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www.lemangeur-ocha.com – Texte exclusif – Le « Repas gastronomique des Français » inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Unesco par Julia CSERGO Mise en ligne : 19 Septembre 2011 1 Le « Repas gastronomique des Français » à l’Unesco : éléments d’une inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité Julia Csergo Le 16 novembre 2010, le « Repas gastronomique des Français » a été inscrit sur la liste représentative du Patrimoine Culturel Immatériel de l’humanité, en référence à la Convention Unesco de 20031. La réception de cette inscription, souvent saluée comme le couronnement international de « la gastronomie française » et de son excellence, a démontré combien le concept même de patrimoine culturel immatériel, tout comme l’esprit de cette Convention, étaient peu compris en France. Retracer aujourd’hui la genèse de cette candidature, les contraintes rencontrées dans la démarche, le sens et les enjeux de l’inscription de ce qui constitue une pratique sociale, nous permet non seulement de mieux cerner le concept de patrimoine culturel immatériel, mais surtout de mieux appréhender l’ampleur du champ encore inexploré des patrimoines gastronomiques2. Quelques repères pour l’histoire d’une candidature : réseaux, acteurs, enjeux Le projet de candidature de la gastronomie française au patrimoine culturel immatériel de l’humanité est né au sein d’un réseau de chercheurs, celui de l’Institut Européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation (IEHCA). Impulsée par la volonté de Jack Lang alors ministre de l’Enseignement supérieur3, la création de l’IEHCA répondait au constat fait par un groupe d’historiens réunis dans le cadre de la deuxième édition des Rendez-vous de l’Histoire de Blois consacrée aux « Nourritures terrestres », que l’alimentation, ce « phénomène social total » pour reprendre l’expression de Marcel Mauss, était un objet négligé par l’histoire académique qui se produisait dans l’institution universitaire, un objet marginalisé par 1 Le texte de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et le dossier français sont consultables sur le site de l’Unesco, http://www.unesco.org/culture/ich 2 Nous signalons ici nos deux ouvrages à paraître sur ce propos. 3 L’IEHCA a été créé en 2002 à l’issue d’une mission de préfiguration confiée à Francis Chevrier, directeur des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, et pour laquelle j’ai été, de 2000 à 2002, chargée de mission scientifique par la Direction de l’Enseignement Supérieur. www.lemangeur-ocha.com – Texte exclusif – Le « Repas gastronomique des Français » inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Unesco par Julia CSERGO Mise en ligne : 19 Septembre 2011 2 les laboratoires de recherche. En 2006, au moment de l’entrée en vigueur de la Convention Unesco sur la sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel (PCI), l’IEHCA et son directeur Francis Chevrier, poursuivant leur réflexion sur le statut académique et culturel de l’objet « alimentation » en France et en Europe, ont ainsi proposé et défendu l’idée d’une candidature de la « gastronomie française » à l’Unesco. Audacieux et encore imprécis, le projet trouvait sa pertinence dans le fait que l’alimentation en général, et la gastronomie en particulier, dont les dimensions culturelles sont une évidence pour les Sciences Humaines, ne bénéficiaient en France d’aucun statut au sein des institutions culturelles. J’ajouterai que leurs dimensions patrimoniales, bien que largement invoquées dans le marketing des produits et des territoires4, demeuraient en grande partie ignorées. On peut rappeler, à ce propos, et parmi de multiples exemples, les écueils rencontrés pour que le Musée d’Orsay accepte de produire, en 2001, une exposition sur « la table au XIXe siècle », et la portion congrue de l’espace muséal qui lui avait été finalement attribuée5 ; ou encore l’inexistence, depuis les ministères Lang, du moindre conseiller à la Culture sur ces questions. En octobre 2006, à l’appui d’une conférence de presse qui ne réunissait qu’une poignée de journalistes, l’IEHCA publiait une plaquette, en forme de manifeste pour une inscription au « patrimoine mondial (…) représentatif d’un certain génie de l’humanité », du « patrimoine alimentaire français », dont il était précisé qu’il comprenait notamment « les techniques et savoir faire culinaires et viticoles », mais qu’il « devra être défini avec précision par un Conseil d’experts »6. Exposant la notion, alors peu connue en France, de Patrimoine Culturel Immatériel, la plaquette orientait implicitement le projet de candidature vers l’art culinaire et le savoir faire des grands Chefs, et ce à travers une iconographie représentant des toques, des rubans de MOF, des gestes de cuisiniers professionnels. Un programme d’action y était aussi défini pour 2007: convaincre les autorités françaises d’accompagner ce dossier, faire en sorte que la France fasse entendre sa voix à l’Unesco, convaincre l’Unesco d’inscrire le patrimoine alimentaire français. Avec le recul on ne peut que 4 Cf. une des premières évocations de cette question, Julia Csergo, « La constitution de la spécialité gastronomique comme objet patrimonial en France, fin XVIIIe- XXe siècle », Daniel J. Grange et Dominique Poulot, L’esprit des Lieux. Le patrimoine et la Cité, Grenoble, Pug, 1997, p. 183-193 ; Pour une première synthèse sur la question de l’application de la notion de patrimoine gastronomique au développement territorial, cf. Jacinthe Bessière, Valorisation du patrimoine gastronomique et dynamiques de développement territorial, Paris, l’Harmattan, 2001. 