L’ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES INNOVATION INVENTION, ÉRUDITION, DE 1868 À N

L’ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES INNOVATION INVENTION, ÉRUDITION, DE 1868 À NOS JOURS C réée en 1868 par Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique de Napoléon III, l’École pratique des Hautes Études a traité depuis ses origines des disciplines extrêmement variées, et parfois très rares, tout en mettant l’accent sur la méthode expérimentale, que ce soit dans les laboratoires des disciplines scientifi ques dites exactes ou dans les séminaires (« conférences ») des sciences appelées aujourd’hui humaines et sociales. En cent cinquante ans, l’École pratique des Hautes Études a vu défi ler une remarquable série de savants qui en ont fait une institution d’apprentissage appuyée sur un dynamisme exceptionnel : ainsi Émile Benveniste, Claude Bernard, Marcellin Berthelot, Alfred Binet, Michel Bréal, Paul Broca, George Dumézil, Étienne Gilson, Sylvain Lévi, Claude Lévi-Strauss, Gaston Maspero, Gabriel Monod, Gaston Paris, Louis Pasteur, Ferdinand de Saussure, Germaine Tillion, etc. Sans en être toujours consciente, l’Université a progressivement adopté des méthodes, ainsi celle du séminaire, qui ont d’abord été mises au point, pour la France, à l’EPHE. Cet ouvrage retrace l’histoire extraordinairement riche d’un projet d’enseignement combiné à un idéal scientifi que élevé qui n’a que peu d’équivalents dans le monde. 978-2-7572-1326-1 45€ L’ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES INNOVATION INVENTION, ÉRUDITION, DE 1868 À NOS JOURS L’ÉCOLE L’ÉCOLE PRATIQUE PRATIQUE PRATIQUE PRATIQUE DES HAUTES DES HAUTES INVENTION, INVENTION, INNOVATION ÉRUDITION, ÉRUDITION, DE 1868 À NOS JOURS DE 1868 À NOS JOURS L’ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES INNOVATION INVENTION, ÉRUDITION, DE 1868 À NOS JOURS Sous la direction de Patrick Henriet COMPARATISME ET ANTHROPOLOGIE ◆ 579 Page précédente et page 580 Fig. 1 | Léon de Rosny (1837-1914) en 1897, dans son cabinet de travail de l’avenue Duquesne. Photo prise à l’occasion de sa troisième réélection à la présidence de l’Alliance scientifique universelle. Parution dans D. Marceron, Pensées extraites des ouvrages de Léon de Rosny, Paris, 1897. On se reportera, pour un décryptage approfondi de cette étonnante mise en scène, au remarquable commentaire de Fabre-Muller, Leboulleux et Rothstein (2014), p. 179-180. Derrière Léon de Rosny, la svastika lévogyre, symbole d’amour, et le bouddha Amitābha, qui avait « promis de ne pas entrer au nirvana tant que tous les êtres n’y seraient pas », un texte du philosophe taoïste chinois Tchang Tseu (ive siècle avant J.-C.), ou encore une carte de l’Amérique (America antiqua). Sur la table devant lui, Léon de Rosny a placé entre autres un moulin à prières tibétain, un bouddha et un crucifix. Devant la table, des livres portant sur l’Amérique précolombienne (à la verticale) et sur l’Orient (à l’horizontale), ainsi qu’un bassin cultuel tripode. L’idéal syncrétique de Léon de Rosny, qui avait développé la doctrine du « bouddhisme éclectique », ne connaissait pas de frontières. Ci-contre Fig. 2 | Léon de Rosny (1837-1914) dans sa bibliothèque, avec ses boîtes pleines de fiches. COMPARATISME ET ANTHROPOLOGIE L a création d’une École pratique des Hautes Études regroupant des disciplines rares, auxquelles on n’accède qu’en plus d’études plus générales, autorisait les échanges sur la base de formations initiales partagées et de recherches croisées. Mais l’ambition comparatiste comme telle, accompagnant l’exploration des grands empires coloniaux, était inscrite dans le projet encyclopédique d’étude historique et critique des religions du monde qui motiva en Europe l’institutionnalisation des sciences laïcisées des religions et notamment, en France, stimulée par Maurice Vernes, la fondation de la section des Sciences religieuses à l’EPHE1. On sait qu’Al- bert Réville, ex-pasteur de la mouvance libérale, qui fut son premier président de février 1886 à sa mort en 1906, avait eu à honorer dès 1880 la chaire d’« Histoire des religions » que l’appui de Renan lui avait permis d’inaugurer au Collège de France : après des Prolégomènes (1881), lui qui n’était spécialiste que du christia- nisme publia donc, pour répondre à cet intitulé, une Histoire des religions en quatre volumes (1883-1889). Dans cette synthèse forcément généraliste, il se faisait tour à tour vulgarisateur des « religions des peuples non civilisés », des religions des Amé- rindiens et de « la religion chinoise », premiers paliers de ce qu’il envisageait – selon l’expression de son fils Jean Réville, qui fut son collègue à l’EPHE et qui lui succéda brièvement au Collège de France (1906-1908) – comme des « phases successives de l’histoire des religions » orientées vers une progressive prise de conscience de l’homme par lui-même2 : il dessinait là le chapitre qui lui était le moins familier du programme même des enseignements qu’il allait promouvoir dans la future section. De son côté, Alfred Loisy avait donné de 1901 à 1904 à la section des Sciences reli- gieuses un cours libre qui porta d’abord sur « Les rapports de la Bible et de l’assyrio- logie » ; de 1924 à 1927, il avait encore assuré la direction d’études sur les religions d’Israël et des Sémites occidentaux ; mais c’est sur la chaire d’Histoire des religions Renée Koch Piettre 1 Voir les campagnes politico-médiatiques que mena le promoteur français d’un enseignement laïcisé des religions, Maurice Vernes, dans Cabanel (2016). 