T Th hé ém ma at ti iq qu ue e N N° ° 1 18 8 – – J Ja an nv vi ie er r 2 20 00

T Th hé ém ma at ti iq qu ue e N N° ° 1 18 8 – – J Ja an nv vi ie er r 2 20 00 09 9 D De e l l’ ’I Ir ra a à à l l’ ’I Ir ra ak k : : T Tr ra an ns sf fe er rt ts s d d’ ’e ex xp pé ér ri ie en nc ce e c co on nt tr re e- -i in ns su ur rr re ec ct ti io on nn ne el ll le e d da an ns s l l’ ’a ar rm mé ée e b br ri it ta an nn ni iq qu ue e Elie Tenenbaum Les thématiques du Centre d’études en sciences sociales de la défense 2 Thématique – N°18 « De l'IRA à l'IRAK. Transferts d'expérience contre-insurrectionnelle dans l'armée britannique » Introduction Dans son discours sur l’état de l’Union pour l’année 2006, le Président des États-Unis, George W. Bush évoquait la guerre contre la terreur (War on Terror) dans laquelle il a engagé sa nation, comme la « longue guerre » (Long War) de sa génération 1. Ce terme de Long War a peu à peu pris sa place aux côtés de celui de guerre contre la terreur et lui est même préféré par un certain nombre d’auteurs, comme le spécialiste des questions militaires, James Carafano, qui a co-publié dès 2005 un ouvrage intitulé Winning the Long War : Lessons from the Cold War for Defeating Terrorism and Preserving Freedom. Mais les observateurs avisés de la scène internationale auront noté que ce terme n’est pas un concept ad hoc inventé par les conservateurs américains. Il désigne d’abord la stratégie terroriste adoptée depuis 1977 par l’Irish Republican Army (IRA) dans sa lutte contre l’armée britannique en Irlande du Nord 2. Bien que la référence à l’Irlande du Nord ne soit que rarement explicite parmi les auteurs qui emploient l’expression, la « métaphore nord-irlandaise » 3 a de plus en plus de succès, notamment depuis la fin de l’Opération Banner en mars 2007 et l’engagement de ce qui est considéré comme l’un des plus éloquents exemples de processus de paix réussi avec l ’accord du Vendredi Saint en avril 1998. Cet intérêt pour l’expérience nord-irlandaise témoigne de l’influence grandissante du paradigme contre- insurrectionnel 4 au sein de la réflexion sur l’anti-terrorisme. Ainsi le très influent penseur David Kilcullen, conseiller stratégique de Condoleeza Rice voit dans l’avènement du terrorisme international une forme « d’insurrection globale » 5. De fait, l’adoption de mesures anti-terroristes contre- insurrectionnelles pousse les appareils de défense occidentaux à se replonger dans leurs expériences contre-insurrectionnelles passées. Cette approche renouvelée de l’anti-terrorisme vient faire écho à une autre mutation du monde contemporain. En effet, la fin de la Guerre froide a vu l’apparition de nouvelles formes d’engagement des forces armées à l’étranger : interventions humanitaires et opérations de maintien de la paix se succèdent depuis 1991. Les caractéristiques de ces nouvelles missions révèlent des similarités structurelles essentielles avec les opérations de contre-insurrection qui s’étaient développées dans le sillage des guerres de décolonisation. Ainsi la notion très actuelle de « guerre parmi la population », 1 « Our own generation is in a Long War against a determined enemy », George W. Bush, State of the Union speech, janvier 2006. 2 Brendan O’Brien, The Long War ; The IRA and Sinn Féin, Dublin, O’Brien Press, p. 23. 3 Emmanuel-Pierre Guittet ; Didier Bigo, « Vers une nord-irlandisation du monde ? », Cultures & Conflits, n°56, hiver 2004, p. 5. 4 Ariel Merari, « Du terrorisme comme stratégie d’insurrection », in Chaliand Gérard (dir.), Les Stratégies du terrorisme, 2002, pp. 73-112 5 Kilcullen David, « Countering global insurgency: a strategy for the war on terrorism », Journal of Strategic Studies, vol. 28, n°4, août 2005, pp. 519-617. 3 développée par le général britannique Rupert Smith 6 et reprise par la doctrine française de l’Armée de Terre 7, rappelle fortement les problématiques contre-insurrectionnelles, telles qu’elles ont été développées dans le passé — des « petites guerres » de Callwell (1898) aux « opérations de basse intensité » de Kitson (1971) en passant par la « guerre dans la foule » de Némo (1956) et la « contre-insurrection » de Galula (1963). Ces deux problématiques — le retour de la guerre non-conventionnelle et l’adoption d’un paradigme contre-insurrectionnel dans la lutte contre le terrorisme — convergent de manière évidente dans les opérations extérieures actuellement menées en Afghanistan et en Irak, devenues de facto les laboratoires stratégiques de la « réactualisation des savoir-faire coloniaux en OPEX [opérations extérieures] » 8. Dans cette problématique générale du retour des doctrines contre-insurrectionnelles, l’expérience britannique trouve une place à part. Sa spécificité tient entre autres à sa richesse. Fort d’une