et la linguistique, proposent une lecture sensible aux différentes conceptions du corps selon les contextes historiques et les pratiques discursives. DHA supplément 14 Dialogues d’histoire ancienne supplément 14, 2015 Corps, sexualité et genre dans les mondes grec et romain Sandra Boehringer Université de Strasbourg, Archimède UMR 7044 s.boehringer@unistra.fr Violaine Sebillotte Cuchet Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Anhima UMR 8210 violaine.sebillotte@univ-paris1.fr Les problématiques de la recherche actuelle sur le corps dans l’ Antiquité croisent en de nombreux domaines celles des questions de genre et de sexualité. La présentation des problématiques proposée dans cette contribution porte sur une vaste période, depuis l’ époque grecque archaïque jusqu’ à la fin de l’ empire romain (sont donc exclus la Préhistoire, l’ Antiquité tardive et le monde byzantin). Les pistes bibliographiques esquissées ne sont bien évidemment pas exhaustives et les grands tournants épistémologiques sur la question du corps en lien avec le genre et/ou la sexualité (dans la dernière décennie du XXe et au début du XXIe siècle) seront envisagés en lien avec les récentes publications. Il s’ agit d’ interroger le corps antique dans sa dimension sexuelle – au sens actuel d’ identité de sexe et de sexualité. Si la distinction « antique/actuel » est ainsi soulignée, c’ est parce qu’ il est important de rappeler que l’ enquête, à ses débuts, se formule en termes contemporains : ainsi, les mots « beau », « décent », « politique », « sensible », s’ ils sont des axes d’ analyse fréquents lorsque l’ on parle du corps, sont des notions contemporaines. Dans le cas du « genre » et de la « sexualité », il s’ agit de notions et de termes apparus encore plus récemment dans le champ de la recherche en sciences humaines et dans le champ de la recherche sur l’ Antiquité. Par conséquent, une définition des termes de la question est un préalable nécessaire : c’ est une démarche adoptée dans la plupart des ouvrages récents qui abordent les questions de genre et de sexualité, afin que soit distingué le lien entre corps, identité personnelle, identité de sexe et sexualité que nos sociétés élaborent de celui que construisent les Anciens, et afin d’ éviter du mieux possible DHA supplément 14 84 Sandra Boehringer, Violaine Sebillotte Cuchet les amalgames, les raccourcis ou les anachronismes – d’ autant plus fréquents que ceux-ci touchent à des notions que d’ aucuns pensent parfois « éternelles » ou « universelles ». Le genre est un outil d’ analyse qui met en évidence le processus culturel et social de la naturalisation des catégories sexuelles : il révèle l’ historicité de ces catégories (hommes/ femmes, masculin/féminin, homosexuels/hétérosexuels, normaux/déviants), en mettant au jour les étapes et les modalités de ces constructions. La définition de référence sur laquelle les travaux sur le genre se fondent est celle qu’ a développée l’ historienne et théoricienne Joan W. Scott, au cours des années 1980. Le genre, comme interprétation des différences entre les hommes et les femmes, permet d’ étudier un processus de hiérarchisation sociale : « Le genre est un élément constitutif des relations sociales fondé sur des différences perçues entre les sexes, et le genre est une façon première de signifier les rapports de pouvoir1 ». Cette hiérarchisation, qui se fonde sur une métaphore des différences corporelles, n’ oppose pas nécessairement des individus : les rapports de pouvoir ne sont pas toujours des rapports de sexe (homme/femme) mais ils s’ expriment comme des rapports de genre (masculin/féminin), où le genre masculin est le genre dominant. Les travaux les plus récents dans le domaine de l’ histoire des femmes ont favorisé une histoire des rapports entre les sexes : le genre permet de penser la construction des identités hommes/femmes de façon relationnelle, et non antagoniste. Françoise Thébaud, spécialiste française de l’ historiographie de l’ histoire des femmes et du genre, donne dans son ouvrage Écrire l’ histoire des femmes une définition de l’ outil tel qu’ il est pratiqué et répandu en France, durant les années 1990 : « Le genre est en quelque sorte “le sexe social” ou la différence des sexes construite socialement, ensemble dynamique de pratiques et de représentations, avec des activités et des rôles assignés, des attributs psychologiques, un système de croyances. Le sexe est ainsi perçu comme un invariant, tandis que le genre est variable dans le temps et l’ espace, la masculinité ou la féminité – être homme ou femme ou considéré comme tel(le) – n’ ayant pas la même signification à toutes les époques et dans toutes les cultures2 ». Une évolution est notable : la définition ne présuppose plus une hiérarchisation en termes symboliques et propose une « grammaire » – une définition plus large et donc d’ usage plus adapté à des études portant sur des sociétés géographiquement ou chronologiquement éloignées. 1 Scott [1986] 2012, 41. 2 Thébaud 1998, 114. DHA supplément 14 85 Corps, sexualité et genre dans les mondes grec et romain À la même époque, les recherches des philosophes, historiens et anthropologues mettaient en évidence le caractère extrêmement récent de la sexualité, en tant que dispositif, et des catégories homosexualité/hétérosexualité. Identité, habit, port du corps, orientation sexuelle sont particulièrement informés par la façon dont nos sociétés occidentales considèrent l’ érotisme et ses normes. Dans la catégorisation des sexualités actuellement opérante – même si elle l’ est de façon différente, déjà, depuis une vingtaine d’ années – intervient la notion de genre. C’ est moins frappant dans le cas de l’ hétérosexualité, puisqu’ elle est souvent naturalisée, mais bien visible dans le cas de l’ homosexualité. La conjonction entre les questions de genre et de sexualité, analysée par Éric Fassin dans un article intitulé « Genre et sexualité : des langages de pouvoir »3, apparaît avec force dans les figures contemporaines de l’ homme efféminé ou de la lesbienne butch (qu’ il s’ agisse de figures assumées et choisies par les individus eux-mêmes ou de représentations dépréciatives). Par ces figures qui révèlent le lien que nous faisons entre genre et orientation sexuelle se dessine, en creux, une représentation genrée des catégories de la sexualité : les postures, les gestes, les pratiques du corps mais également la forme même de ce corps (sport, esthétisme, perception du poids, de la taille, etc.) sont modelés par les normes culturelles de la sexualité et de l’ identité de sexe. Ce lien est éminemment contemporain : si l’ on veut comprendre les Anciens, il faut distinguer ces deux éléments, et considérer l’ érotisme et la sexualité comme des catégories heuristiques pour éviter d’ en faire des points aveugles et d’ imposer (à notre insu) des grilles d’ analyse anachroniques. uploads/Histoire/ boehringer-sebillotte-2015-corps-sexualite-et-genre-dans-les-mondes-grec-et-romain.pdf
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- Publié le Apv 21, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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