2 Réville, A. (1881 ; 1883-1889) ; Réville, J. (1909). 578 ◆ ANTHROPOLOGIE RELIGIEUSE, COMPARATISME, FOLKLORE 580 ◆ ANTHROPOLOGIE RELIGIEUSE, COMPARATISME, FOLKLORE COMPARATISME ET ANTHROPOLOGIE ◆ 581 au Collège de France (1909-1932) qu’il s’était à son tour évertué à embrasser toutes les religions du monde, à partir de la notion de « sacrifice » qu’il comprenait comme un acte rituel de renoncement d’où devait progressivement émerger une morale du don de soi en faveur d’une humanité meilleure3. Il est donc piquant de constater qu’aux mains de trois militants de la laïcité venus du christianisme, la réalisation individuelle de l’ambition comparatiste la plus large sur la question des religions eut d’abord pour théâtre le Collège de France4. Paradoxalement, le seul qui en ce temps-là s’y soit essayé à la « Cinquième » échoua dans sa candidature au Collège : il s’agit de Léon de Rosny (1937-1914), directeur adjoint (30 janvier 1886) puis directeur d’études (de février 1903 à novembre 1907) pour les « Religions de l’Extrême-Orient et de l’Amérique indienne » (ces dernières enseignées plus particulièrement par Georges Raynaud dès 1894). Léon de Rosny avait par ailleurs occupé pendant quatre décennies la chaire de Japonais de l’École des Langues orientales tout en publiant des textes chinois, en s’intéressant aux « Mœurs des Aïno, insulaires de Yéso et des Kouriles » comme aux « Vierges mères de l’Orient », en étudiant « L’écriture hiératique de l’Amérique centrale », en mul- tipliant les fondations – une Société d’Ethnographie, une Société américaine de France, le Congrès international des Orientalistes, le Congrès des Américanistes, puis le Congrès des Sciences religieuses, voire une Alliance scientifique universelle. La donation qu’il fit de son impressionnante bibliothèque à la Bibliothèque muni- cipale de Lille, dans un souci de démocratisation des sciences, avec notamment d’inestimables fonds japonais et chinois, a été récemment rappelée5. Pourtant, à force d’ignorer les frontières disciplinaires, ce prodige d’érudition autodidacte parut dériver hors du champ scientifique, allant jusqu’à militer pour un « bouddhisme éclectique » qui suscita dans le public autant d’engouement que de critiques et ne manqua pas d’embarrasser les administrateurs des deux écoles où il professait de manière toujours plus irrégulière6. Il reste que ses travaux d’Hercule ne cessaient d’accompagner la noble conviction que les langues sont partout un fait culturel, que l’humanité est une malgré sa bigarrure, et qu’en dépit de la supériorité de la civilisation européenne (à l’instar de ses contemporains, il l’admettait comme une évidence) le classement des peuples sur l’échelle de l’évolution selon des critères d’anthropologie physique est dénué de tout fondement. Ses Premières notions d’Ethnographie générale (1885) étaient en avance sur les préjugés de son temps au sujet de groupes humains que la section des Sciences religieuses allait longtemps étudier sous l’intitulé « Religions des peuples non civilisés ». Entre naufrage et isolement, dominée d’avance par des réalisations monumentales plus anciennes (Constant, Creuzer) ou contemporaines (Max Müller, Tylor, Salomon Reinach, Frazer)7, l’ambition comparatiste serait restée sans lendemain à l’EPHE, 3 Loisy (1920), voir Koch Piettre (2007). 4 Cela s’explique aussi, bien entendu, par la diffusion plus large des enseignements du Collège. 5 Fabre-Muller et al. (2014), 301-307. 6 Ses travaux embrassaient aussi la géographie et les sciences naturelles. « Quand on apprend qu’il écrivit aussi sur l’écriture maya, les lacs finlandais, le cactus raquette algérien, on ne cherche pas plus loin et on le classe parmi les amateurs touche-à-tout. Malheureusement on ne va pas y voir de plus près », écrit le japonisant François Macé dans sa préface à l’ouvrage de réhabilitation consacré à Léon de Rosny par ses arrière-petits-enfants : Fabre-Muller et al. (2014), 16. Voir aussi dans l’Annuaire de la section des Sciences religieuses le « Rapport sommaire » de l’exercice 1907-1908, 39 (départ de Léon de Rosny et duplication de sa chaire), et dans celui de l’exercice 1913-1914 la notice nécrologique évoquant la carrière de Léon de Rosny, 62-64. 7 Constant (1824-1831) ; Creuzer (1810-1812) ; Müller (1898-1903) ; Tylor (1871) ; Reinach (1909) ; Frazer (1890-1915). remplacée par des revues pluridisciplinaires8, des manuels9 uploads/Histoire/ comparatisme-et-anthropologie-pdf.pdf

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  • Publié le Mar 30, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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