Extrait de la publication Ces voix qui m'assiègent ... en marge de mon autonomi
Extrait de la publication Ces voix qui m'assiègent ... en marge de mon autonomie Page laissée blanche Extrait de la publication Assia Djebar Ces voix qui m'assiègent ...en marge de ma francophonie L E S P R E S S E S D E L ' U N I V E R S I T É D E M O N T R É A L PRIX 1999 DE LA REVUE ÉTUDES FRANÇAISES Attribué tous les deux ans à un auteur francophone, le Prix de la revue Études françaises couronne un essai inédit et s'accompagne d'une bourse offerte par l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). En choisissant de primer l'ouvrage d'Assia Djebar, le jury a voulu souligner l'originalité du parcours de cette écrivaine et la qualité toute particulière de sa propre «voix» dans la littérature contemporaine de langue française. Données de catalogage avant publication (Canada) Djebar, Assia, 1936- Ces voix qui m'assiègent ISBN 2-7606-1750-5 1. Djebar, Assia 1936- 2. Création littéraire. 3. Français (Langue) - Écriture. 4. Écrivains algériens - 20e siècle - Biographies. 5. Écrivaines - 20e siècle - Biographies. 6. Écrivains francophones - 20e siècle - Biographies. I. Titre. PQ3989.2.D57Z466 1999 848 C99-941258-2 © Pour le Canada: Les Presses de l'Université de Montréal, 1999 Dépôt légal: 3e trimestre 1999 Bibliothèque nationale du Québec ISBN 2-7606-1750-5 (PUM) Cet ouvrage est publié simultanément en France par les Éditions Albin Michel: ISBN 2-226-10823-8 Les Presses de l'Université de Montréal remercient le ministère du Patrimoine canadien pour le soutien qui leur est accordé dans le cadre du Programme d'aide au développement de l'industrie de l'édition. Les Presses de l'Université de Montréal remercient également le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) Extrait de la publication Avant-propos L'écrivain est parfois interrogé comme en justice : « Pour- quoi écrivez-vous ? » A cette première question banale, une seconde souvent succède : « Pourquoi écrivez-vous en fran- çais ? » Si vous êtes ainsi interpellée, c'est, bien sûr, pour rappeler que vous venez d'ailleurs. La francophonie a un territoire multiple certes ; mouvant et complexe, certainement. Elle est en outre censée avoir un centre fixe, d'où parlent, écrivent et discutent des Français dits « de souche ». « En marge de ma francophonie », annonce mon sous- titre ; je serais tentée de le compléter : « en marge » mais aussi « en marche ». Oui, mon écriture française est vraiment une marche, même imperceptible ; la langue, dans ses jeux et ses enjeux, n'est-elle pas le seul bien que peut revendiquer l'écrivain ? La plupart de ces textes — où les genres se mêlent : poésie, courtes narrations, analyses — ont été soit improvisés, soit rédigés dans l'urgence, parfois juste avant ma prise de parole. L'attente d'un public, restreint ou important (à Montréal, en Seine-Saint-Denis, à Oslo ou Heidelberg, etc.), me pous- sait à « rendre compte » de mon écriture, de mon trajet, de mon pays. « Prise de parole », donc, en amont de ce livre. Portée par 7 Extrait de la publication Ces voix qui m'assiègent des « voix qui m'assiègent », ma propre voix, ici transcrite, a tenté, surtout au cours de ces années tumultueuses, et sou- vent tragiques, de mon pays, simplement de défendre la culture algérienne, qui me paraissait en danger. Mais vivante, celle-ci demeure, même si certains lui dénient sa multiplicité. Avril 1999 Introduction Un parcours francophone 1957-1997 — Ecrire pour ne pas rester les mains nues ... pour que mon poème serve de route à ce que je ne connais pas, André DU BoucHET, Carnets (février 1953). Extrait de la publication Page laissée blanche Entre corps et voix Depuis si longtemps déjà toujours entre corps et voix et ce tangage des langages dans le mouvement d'une mémoire à creuser à ensoleiller risques de mon écriture d'envol d'exil d'incessants départs repères dans le sable ancestral Ecrire est une route à ouvrir... 