JEAN FOURASTIÉ OU LE PROPHÈTE REPENTI Régis Boulat Presses de Sciences Po | « V
JEAN FOURASTIÉ OU LE PROPHÈTE REPENTI Régis Boulat Presses de Sciences Po | « Vingtième Siècle. Revue d'histoire » 2006/3 no 91 | pages 111 à 123 ISSN 0294-1759 ISBN 2724630327 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2006-3-page-111.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Vingt ans plus tard, alors que les critiques se multiplient à l’encontre de la « civilisation de la consommation », Fourastié s’alarme lui aussi des excès les plus aberrants du consumérisme. Une relecture attentive de l’ensemble de son parcours intellectuel per- met de nuancer ce revirement et de rendre justice à la cohérence de son œuvre. Jean Fourastié est né le 1 5 avril 1 907 dans un petit village de la Nièvre, au sein d’une famille aux racines paysannes et catholiques. Il fut tou- jours très attaché à la propriété familiale de Douelle, dans le Quercy1. Déçu par l’École cen- trale, ne se sentant pas une vocation d’ingé- nieur2, il poursuit ses études à l’École libre des sciences politiques. Il suit peu les cours, sauf ceux de Charles Rist et de Jean Romieu sur le service public, qui renforcent sa conviction d’entrer au service de l’État3. Commissaire contrôleur des assurances en 1 932, il devient rapidement un expert reconnu. Sa thèse sur le contrôle par l’État des sociétés d’assurances4 fait l’objet de comptes rendus élogieux et son action aux côtés de Gabriel Chêneaux de Ley- ritz, directeur des Assurances, aboutit à des réformes importantes. En témoignent le décret-loi du 1 4 juin 1 938 qui crée un nouveau régime juridique d’assurance ou la rédaction, avec Maxime Malinski, d’un plan comptable pour les assurances censé combler le fossé exis- tant, selon Fourastié, entre le concret et la science économique. Pendant la seconde guerre mondiale, il renforce sa réputation d’expert en participant aux travaux du Comité d’organisation des assurances, à ceux de la com- mission du Plan comptable et en publiant des ouvrages sur la comptabilité5. Son parcours et son amitié avec Chêneaux de Leyritz lui ouvrent les portes du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) où il devient chargé de cours en 1 941 , en remplacement de Malinski, frappé par la loi du 3 octobre 1 940. À la Libération, « l’expert » connaît enfin la consécration avec la parution de L’Économie française dans le monde, essai de géographie éco- nomique qui s’appuie sur des indices fondamen- taux (tel le rendement du travail) pour tenter de rassurer l’homme « quant au pouvoir qu’il peut exercer sur les esclaves mécaniques que sa science a créés » et appeler à un plan de rénova- (1) Jean et Jacqueline Fourastié, Jean Fourastié entre deux mondes, Paris, Beauchesne, 1 994. Sur Fourastié, voir la récente anthologie présentée par Jean-Louis Harouel, Jean Fourastié, productivité et richesse des nations, Paris, Gallimard, 2005. (2) Jean Fourastié, Le Progrès technique et l’évolution économi- que, cours de l’Institut d’études politiques de Paris, Paris, Les Cours de droit, 1 957, p. 19. (3) Jean et Jacqueline Fourastié, op. cit., p. 39. (4) Jean Fourastié, Le Contrôle de l’État sur les sociétés d’assu- rances, thèse de doctorat, Paris, faculté de droit, 1 937. (5) Olivier Dard, « Le comité d’organisation des sociétés d’assurances et de capitalisation entre technique et politique », in Hervé Joly (dir.), Les Comités d’organisation et l’économie diri- gée du régime de Vichy, Caen, Centre de recherche d’histoire quantitative (CRHQ), 2004, p. 1 91 -1 99 ; id., « Fourastié avant Fourastié : la construction d’une légitimité d’expert », French Historical Politics. Culture and Society, 22 (1), printemps 2004, p. 3-1 7. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.156.149.85 - 09/07/2020 00:03 - © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.156.149.85 - 09/07/2020 00:03 - © Presses de Sciences Po 112 RÉGIS BOULAT tion économique s’opposant « à la philosophie des coteaux modérés »1. L’ouvrage, auquel la critique réserve un bon accueil, attire l’attention de Jean Monnet qui lui demande de rejoindre son « club des optimistes ». Désormais homme d’action, économiste non conformiste et profes- seur, Jean Fourastié peut promouvoir, tant auprès des élites que du grand public, une syn- thèse subtile fondée sur les rapports existants entre production croissante, consommation croissante, productivité et migrations profes- sionnelles. Il est alors convaincu que la hausse du niveau de vie entraîne une consommation de masse et amène « l’homme moyen », dont il a une conception élitiste, à transformer son genre de vie. Toutefois, à la fin des années 1 950 (période qui peut être considérée comme « bissectrice des Trente Glorieuses2 »), cet « humanisme optimiste3 » est tempéré par de sérieuses réserves. Fourastié découvre, après Keynes, que l’homme n’est décidément pas un acteur économique rationnel puisque la con- sommation de masse donne naissance à une « civilisation de consommation » dont il est le « roi illusoire ». Cette dénonciation d’une alié- nation par les objets s’insère dans un courant de critiques diverses – la filmographie de Jacques Tati en constitue un bon exemple. S’il est pro- fondément déçu, Fourastié n’en renie pas pour autant ses essais antérieurs destinés au grand public. Surtout, ses critiques ne se teintent pas d’anti-américanisme : les États-Unis restent pour lui le pays où règne une mentalité « progressiste ». Ainsi, il nous semble légitime d’étudier ce qui, dans les premiers travaux de Fourastié, concerne le développement d’une consomma- tion de masse, avant de développer les réserves qu’il formule dans les années 1 960, réserves dont les Quarante Mille Heures (1 965), constitue une synthèse intéressante. La « faculté de consommer » Au début des années 1 950, sous l’influence de Jean Fourastié et de la campagne franco-améri- caine d’accroissement de la productivité, la France prend conscience du caractère interactif du phénomène « consommation » et attache une importance grandissante à cerner les ten- dances de la demande, même si le consomma- teur reste, au final, le grand absent des débats4. Un nouvel humanisme optimiste Au Plan, Jean Fourastié travaille notamment avec René Magron, polytechnicien chargé par Monnet de mener des études sur la main- d’œuvre et la productivité, ou avec Robert Mar- jolin qui lui prête, au début de l’année 1 946, les Conditions du progrès économique de Colin Clark paru en 1 940. Admiratif, Fourastié considère que les travaux pionniers de Clark – qui utilise la productivité comme mesure de la croissance – rejoignent ses propres recherches sur l’évolu- tion du progrès technique, son intensité varia- ble dans différents secteurs économiques. Il en rédige un compte rendu enthousiaste, signalant que l’évolution des niveaux de production et de consommation en France ont été largement sous-estimés par les économistes5. Parallèle- (1) Jean Fourastié et Henri Montet, L’Économie française dans le monde, Paris, PUF, 1 945. (2) Jean-François Sirinelli, « 1 965, l’aube des vingt décisives », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La France d’un siècle à l’autre, Paris, Hachette Littératu- res, 2002, p. 81 -88. (3) Nous empruntons cette formule à Pierre Bize, « L ’humanisme optimiste de Jean Fourastié », Humanisme et Entreprise, 1 990. (4) Alain Chatriot, Marie-Emmanuelle-Chessel et Matthew Hilton, « Introduction », in Alain Chatriot, Marie-Emma- nuelle Chessel et Matthew Hilton, Au nom du consommateur. Consommation et politique en Europe et aux États-Unis au XXe siè- cle, Paris, La Découverte, 2004, p. 7-25. (5) Jean Fourastié, « Le livre de Colin Clark, les conditions du progrès économique », Revue d’économie politique, 2, avril- juin 1 946, p. 206. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.156.149.85 - 09/07/2020 00:03 - © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.156.149.85 - 09/07/2020 00:03 - © Presses de Sciences Po JEAN FOURASTIÉ 113 ment, à la fin de l’année 1 946, Jean Monnet l’envoie, à sa demande, en mission en Suède et aux États-Unis. La solidité des institutions éco- nomiques américaines, les parkings de voitures uploads/Histoire/ boulat-jean-fourastie-ou-le-prophete-repenti.pdf
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- Publié le Jui 28, 2021
- Catégorie History / Histoire
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