1 , 1 1 J. Fra Angelico, partie inférieure de la Madone des ombres, vers 1440-1

1 , 1 1 J. Fra Angelico, partie inférieure de la Madone des ombres, vers 1440-1450 (détail). Fresque. Florence, couvent de San Marco, cor- ridor septentrional. Hauteur: l,50 m. DEVANT L'IM -s,. Toujours, devant l'image, nous somm Comme le pauvre illettré du récit de devant l'image comme Devant la loi: c d'une porte ouverte. Elle ne nous c d'entrer, sa lumière nous aveugle presq pect. Son ouverture même - et je ne p nous arrête: la regarder, c'est désirer, c devant du temps. Mais quel genre de te ticités et de quelles fractures, de quel heurts du temps peut-il être question d l'image? Reposons notre regard, un instant, s renaissante (fig. 1). C'est une fresque Marco, à Florence. Elle fut très vrais dans les années 1440, par un frère do dans les lieux et fut plus tard surnommé se trouve à hauteur de regard, dans le clausura. Juste au-dessus est peinte un Tout le reste du couloir est, comme mêmes, passé au blanc de chaux. Dans - avec la scène figurée au-dessus, av autour -, le pan de fresque rouge, crib ques, produit comme une déflagration: qui porte encore la trace de SOR jaill pigment ayant été projeté à distance, en bribe d'instant) et qui, depuis, s'est constellation d'étoiles fixes. Devant cette image, d'un coup, notr Georges Didi-Huberman, « L'histoire de l'art comme discipline anachro le temps. Histoire de l'art et anachronisme des images, Editions de toutes les leçons. Devant une image si ancienne soit elle , le présent ne cesse jamais de se reconfigurer, pour peu que la dépossession du regard n'ait pas complètement cédé la place à l'habitude infatuée du « spécialiste », Devant une image - si récente, si contemporaine soit-elle -, le passé en même temps ne cesse jamais de se reconfigurer, puisque cette image ne devient pensable que dans une construction de la mémoire, si ce n'est de la hantise. Devant une image, enfin, nous avons humblement à reconnaître ceci : qu'elle nous survivra proba- blement, que nous sommes devant elle l'élément fragile, l'élé- ment de passage, et qu'elle est devant nous l'élément du futur, l'élément de la durée. L'image a souvent plus de mémoire et plus d'avenir que l'étant qui la regarde. Mais comment se tenir à hauteur de tous les temps que cette image, devant nous, conjugue sur tant de plans? Et, d'abord, comment rendre compte du présent de cette expérience, de la mémoire qu'elle convoquait, de l'avenir qu'elle engageait? S'arrêter devant le pan de Fra Angelico, se soumettre à son mystère figural, voilà qui, déjà, consistait à entrer, modeste- ment et paradoxalement, dans le savoir qui a nom histoire de l'a~_~. Entrée modeste, parce que la grande peinture de la Renaissance florentine était abordée par ses bords, justement: ses parerga, ses zones marginales, les registres bien - ou bien mal - dits « inférieurs» des cycles de fresques, les registres du « décor », les simples «faux marbres ». Mais entrée para- doxale (et, pour moi, décisive) puisqu'il s'agissait de compren- dre la nécessité intrinsèque, la nécessité figurative ou plutôt figurale d'une zone de peinture facilement appréhendable sous l'étiquette d'art « abstrait 2 ». il s'agissait, dans le même mouvement - dans le même éton- nement -, de comprendre pourquoi toute cette activité pictu- rale, chez Fra Angelico (mais aussi chez Giotto, Simone Mar- ni regardé, ni interprété, ni même littérature scientifique consacrée à la sance}. C'est ici que surgit, fatalemen logique: c'est ici que l'étude de cas - qui avait, un jour, suspendu mon pas Marco - fait lever une exigence 1'«archéologie », comme eût dit Mic sur l'art et sur les images. Positivement, cette exigence pourr quelles conditions un objet - ou un rique nouveau peut-il émerger aus contexte aussi connu, aussi bien «d dit, que la Renaissance florentine? s'exprimer plus négativement: qu'es de l'art comme discipline, comme «o maintenir une telle condition d'a «volonté de ne pas voir» et de ne p les raisons épistémologiques d'un tel d à savoir identifier, dans une Sainte C attribut iconographique et, dans le prêter la moindre attention au stupéf quise déploie juste en dessous sur tr mètre cinquante de hauteur ? Ces questions toutes simples, issue possédant, je l'espère, quelque valeu l'histoire de l'art en sa méthode, en statut « scientifique », comme on se son histoire. S'arrêter devant le pan d'abord tenter de rendre une digni subtilité intellectuelle et esthétique, à dérés jusque-là comme inexistants, dénués de sens. Il devint vite évident 1. Cf. G. Didi-Huberman, «La dissemblance des figures selon Fra Angelico", Mélanges de L'École française de Rome, Moyen Âge-Temps modernes, XCVIll, 1986, n" 2, p. 709·802. 