BELGIQUE - BELGIË P.P. BRUXELLES X 1/9464 Bulletin pédagogique n° 50 |BUREAU DE

BELGIQUE - BELGIË P.P. BRUXELLES X 1/9464 Bulletin pédagogique n° 50 |BUREAU DE DéPÔT : BRUXELLES X | N° Agrégation P 801056 | TRIMESTRIEL NUMéRO 50 | AVRIL - MAI - JUIN 2011 | CENTRE D’ÉTUDES ET DE DOCUMENTATION « MÉMOIRE D’AUSCHWITZ » ASBL D ans un texte tardif, Primo Levi cri- tique l’écoute que les jeunes portent au témoignage. Il leur faut, dit-il, des explications claires et franches où victimes et bourreaux sont en rapport les uns avec les autres sans ambiguïté (1). Ne s’arrêtant pas là, il s’interroge sur la responsabilité des témoins : « Avons-nous été capables, nous qui sommes rentrés, de faire comprendre nos expériences ? Ce que nous entendons communément par “comprendre” coïncide avec “simplifier”(2) ». Un peu plus loin, il considère que la transmis- sion de l’histoire « se ressent de cette tendance manichéenne qui répugne aux demi-teintes et aux complexités (3). » Pour approcher de façon juste ces complexités, selon lui, il est alors nécessaire de suspendre son jugement moral et de sortir des stéréotypes. Ce texte, Primo Levi lui donne pour titre : « la zone grise ». On est tenté de faire le rapprochement entre la démarche de Primo Levi et l’exposition Passé coloré. Famille en guerre des deux com- missaires Bruno De Wever (Instituut voor Publieksgeschiedenis) et Rudi Van Doorslaer (SOMA-CEGES). Autrement dit, ce passé coloré, auquel le pluriel conviendrait d’ailleurs mieux du fait de la variété de ses gammes, serait travaillé de l’intérieur par le débat sur les demi-teintes et la zone grise évoquée par Primo Levi. L’exposition prend en effet le parti de la complexité en retraçant les parcours, durant la Seconde Guerre mondiale, d’indivi- dus qui appartiennent à dix familles de Gand. Passé(s) colorisé(s) À propos de l’exposition Passé coloré. Famille en guerre, présentée à l’Abbaye Saint-Pierre de Gand du 25 novembre 2010 au 25 avril 2011. « Comment des gens ordinaires réagissent-ils en des temps extraordinaires (4) ? », est la ques- tion que pose l’argumentaire. En s’appuyant sur les récits de témoins, l’ex- position propose aux visiteurs un parcours en dix espaces répartis selon les différentes familles. Le dispositif se veut très complet : tous les types de supports papier, photo, vidéo, audio sont présents. Complet aussi en ce sens qu’aux témoignages sont associés des archives et des documents historiques qui contextualisent ce que le visiteur entend et lui donnent un sentiment de proximité avec Suite p.2 ➔ Ce passé coloré, auquel le pluriel conviendrait d’ailleurs mieux du fait de la variété de ses gammes, serait travaillé de l’intérieur par le débat sur les demi-teintes et la zone grise évoquée par Primo Levi. B U L L E T I N P É D A G O G I Q U E N U M É R O 5 0 2 les événements. Complet enfin parce que l’on y est fortement sollicité à l’intérieur même de l’exposition (l’usage des audiophones par lesquels on entend les voix de témoins pro- cure une sorte d’intimité avec ces derniers) comme à l’extérieur par un ultime dispositif inhabituel : une télébox placée à la sortie de la salle (il s’agit d’une petite cabine qui, comme un livre d’or audiovisuel, permet aux visiteurs de laisser leurs impressions en se faisant fil- mer). Mais avant d’y accéder, une vaste salle met à disposition dix moniteurs où autant d’historiens et de spécialistes livrent un com- mentaire explicatif des parcours de chaque témoin. La problématique est la suivante : « la guerre pousse à faire des choix. Même 65 ans plus tard, ces choix ne peuvent pas laisser le visiteur indifférent (5). » Ces phrases méritent attention, mais avant cela, quelques mots sur la variété des témoins et de leurs familles. Encore lycéenne, Liliane Steenhaute suit un enseignement qui, du fait de la guerre, est devenu chaotique. Son père, qui est animé par une « fibre patriotique » (sic), côtoie des Allemands, mais sans collaborer avec eux. Ainsi, ces gens-là semblent s’adapter aux contraintes morales et sociales de la vie sous l’Occupation. Le Dr. Albert van Dessel, quant à lui, revient en Belgique après s’être réfugié en France devant l’avancée du front. Il exerce son métier de médecin avec dévouement portant à la population tous les soins pos- sibles. Rika Demoen est caractérisée par sa famille « résolument flamingante » (un de ses membres se porte même volontaire pour le front de l’Est et y trouve la mort). En août 1944, alors que les Alliés sont très proches, les convictions familiales ne changent guère. Pour Roger Rombaut, c’est le travail obligatoire en Allemagne. Sa famille supporte son absence