Sur les origines possibles de la ségrégation des Cagots * par Yves G U Y ** (Ce

Sur les origines possibles de la ségrégation des Cagots * par Yves G U Y ** (Centre d'Hémotypologie du C.N.R.S., C.H.U. Purpan et I n s t i t u t pyrénéen d'Etudes anthropologiques) Les Cagots ont constitué un groupe de personnes marginalisées dans le Sud-Ouest de la France pendant plusieurs siècles. Les nom- breux procès, interdits, surtout religieux et parfois cruels rapportés depuis le XI e siècle montrent qu'ils posaient des problèmes sociaux. On s'est demandé quelle pouvait être leur origine. On pensait jus- qu'au XIX' siècle que c'étaient les descendants d'hérétiques (Wisigoths ariens, Sarrazins, Cathares, etc.). Il faut attendre le milieu du dernier siècle pour que quelques auteurs en fassent des lépreux ou des des- cendants de lépreux sans aucune preuve, tandis que d'autres se mirent à nommer ainsi les idiots des villages, bien souvent goitreux. Des groupes humains marginalisés ont toujours habité en France, l ' o r i - gine de certains est connue : Israélites plus ou moins convertis (les Mar- ranes), Bohémiens. D'autres ont disparu. O n a peu parlé de l'origine de certains c o m m e les Colliberts du Poitou ou les Marrons de l'Auvergne. O n n'a formulé aucune hypothèse sur celle des Cabaniers ou des Nioleurs, entre autres. * Communication présentée à la séance du 19 février 1983 de la Société française d'histoire de la médecine. 2, rue Jolimont, 31500 Toulouse. 85 Il est une autre race maudite dont on a, en revanche, parlé davantage, non pas dans l'ensemble de la France, mais dans le seul Sud-Ouest : c'est celle des Cagots. Mais « Cagots » n'est qu'un terme global recouvrant plu- sieurs groupes marginalisés d'origine non assurément identique. « Cagots » se retrouve en Béarn, Hautes-Pyrénées et Haute-Garonne. O n les nommait « Capots » dans le Gers, « Agotac » en Pays Basque français et « Agotes » en Pays Basque espagnol. U n n o m plus éloigné de l'étymologie si discutée du terme « Cagot » est « Gahets » dans les Landes et le Bordelais. Quant aux « Kakous » ou « Caqueux » de Bretagne, leur origine ethnique était vraisem- blablement différente. Ces n o m s étaient autant d'injures dont Louis X I V interdit l'emploi sous peine d'amende. Leurs porteurs subirent nombre de vexations, d'humilia- tions et d'injustices. Ils ne pouvaient se marier qu'entre eux ; i l s ne pou- vaient habiter dans le village m ê m e ; i l s ne pouvaient exercer que certains métiers (charpentiers en Béarn, bûcherons dans le Gers, cordiers en Bre- tagne) ; i l s ne pouvaient entrer au cabaret, etc. Mais c'est surtout dans leur pratique religieuse qu'ils étaient odieusement brimés. Parqués pendant les offices au fond de l'église, i l s ne pouvaient y pénétrer que par une petite porte spéciale ; un bénitier particulier leur était imposé ; i l s ne pouvaient prendre part au baiser de paix ; i l s passaient après les fidèles « normaux » à l'offertoire. Leur marginalisation débutait au baptême célébré sans carillon et à la nuit tombée (la mention « Cagot » ou son synonyme érudit « Gézi- tain » était porté sur le registre paroissial) et se terminait après leur mort puisqu'ils avaient un cimetière à part. Les auteurs contemporains des Cagots estimaient dans leur grande majo- rité que l'origine de la ségrégation des Cagots était l'hérésie des plus anciens d'entre eux : arianisme des Wisigoths, mahométanisme des Sarrazins, Cathares. Puis les Cagots, après avoir posé bien des problèmes par leurs procès, leurs réclamations adressées au Pape, au Roi, aux Parlements, leur irrésis- tible ascension sociale, disparurent peu à peu, soit par dépression par consanguinité, soit par métissage. O n était alors au dernier quart du XVIII e siècle et au X I X e siècle. O n se souvenait du sobriquet si utilisé dans le passé et on se mit à désigner ainsi les simplets des villages ou les goitreux ou les crétins (Tucoo-Chala, entre autres). Objets de dégoût autrefois, les Cagots devenaient objets de dérision. C'était l'opinion de plusieurs c o m m e Ramond, habitué auparavant aux Alpes et à ses goitreux qui ne portaient pas de sobriquet. Son influence fut assez grande pour que Littré, à sa suite, définisse les Cagots c o m m e « une race de crétins ». O n se préoccupait plus alors de l'origine de ces derniers, sinon pour supposer, c o m m e Ramond, qu'ils descendaient de Wisigoths restés en France et dont le long isolement et l'endogamie forcée au cours des siècles avaient