pratique de deux siècles d’imperial policing, l’appareil militaire britannique s’est trouvé confronté depuis 1945 plus fréquemment qu’aucun autre à des situations de contre-insurrection : en Palestine (1945-1948), en Malaisie (1948-1960), au Kenya (1952-1960), à Aden (1964-1967) et en Irlande du Nord (1969-2007). Dans ce corpus d’expériences, celle de l’Irlande du Nord est peut-être la plus intéressante à étudier dans le cadre d’un éventuel transfert d’expérience vers les opérations en cours en Irak. Parce qu’étant la plus récente, elle est susceptible d’avoir le plus grand impact sur les pratiques actuelles de l’armée britannique. En termes constructivistes, on parlerait de représentation générationnelle 9 : du fait même que nombre d’officiers britanniques ont été formés par les pratiques opérationnelles en Ulster, elles tendront davantage à se refléter dans leurs actions futures. Dès lors, il peut apparaître comme légitime de s’interroger sur les modalités du transfert d’expérience contre-insurrectionnelle au sein de l’armée britannique. Bien qu’il soit sans doute possible de mener une telle étude sur les différents fronts passés et présents, par souci de concision et de clarté, nous nous concentrerons sur les éventuels transferts entre les deux théâtres d’opérations que sont l’Irlande du Nord et l’Irak. Dans ce dessein, il conviendra en premier lieu de poser les concepts et le contexte sur lesquels repose la contre-insurrection, puis de mettre en évidence les modalités d’un tel transfert, et enfin d’un analyser le contenu et les limites dans les pratiques militaires. 6 Rupert Smith, The Utility of Force, Londres, Penguin, 2006. 7 Centre de Doctrine et d’Emploi des Forces (CDEF), « Gagner la bataille – conduire à la paix » Les forces terrestres dans les conflits aujourd’hui et demain (FT-01), Paris, janvier 2007. 8 Christian Olsson, « Guerre totale et/ou force minimale ? Histoire et paradoxes des “cœurs et des esprits” », Cultures et conflits, n°67, janvier 2008. 9 L’idée est introduite par Robert Jervis dans son ouvrage principal, Perspeptions and Misperceptions in International Relations, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1976. 4 La contre-insurrection britannique, concepts et contexte Principes fondamentaux de la contre-insurrection La contre-insurrection n’est pas un « concept premier » dans la pensée militaire. Il s’agit, comme son préfixe l’indique, d’une notion réactive, l’initiative provenant de l’insurrection. Or ce terme lui-même est loin d’être aisé à saisir. Il est souvent aujourd’hui employé de manière confuse, se mêlant à de nombreux autres connexes comme guérilla, conflit asymétrique, guerre irrégulière (ou non conventionnelle), conflit de basse intensité, guerre révolutionnaire, etc. Afin d’articuler une réflexion sur des bases saines, il est nécessaire de procéder à des distinctions de concepts et de poser clairement les fondements théoriques ainsi que le contexte historique dans lesquels nous allons évoluer. De la guérilla à l’insurrection La guérilla, ou « petite guerre » comme elle était appelée jadis, est un phénomène ancien, remontant aussi loin qu’il est possible de trouver des sources écrites. Cette invariabilité historique tient à ce qu’elle découle d’un concept particulièrement simple et banal dans les relations sociales : l’asymétrie. La guérilla, c’est la guerre du faible contre le fort. Selon Gérard Chaliand, spécialiste incontesté des affrontements asymétriques, la guérilla se définit comme une « forme de conflit particulier utilisée par le faible contre le fort, [caractérisée] par le refus du combat frontal décisif, l’emploi du harcèlement et de la surprise » 10. En cela, le premier texte de la civilisation occidentale, La Bible, contient déjà des exemples de conflits asymétriques, le plus célèbre étant l’épisode du jeune David affrontant le géant Goliath dans la vallée d’Élah (Samuel, 1 : 17). Certes, il s’agit d’abord d’un duel, mais comment souvent dans la Bible les récits sont autant de métaphores. Or, que symbolise ce combat, si ce n’est le triomphe du faible sur le fort par l’emploi d’une technique sortant des conventions de la guerre d’alors — un combat à l’épée et au bouclier ? L’Anabase de Xénophon ou encore la Guerre des Gaules de Jules César, narrent elles aussi, les tribulations d’armées classiques aux prises avec des adversaires asymétriques. Ainsi, l’un des ennemis les plus redoutables de César est certainement le roi belge, Ambiorix, chef des Éburons, qui pratiquait des « coups de mains » contre la XIVe légion, et s’enfuyait immédiatement par la suite uploads/Histoire/ c2sd-thematique18-pdf.pdf

  • 38
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Nov 25, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.3769MB