5 Voir le catalogue, Bernard Girveau (dir), A Table au XIXe siècle, Paris, RMN/ Flammarion, 2001 6 Pour l’Inscription par l’Unesco du patrimoine alimentaire français sur la liste du représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, Plaquette diffusée par l’IEHCA, 2006. www.lemangeur-ocha.com – Texte exclusif – Le « Repas gastronomique des Français » inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Unesco par Julia CSERGO Mise en ligne : 19 Septembre 2011 3 constater que, si la tonalité du programme était manifestement volontariste et combative – le terme « combat » revient à plusieurs reprises dans le texte -, les stratégies préconisées montraient une grande méconnaissance des procédures attachées à cette nouvelle Convention, très différentes de celles de la Convention de 1972, pour laquelle l’intervention des puissances politiques et des Etats est déterminante. Nous y reviendrons. Deux ans après, à travers les circuits et les réseaux d’information et d’action politiques, ce projet, conformément au plan d’action de l’IEHCA, devenait un projet national. Bénéficiant du soutien et du relais des plus grands Chefs parmi lesquels, Guy Savoy, ami personnel du Président Sarkozy, qui aurait attiré son attention sur la démarche, il suscite l’intérêt de nombreux conseillers de l’Elysée : celui de l’ancien journaliste d’investigation, transfuge de la gauche mitterrandienne qui a bénéficié de l’ouverture politique engagée par le Président, Georges - Marc Benamou ; celui de la directrice de cabinet du Président, Emmanuelle Mignon; celui de Catherine Pégard, ancienne rédactrice en chef du magazine Le Point, alors conseillère politique à l’Elysée7. C’est ainsi qu’en février 2008, lors de sa visite au Salon International de l’Agriculture, le Président de la République, déclarait officiellement: « L’agriculture et les métiers qui la façonnent tous les jours sont à l’origine de la diversité gastronomique de notre pays. C’est un élément essentiel de notre patrimoine. C’est pourquoi je souhaite que la France soit le premier pays à déposer en 2009 une candidature auprès de l’Unesco pour permettre la reconnaissance de notre patrimoine gastronomique au patrimoine mondial. » Et de rajouter, dans ce que je suggère d’interpréter comme une forme d’art de gouverner, alliant distance et proximité8: « D’ailleurs, nous avons la meilleure gastronomie du monde, du moins de mon point de vue !» Aucun document public n’explique les raisons de cette implication de l’Etat. Néanmoins, le contexte de la déclaration verbale du chef de l’Etat, le Salon International de l’Agriculture, oriente les hypothèses. Stratégies d’un Président que certains médias dénoncent, dans des élans quasi pétainistes, comme un homme sans attaches à la terre, pour s’assurer la sympathie des milieux agricoles, 7 Pascale Tournier, Stéphane Reynaud, Dans les cuisines de la République. Enquête sur les tables du pouvoir, Paris, Flammarion, 2010. 8 Julia Csergo, « Patrimoine et pot-au-feu », Libération, 10 octobre 2008. www.lemangeur-ocha.com – Texte exclusif – Le « Repas gastronomique des Français » inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Unesco par Julia CSERGO Mise en ligne : 19 Septembre 2011 4 fondamentaux dans notre république historiquement agrarienne ? Volonté d’afficher la défense et la promotion commerciale de la filière agricole, malmenée par une succession de crises et dont certains secteurs sont exsangues ? Volonté de manifester un soutien à la restauration commerciale, forte pourvoyeuse d’emplois et d’images à l’export? Le lien opéré ici entre gastronomie, agriculture et patrimoine national plaide en effet pour la défense d’une filière qui va « de la fourche à la fourchette ». Dans la seconde partie de la déclaration présidentielle, c’est l’excellence de la gastronomie française qui est mise en avant. Analysée, de façon paradoxale, comme signe d’arrogance et énonciation d’une évidence, cette phrase a largement alimenté les titres et les commentaires des médias, lesquels, ignorant parfaitement la notion de patrimoine culturel immatériel et l’esprit de l’Unesco, s’appuient alors sur l’avis de Chefs – dont certains demandent déjà le copyright des recettes qui seront classées à l’Unesco -, d’artisans des métiers de bouche, de producteurs agricoles et industriels, pour lancer un débat d’opinion, cocardier et élitiste, uploads/Histoire/ csergo-repas-gastronomique-francais-patrimoine-unesco2.pdf

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  • Publié le Dec 01, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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