fini par aboutir au crétinisme. O n utilisa ainsi pour dési- gner les crétins relativement nombreux un sobriquet méprisant et injurieux employé de tout temps à jamais, mais qui désignait une autre catégorie de 86 parias. Deville, Cénac-Moncaut admettaient également la synonymie : goi- treux-crétins-Cagots. Certains s'élevèrent contre cette assimilation d'origine récente : Fran- cisque-Michel, professeur de lettres à Bordeaux, l'avocat Cordier, Bourdette, l'historien du Lavedan, Palassou enfin. Mais surtout Auzouy, médecin-chef de l ' a s i l e psychiatrique de Pau qui, après enquête minutieuse, déclarait que les crétins-goitreux n'étaient pas des Cagots et affirmait que l'erreur de R a m o n d était « pitoyable ». O n en était donc là au X I X e siècle et personne ne se préoccupait plus de l'origine des Cagots parce que ceux-ci n'étaient plus gênants. Mais on était ainsi arrivé à une période de « rationalisation scientifique » et pour la première fois dans l'histoire dans la phase de l'étude médicale des Cagots et des hypothèses médicales sur leur origine. Quelques médecins retiennent donc notre attention à présent ; rappelons le docteur Auzouy, constatant que les Cagots et les goitreux ne présentaient aucune corréla- tion ; citons le docteur Aparisi-Serres qui intitulait un long article : « Cagots et lépreux : deux choses ». D e Rochas était médecin colonial ; pour lui, les Cagots descendaient de lépreux particuliers: les albinos (1875, 1876). Zam- baco-Pacha était le médecin particulier du Sultan de Turquie ; venu se pro- mener en France, i l trouvait « une foule » de lépreux et leurs descendants, les Kakous en Bretagne et les Cagots dans le Sud-Ouest, 1892, 1893). Et sur- tout le docteur Fay, ancien interne des hôpitaux psychiatriques de la Seine, dont le n o m reste attaché à la prétendue synonymie Cagots-lépreux (1907, 1910). Personne n'a remarqué qu'il ne s'agissait là que d'hypothèses intellec- tuelles sans fondement scientifique. E n effet, se fondant sur une phrase équivoque de Gui de Chauliac (où i l était question de « Cassot » et non de « Cagots »), sur un passage du traité d'Ambroise Paré et le livre de Laurent Joubert qui diffusait les idées de Chauliac, Rochas, mais surtout Zambaco et Fay soutenaient que la lèpre est une maladie héréditaire : les anciens atteints étaient des Cagots et leur pro- géniture constituait donc des descendants de lépreux. Rochas avait vu des albinos en Océanie et assimilait l'albinisme à la lèpre. O n a nettement l'impression que la seule raison pour laquelle i l s'est brus- quement occupé des Cagots était sa volonté d'imposer la synonymie albinos- lépreux, parce que les Cagots avaient un teint pâle. Fay était beaucoup plus précis dans un livre de 784 pages, paru en 1910, sur la façon dont Chauliac diagnostiquait la lèpre. L'examen clinique et bio- logique de Gui de Chauliac était très précis. Il retenait sept signes univo- ques (pathognomoniques) et seize équivoques (d'orientation). Certains étaient de « bons » signes, mais d'autres laissent rêveur. Ses signes univoques étaient les suivants : 1) rondeur des yeux et des oreilles ; 2) dépilation et grossesse ou tubérosités des sourcils ; 3) dilatation et « torsure des narilles par dehors avec estoitesse intérieure » ; 4) laideur des lèvres et voix rauque ; 5) puanteur de l'haleine et de tout le corps ; 87 6) regard « fixe et horrible en manière de la beste D é m o n » ; 7) nez camus et lèvres grosses. Fay s'est souvent contredit. E n voici la preuve : Il a écrit : « O n a remar- qué que les signes univoques de la lèpre que donne Gui de Chauliac ont presque toujours été constatés surabondamment chez les Cagots ». Mais i l reconnaissait lui-même dans les 9 pages précédentes que l'on n'avait jamais pensé que les Cagots aient présenté les signes 2, 3, 6 et 7, soit 4 sur 7. Que reste-t-il ? La rondeur des oreilles, la laideur des lèvres et la puanteur. O n admettait effectivement, se fondant sur 2 ou 3 dictons et une chansonnette que les oreilles des Cagots étaient sans lobe. Cependant, en 1892, deux méde- cins Lajard et Régnault, avaient enquêté à ce sujet, défini un étalon (toute oreille dont le lobule ne mesure pas plus que 1 , 5 m m est une oreille cagote) et mesuré les oreilles des Cagots uploads/Histoire/ descendance-de-cagots.pdf

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  • Publié le Sep 19, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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