2. Id., Fra Angelico - Dissemblance et figura/ion. Paris, Flammarion, 1990 (rééd. 1995, coll. «Champs"). 1 3. Dans la monographie qui faisait autorité il l'é 1. Sainte Conversation de Fra Angelico n'était ai même mesurée qu'à la moitié de sa surface réel simplement, le registre si surprenant des« pans" m Fra Angeltco, Londres, Phaidon, 1952 (2' éd. revue 10 «signification conventionnelle» à partir d un «sujet natu rel » ; difficile dè trouver un « motif» ou une « allégorie» au sens habituel de ces termes; difficile d'identifier un « sujet» bien clair ou un «thème» bien distinct; difficile d'exhiber une «source» écrite qui pût servir d'interprétant vérifiable. Il n'y avait aucune « clé » à sortir des archives ou de la Kunst- literatur, comme le magicien-iconologue sait si bien sortir de son chapeau l'unique clé « symbolique» d'une image figura- tive. Il aura donc fallu déplacer et complexifier les choses, requestionner ce que «sujet », «signification », « allégorie » ou « source» peuvent, au fond, vouloir dire pour un historien de l'art. Il aura fallu replonger dans la sémiologie non icono- logique - au sens humaniste, celui de Cesare Ripa 5 - que constituait, dans les murs du couvent de San Marco, l'univers théologique, exégétique et liturgique des dominicains. Et, par .contrecoup, faire surgir l'exigence d'une sémiologie non ico- nologique - au sens «scientifique» et actuel, issu de Panofsky -, une sémiologie qui ne fût ni positiviste (la repré- sentation comme miroir des choses) ni même structuraliste (la représentation comme système de signes). C'était la représen- tation elle-même qu'il fallait, pour de bon, mettre en question devant le pan. Avec pour conséquence de s'engager dans un débat d'ordre épistémologique sur les moyens et les fins de l'histoire de l'art en tant que discipline. Tenter, en somme, une archéologie critique de l'histoire de l'art propre à déplacer le postulat panofskien de «l'histoire de l'art comme discipline humaniste 6 ». Il fallait, pour cela, mettre en question tout un ensemble de certitudes quant à l'objet « art» - l'objet même de notre discipline historique -, pan, ce n est pas seulement inter C'est aussi s'arrêter devant le te dans l'histoire de l'art, l'objet même. Tel est l'enjeu du présent logie critique des modèles de te temps dans la discipline historiqu ses objets d'étude. Question auss tidienne - chaque geste, chaque le plus humble classement de ses ambitions synthétiques, ne relève choix de temps, d'un acte de te difficileà clarifier. Il apparaît très longtemps dans la sereine lumiè Partons justement de ce qui, p tuer l'évidence des évidences: le la règle d'or: ne surtout pas «p propres réalités - nos concepts, les réalités du passé, objets d N'est-ce pas évident que la « clé du passé se trouve dans le passé le même passé que le passé de pour comprendre les pans colo donc chercher une source d'époq der à 1'« outillage mental» - te etc. - ayant rendu possible ce mons cette attitude canonique d'autre qu'une recherche de la recherche de la consonance euc S'agissant de Fra Angelico, n tation euchronique » de tout pr noncé sur le peintre par l'hum 1481. Michael Baxandall a pré type même d'une source d'ép 4. Cf. E. Panofsky, Essais d'iconologie. Thèmes humanistes dans l'art de la Renais- sance (1939), trnd. C. Herbette et B. Teyssèdre, Paris, Gallimard, 1967, p. 13·45. 5. Cf. C. Ripa, Iconologia ouero Descrittione dell'lmagin: uniucrsali cauate dall'Anti- cbità e da altri II/oghi [...] per rappresentare le oirtù, oitii, affeui, c passioni bumane (1593), Padoue, Tozzi, 1611 (2' éd. illustrée). rééd. New York-Londres, Garland, 1976. ' 6. E' Panofsky,« L'histoire de l'art est une discipline humaniste" (1940), trad. B. et M, Teyssèdre, L'Œuvre d'art et ses significations. Essais sur les« arts visuels », Paris, Gallimard, 1969, p. 27-52. 7. Cf. G. Didi-Huberman, Devant l'ima de l'art, Paris, Minuit, 1990. 12 p q ( j g , , p g mais nominal) et, grâce à cela, on parvient à interpréter le passé avec les catégories du passé. N'est-ce pas là l'idéal de l'historien ? Mais qu'est-ce que l'idéal, si ce n'est le résultat d'un pro- cessus d'idéalisation? Qu'est-ce que l'idéal, si ce n'est l'édul- coration, la simplification, la synthèse abstraite, le déni de la chair des choses? Le texte de Landino est, sans doute, « his- toriquement pertinent» au sens où il appartient, comme la fresque de Fra Angelico, à la civilisation italienne de uploads/Histoire/ didi-hubermas-georges-devant-le-temps-pdf.pdf

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  • Publié le Aoû 30, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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