1. « Depuis si longtemps déjà : toujours entre corps et voix » - n'est-ce pas d'abord une pulsion d'écriture portée par un corps de femme qui se meut au-dehors qui veut voir au-dehors, 11 Ces voix qui m'assiègent c'est-à-dire les autres corps qui ne se pose pas mais, sans le savoir, s'expose... et ce corps mobile, hésitant, sorti à demi de l'ombre, ne pourrait aller loin, ne pourrait rêver loin ne saurait fixer l'horizon quoi, tous les horizons, sans risquer d'oublier l'ombre et la nuit derrière, là, derrière, tout contre ses épaules oui, ce corps porté soudain de plus en plus vivement en cercles se déroulant multipliés à la fois dans l'espoir et la retenue muette corps sans ancrage mon corps ou celui de mon écriture ? Ce corps s'en va sur le chemin par les sentiers de hasard et c'est alors la voix la voix de ce corps naviguant muet jusque-là, yeux élargis la voix des ombres sororales aussi feuilles au vent cette voix double qui chuchote qui murmure qui roucoule et coule liquide, languide, ne tarit pas la voix sans force ou à corps et à cris 12 Extrait de la publication Ces voix qui m'assiègent la voix hurlante ou à peine véhémente infatigable certes inaltérable un flux sans nulle source de moi des autres des femmes mortes de ma cadette tout près voix de ma fille vacillante ou si forte ma voix multiple qui soulève ce corps le porte haut l'envahit, le bouscule, le tire, l'emplit entre corps et voix ainsi va, cernée, encerclée, mais elle va mon écriture. 2. « Et ce tangage des langages » N'ai-je pas dit, écrit dans L'Amour, la fantasia que : Chez nous, toute femme a quatre langues celle du roc, la plus ancienne, disons de Jugurtha, la « libyque », appelait-on cette berbère le plus souvent rebelle et fauve, la seconde, celle du Livre et des prières cinq fois par jour, celle du Prophète dans sa caverne écoutant, et voyant, et subissant Gabriel, la langue arabe donc qui, pour moi, enfant, se donnait des 13 Ces voix qui m'assiègent airs de précieuse, affichait, pour nous autrefois, ses manières hautaines — nous laissant pour le quotidien son ombre nerveuse et fragile, elle la sœur « dialectale »... - celle-là donc, la langue de la ferveur scandée, propulsée je n 'oublie pas sa musique de soie et de soliloque de chanvre et de lame de couteau son rythme tissé et tressé mystère maîtrisé qui me hante /... la troisième serait la langue des maîtres d'hier, ceux-ci ayant fini par partir, mais nous laissant leur ombre, leur remords, un peu certes de leur mémoire à l'envers ou de leur peau qui s'esquame, disons « la langue franque ». Trois langues auxquelles s'accouple un quatrième langage : celui du corps avec ses danses, ses transes, ses suffocations, parfois son asphyxie, et son délire ses tâtonnements de mendiant ivre son élan fou d'infirme, soudain. Dès l'âge de cinq ans, tracer de ma main portant le roseau ou la plume, de gauche à droite comme de droite à gauche dans l'une ou l'autre de ces langues conquises mais quel est donc cet exercice sinon écrire dans le risque du déséquilibre sinon aller et venir tout le long du vertige sinon se donner l'air de fuir désirer tout quitter les lieux de mort et les lieux de naissance d'enfance 14 Extrait de la publication Ces voix qui m'assiègent serait-ce comme au tourniquet un jeu de rires et de sanglots Tanguer pencher d'un côté de l'autre comme les gens savants disent : « Entre deux mondes Entre deux cultures » Tourner, le mot derviche n'a pas de féminin en français Tourner sans se retourner eh bien quoi danser sans renoncer à l'une des langues de ce corps tressautant et l'on entend les cris de la femme battue tout près quelquefois un long silence tourner ne pas cesser Ecrire donc d'un versant d'une langue vers l'abri noir de l'autre vers la tragédie de la troisième dites-moi, quelle serait-elle, cette troisième ? Tangage des langages, certes ce serait ne pas renoncer à l'espoir à... Le désastre, depuis hier, a commencé. 3. « Repères dans le sable ancestral » Le sable, je n'ai pas encore couru au désert Isabelle, dès le début de ce siècle 15 Extrait de la publication Ces voix qui m'assiègent en grandes foulées avides elle, l'aventurière la rimbaldienne des ksours et des oasis la convertie « dans l'ombre chaude de l'Islam » comme on a dit pour elle, en quelques années rapides de sa jeunesse de son ivresse Isabelle nous a toutes précédées... Ecriture de sable pour celle qui, à la fin, s'est noyée la miraculée la ressuscitée. Mon sable à moi sur des décennies s'effeuille dans la voix de cendre des ancêtres. Les morts, mes morts voraces qui dans les contes de minuit des grand-mères des sorcières redoutables aux yeux noircis et aux paumes écarlates m'ont secouée m'ont presque noyée de leur regard blanc moi, enfant, nous toutes accroupies en cercle nous, les fillettes du patio à la lueur uploads/Histoire/ ces-voix-qui-m-assiegent-en-marge-de-ma-francophonie.pdf
Documents similaires
-
14
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 23, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
- Taille du fichier 0.6345MB