et tente de vivre tant bien que mal. La situation est précaire. Lily Van Oost est résistante, elle se fait arrêter par la Gestapo, puis, après être pas- sée par la prison de Gand, elle est déportée à Ravensbrück. Avec la partie consacrée à Mona Verhaghe, c’est le destin exemplaire de Juifs persécutés, la famille Zwaaf, qui est retracé : arrestation, fuite, clandestinité, incertitude totale et vulnérabilité, bénéficiant malgré cela de l’aide de non-juifs, les Verhaghe. Ainsi, cette section met aussi en valeur le comportement de Justes. Avec le portait de Vic Opdebeeck et de Robert, son mari, l’engagement est radi- calement humaniste et internationaliste (sou- tien aux Républicains espagnols). Robert est déporté en Allemagne et choisit le commu- nisme, animé par une ferveur idéaliste. Hubert Van de Casteele, lui, est un réfractaire au STO qui tente de survivre dans la clandestinité. Il vit à la campagne. Oswald van Ooteghem est l’activiste d’extrême droite d’une exposition qui n’aurait pu se faire sans ce personnage central que l’on retrouve dans chaque com- munauté et dans chaque pays occupé par les nazis. Son parcours : mouvement de jeunesse de la VNV dans laquelle milite le père, Légion flamande, Waffen-SS, front de l’Est. Aucun regret ni remords (un avenir politique l’attend même après-guerre). La famille Bloch est juive, Max Bloch en est la figure exemplaire. Avant d’être arrêté, il subit humiliations et déposses- sion de ses biens dont profite copieusement le collaborateur bien placé auprès des « auto- rités » qui reprend son négoce. Ainsi, l’exposition offre une gamme des diffé- rents comportements durant l’Occupation, du résistant au pronazi, de la majorité silen- cieuse qui s’accommode au Juste sauvant des Juifs, du « planqué » au STO, insistant à deux reprises sur l’engagement ultranationaliste et sur la condition des Juifs persécutés. Malgré et avec toutes ces qualités, plusieurs questions critiques se posent qui nous font revenir à la problématique énoncée plus haut : « la guerre pousse à faire des choix. Même 65 ans plus tard, ces choix ne peuvent pas laisser le visiteur indifférent. » Passé coloré n’a-t-elle pas tendance à mettre tous ces individus sur le même plan, comme si les choix que chacun avait faits pour contri- buer à édifier, diriger ou infléchir son destin bénéficiaient du même degré de libre arbitre ? Comme si nous étions tous libres et égaux devant l’avenir ! En effet, la marge de choix des Juifs persécutés était quasiment nulle dès l’occupation et disparaissait totalement à par- tir du moment où l’appareil policier et admi- nistratif de la Solution finale a commencé à fonctionner grâce aux relais de la collabora- tion locale. La famille devient alors un facteur paralysant sur lequel ont joué les persécuteurs pour mettre en œuvre aussi facilement leur crime. C’est la montée de l’angoisse ressen- tie par ceux qui étaient privés de droit, puis expulsés de l’humanité, dont ce genre de dis- positif ne peut vraiment témoigner, alors que, à l’inverse, dès que l’on est du côté de l’action, résistance ou collaboration, l’individu garde le bénéfice du choix, même si celui-ci lui est fatal. L’action est un privilège que n’ont pas facilement les persécutés. Le risque de mettre ces dix familles au même niveau est paradoxa- lement renforcé par la question de la couleur. On a remarqué ces dernières années que de nombreuses archives ont été traitées en y ajoutant des couleurs qu’elles n’avaient pas ou plus, afin d’être présentées au public sous une apparence plus contemporaine. C’est ce que ne manque pas de faire cette exposition qui, en ce sens, est plus colorisée que colorée. En atteste d’ailleurs son affiche et la couverture de son catalogue. Or, coloriser ne procure-t-il ➔ Suite de la p.1 La famille devient alors un facteur paralysant sur lequel ont joué les persécuteurs pour mettre en œuvre aussi facilement leur crime. C’est la montée de l’angoisse ressentie par ceux qui étaient privés de droit, puis expulsés de l’humanité, dont ce genre de dispositif ne peut vraiment témoigner. a v r i l | m a i | J U I N 2 0 1 1 3 Cher Marcel, Voici que tu nous as brusquement quittés ce 18 février, à l’âge de 78 ans, à notre grande surprise. Ta présence constante, ta régularité à nos côtés, fait que nous n’avions jamais ima- giné que nous pourrions nous séparer un jour. C’est une longue amitié de quelque 30 ans qui s’achève uploads/Histoire/ bulletin-pedagogique-50.pdf

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  • Publié le Dec 15, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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