CODESRIA Bulletin, Nos 3 & 4, 2006 Page 12 L a colonisation fait partie, sans d
CODESRIA Bulletin, Nos 3 & 4, 2006 Page 12 L a colonisation fait partie, sans doute possible, des événements dont le poids et la mesure sont lourds dans l’histoire. Vers 1760, les em- pires coloniaux européens couvrent 18% de la surface de la planète et contiennent 3% de la population mondiale. En 1914, au moment de leur apogée, ils s’étendent sur 39% de la terre et comptent 31% de la population mondiale. Si elle semble avoir aujourd’hui disparu, à l’exception de quelques confettis, elle pèse fortement sur les pays devenus indépen- dants et dans les relations internationales. Le passé colonial suscite toujours des dé- bats politiques tant dans les anciennes colonies et métropoles qu’entre les premiè- res et les secondes. La loi française du 23 février 2005 en est la parfaite illustration. Dans le domaine de la recherche la colo- nisation a fait l’objet d’une abondante lit- térature dans le passé. Après une brève éclipse, elle connaît un renouveau avec la multiplication des thèses, colloques, ouvrages et articles de revue qui lui sont consacrés. De nouvelles questions sont posées, de nouveaux objets définis et de nouvelles approches expérimentées. Ce renouvellement ne trouve pas toujours et partout sa traduction concrète dans l’enseignement du fait colonial. Comment enseigner la colonisation dans nos pays ? Quels programmes, quels manuels et quelle formation des professeurs assurer ? L’évaluation des programmes et des ma- nuels maghrébins et français montre, à l’évidence, que la colonisation est ensei- gnée dans des perspectives strictement nationales. Une perspective d’histoire mondiale rendrait mieux compte de la com- plexité du phénomène. Les retombées di- dactiques concerneraient, à la fois, la chronologie, les concepts et le vocabulaire, les contenus et les documents utilisables en classe. Il deviendrait alors possible de préparer des séquences d’enseignement. L’enseignement de la colonisation : des perspectives nationales L’enseignement de l’histoire est dominé, depuis son institutionnalisation, à la fin du 19e s, par une finalité quasi-unique : construire la nation et renforcer la cons- cience nationale. À plus d’un siècle de distance, les instructions officielles et les programmes maghrébins réaffirment cette finalité assignée à la discipline et symbo- lisée en France par le rôle de E. Lavisse. En France, à l’exaltation de la colonisa- tion et de l’empire succède l’occultation de la décolonisation et de la guerre d’Al- gérie. Les programmes et les manuels ont fait l’objet de nombreuses études critiques en France même. Les réalités didactiques sont moins bien connues. L’étude de la colonisation est inscrite en classe terminale dès la circulaire V. Duruy de 1865 qui intègre le Second Empire au programme. Elle est abordée, en partie, en classe de 1re et ; à partir de 1902, en classe de 3e. Elle disparaît de l’enseignement des collèges de 1923 à 1946 puis de 1957 à 1962 ( Lantheaume 2000). Aujourd’hui, elle fi- gure dans les programmes de classes de 4e et de 1ere. Son enseignement suit un mo- dèle inauguré par l’école de la 3e Républi- que. Il repose sur une conception purement nationale des évènements qui lie un siècle d’histoire à la colonisation. Si l’histoire de la colonisation et de l’Outre-mer est margi- nalisée à l’université et dans la recherche, elle est bien présente dans l’enseignement. Elle articule à l’idée d’empire, la mission ci- vilisatrice de la colonisation et la grandeur de la nation. Les programmes le rappellent en 1938 en demandant aux enseignants de « consacrer l’attention qui se doit à la France d’Outre-mer qui n’a, peut-être pas tenu jusqu’ici dans les programmes toute la place désirable » (Lefeuvre 1993). La lecture des manuels fait ressortir de nombreuses lacunes. L’enseignement de la colonisation se réduit à une vulgate minimale. L’absence de bilan de la coloni- sation se retrouve dans tous les manuels. Des informations ponctuelles et souvent indirectes, le bilan de la colonisation fran- çaise apparaît comme positif pour la colo- nie et, dans une moindre mesure, pour la puissance coloniale (Lantheaume 2000). Les enseignants considèrent que les ma- nuels abordent la colonisation de manière trop discontinue puisqu’elle ne figure au programme qu’en classe de 4e et de 1re. Ils critiquent aussi l’impasse faite sur les mé- thodes des conquêtes coloniales (guerre et violence de toutes sortes) et sur le sys- tème colonial lui-même (inégalité et autori- tarisme administratif et politique) (Les ma- nuels scolaires 2002 : 180). En 2001, M. T. Maschino a fait une enquête auprès des enseignants sur le déroulement des cours consacrés à la colonisation (Maschino 2001). «On n’insiste pas trop, reconnaît un instituteur, sur les mauvais côtés de la colonisation ». En classe de 4e des collèges, « rien n’est dit aux élèves qui abordent le partage du monde des métho- des (exactions et pillages) utilisées. Le sys- tème colonial et les résistances qu’il suscite sont évacués ». Il y a un grand vide, admet une enseignante, « entre la mise en place du système impérialiste et sa contestation ». La décolonisation est intégrée dans les programmes de classe terminale entrés en application en 1962. Ils prévoient l’étude du monde contemporain avec d’un côté la naissance du monde contemporain (de 1914 à nos jours) et les civilisations du monde contemporain dont celle du monde musulman. Elle est introduite dans les collèges en 1971 et, dans les années 1980, elle est abordée en 4e, 3e, 2e et terminale. Dans cette dernière classe, la décolonisa- tion de l’Algérie est répartie dans trois cha- pitres : la décolonisation et les relations in- ternationales, la 4e République et la 5e Ré- publique. L’approche privilégie l’histoire intérieure française, la décolonisation n’étant plus qu’un appendice de celle –ci. La guerre d’Algérie1 peut théoriquement être étudiée dans les lycées dés les années 1960 avant même qu’elle ne soit terminée. Elle s’inscrit dans la partie du programme consacrée à la naissance du monde con- temporain (de 1914 à nos jours) et dans celle qui concerne les relations interna- tionales à partir de 1962. Actuellement, tous les élèves de l’enseignement secon- daire rencontrent la guerre d’Algérie en classe de 3e et en terminale dans le cadre La colonisation dans une perspective d’histoire mondiale* Tayeb Chenntouf Université d’Oran, Algérie « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de la chasse continueront à glorifier le chasseur » (Proverbe africain) CODESRIA Bulletin, Nos 3 & 4, 2006 Page 13 des chapitres sur la France depuis 1945 et la décolonisation. L’expression guerre d’Algérie apparaît dans les manuels en 1971 seulement et il faut attendre les ma- nuels de 1983 pour la voir traitée de ma- nière systématique en même temps que les autres guerres coloniales. Aujourd’hui encore, elle fait l’objet de vifs débats franco-français, algéro-algériens et franco-algériens. Son enseignement en France soulève des problèmes de chrono- logie, de vocabulaire et de la trop grande dispersion non encore résolus.2 Sa récep- tion par les élèves peut être appréciée grâce à une enquête auprès des jeunes français, âgés de 17 à 30 ans. Elle a été réalisée par l’université de Paris 8 puis publiée et com- mentée par le Monde sous le titre: « Guerre d’Algérie : la mémoire apaisée ».3 69% des jeunes interrogés affirment avoir entendu parler de la guerre d’Algérie d’abord par la télévision puis par leurs professeurs. Ils sont 80,50% à considérer qu’on ne leur a pas suffisamment parlé de la guerre d’Al- gérie à l’école.4 Dans les pays du Maghreb, dès les indé- pendances politiques, les finalités de l’en- seignement de l’histoire s’inscrivent éga- lement dans des perspectives nationales. Il s’agit de construire les identités natio- nales, de renforcer la cohésion nationale et sociale. Les réformes en cours ne mo- difient pas de manière qualitative ces fi- nalités.5 Paradoxalement, elles sont davan- tage centrées sur les identités nationales. Les nouveaux programmes et manuels met- tent l’accent sur les résistances à l’occupa- tion coloniale et les luttes pour l’indépen- dance. Comparativement aux deux pays voisins, la guerre d’indépendance occupe en Algérie une place stratégique. Deux manuels conformes aux nouveaux programmes sont édités au Maroc en 2003 pour les classes de 8e et 9e année de l’école fondamentale (Casablanca : Maison d’Édi- tion marocaine). Le premier est divisé en deux parties. La première, relative à l’Eu- rope du 17e au 19e s, traite des changements économiques (la révolution industrielle) puis les deux révolutions américaine et fran- çaise, enfin de l’impérialisme européen au 19e s. La seconde, soit au total seize cours, traite le monde musulman face aux offensi- ves européennes du 17e au 19e s : l’empire ottoman (2 cours), l’Algérie, la Tunisie et la Libye (1 cours chacun), l’Afrique avant et après la conquête coloniale (2 cours). Le reste, soit neuf cours, est consacré à l’his- toire du Maroc, des débuts de la dynastie alaouite au protectorat français en passant par les interventions et la pénétration euro- péenne au 19e s. Le manuel de 9e année est lui aussi divisé en deux parties. La première porte sur les évènements mondiaux : Première Guerre mondiale, Révolution russe, Crise écono- mique mondiale et Deuxième Guerre mon- diale. La seconde est entièrement consa- crée aux mouvements de libération dans uploads/Histoire/ chentouf 1 .pdf
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- Publié le Oct 01, 2021
- Catégorie History / Histoire
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