PATRIMOINE ET HISTOIRE LOCALE Enjeux didactiques et pédagogiques Anne-Cécile DI

PATRIMOINE ET HISTOIRE LOCALE Enjeux didactiques et pédagogiques Anne-Cécile DIJOUX Master 2 Métiers de l’enseignement Université de la Réunion Résumé. - Les notions de patrimoine et de monument historique sont souvent confondues dans le langage commun. Elles constituent cependant des notions distinctes, en particulier au niveau du signifié, et possèdent des chronologies différentes. Il s’agit ici de s’attacher à analyser l’évolution des rapports qu’ont entretenus les sociétés avec ces deux notions en s’attardant tout particulièrement sur l’évolution des sensibilités. En outre, on s’interrogera sur la pertinence du recours à l’histoire locale et au patrimoine local, d’une part, pour l’éducation à la citoyenneté et, d’autre part, pour la mise en œuvre de l’acquisition des démarches et des connaissances propres à la discipline historique. Mots-clés : - patrimoine – monument historique – éducation à la citoyenneté – histoire – société - . Abstract. - The concepts of cultural heritage and historical monuments are often confused in everyday language. However, they are composed of distinct notions in particular with regard to meaning and have different chronologies. It is necessary here to focus on an analysis of the unfolding relationships that societies have sustained with these two notions while dwelling on the development of sensitivities in particular. Furthermore, the relevance of including both local history and heritage in civic education will be questioned on the one hand, and on the other in order to acquire specific competencies relevant to the subject of history. Key words : - cultural heritage – historical monuments – civic education - history – society - . Anne-Cécile Dijoux 116 *** Les notions de patrimoine, de monuments historiques et de monuments, dont on ne parvient pas trop, en général, à discerner clairement les limites, suscitent des débats autour de leur origine, de leur signifié et des valeurs qu’on leur impute. Elles ne recouvrent pas les mêmes réalités. Aussi, leurs évolutions sémantiques et notionnelles « mérite[nt] toute l’attention de l’enseignant soucieux de fonder sur l’étude du patrimoine, qu’il soit local ou non, des démarches pédagogiques actualisées » 1 . Avant d’envisager le recours au patrimoine en classe d’histoire, le professeur se doit donc de bien connaître la différence entre les trois vocables évoqués plus haut. Il convient par conséquent de s’interroger en premier lieu sur les notions de patrimoine et de monument historique. 1. La notion de patrimoine : approche diachronique « Le mot est ancien, la notion semble immémoriale »2 Le mot « patrimoine » provient du terme latin patrimonium qui renvoie à l’« idée d’une légitimité familiale qu’entretient l’héritage »3. Le patrimoine, à l’époque romaine, correspondait ainsi à des objets matériels ; il s’agissait d’une terre, de bâtiments, de bijoux ou d’un fonds monétaire. Il signifiait le « bien qu’un individu recevait de ses ancêtres »4. L’héritier à qui l’on confiait cet héritage se devait de le transmettre intact, voire consolidé, aux générations 1 Danielle Marcion-Dubois et Odile Parsis-Barubé (1998), Textes et lieux historiques à l’école, Paris, Bertrand Lacoste, 159 p. 2 André Chastel, « La notion de patrimoine », in Pierre Nora (1992), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, p. 1433. 3 André Chastel, ibid. 4 Jean-Michel Jauze (2000), Villes et patrimoine à la Réunion, Paris, L’Harmattan, p. 25. Patrimoine et histoire locale : enjeux didactiques et pédagogiques 117 suivantes. Il ne devait en aucun cas l’amputer car il en allait de son honneur, la transmission d’un patrimoine intact au fil des générations étant considérée comme un devoir moral vis-à-vis de sa famille. Ainsi, « l’héritier est plus le dépositaire que le propriétaire »5 de ce qu’il a reçu de ses aînés. La notion appartient donc à la sphère strictement privée et familiale. Au fil des siècles, cette valeur va perdurer et ne subir aucune modification, que se soient au sein des grandes familles ou au sein de la monarchie française. En effet, les rois de France font un « usage privé des biens de la couronne »6. Ces derniers sont considérés comme appartenant en propre aux souverains et non au peuple français. Ils en disposent à leur guise, n’hésitant pas à les vendre quand ils cessent de leur plaire ou quand le besoin s’en fait sentir. Aucun objet n’échappe à la règle, qu’il s’agisse de biens mobiliers ou immobiliers. En 1527, François Ier fait ainsi ordonner la destruction du donjon de Philippe Auguste afin de réaménager le Louvre. De même, Louis XV n’hésite pas à faire détruire l’escalier des Ambassadeurs à Versailles en 1752 pour loger une de ses filles. Les regalia eux-mêmes peuvent être vendus. Alors qu’« ils matérialisent la pérennité de la monarchie »7, ils n’en constituent pas moins une simple réserve de numéraire. Ainsi, en 1340, Philippe de Valois met en gage sept couronnes d’or et la croix de Philippe Auguste. C’est pour cela que l’on peut conclure que la notion de patrimoine collectif n’appartient pas aux représentations mentales de l’époque. La seule exception que l’on peut mentionner est la création par François Ier du « dépôt légal » en 1537 qui devait conserver un exemplaire de chaque ouvrage publié, inaugurant ainsi une politique culturelle au niveau étatique. 5 Dominique Audrerie (1997), La Notion et la protection du patrimoine, Paris, PUF, p. 5. 6 Anne-Marie Sicre (1996), La France du patrimoine. Les choix de la mémoire, Paris, Gallimard, « Caisse nationale des monuments historiques et des sites », p. 14. 7 André Chastel, op. cit., p. 1435. Anne-Cécile Dijoux 118 La seule institution à prendre en compte la valeur collective du patrimoine est l’Eglise. Pour André Chastel, l’idée de patrimoine culturel s’est fondée sur « le concept chrétien de l’héritage sacré de la Foi »8. En effet, l’alliance divine est matérialisée par les Tables de la Loi puis par l’Arche d’Alliance. De plus, l’Eglise s’est attachée à conserver tous les témoignages du passage de Jésus-Christ sur terre, s’évertuant à protéger des objets par essence périssables et à mettre en place un culte autour de ces derniers. Cette politique a été prolongée par la vénération dévolue aux reliques laissées par les saints. On assiste ainsi d’un côté à la mise en place d’un fonds commun à l’ensemble de la Chrétienté et de l’autre à la mise en place du caractère sacré de ce fonds. Les chrétiens y puisent la source de leur identité et cherchent à transmettre ce fonds intact aux générations suivantes. C’est l’exemple le plus abouti de patrimoine collectif qui correspond presque à cette époque à une sorte de patrimoine de l’humanité. A l’instar de la valeur collective qui peine à émerger pour le patrimoine, sa valeur historique ne s’appréhende que tardivement. Finalement, ce n’est qu’à partir de la Renaissance que la valeur historique des antiquités va progressivement émerger et ce dans le monde laïc. La redécouverte des œuvres littéraires de l’Antiquité par les humanistes a pour corollaire un regard neuf posé sur les vestiges anciens. Les lettrés partent à leur découverte le livre à la main. Ce voyage dans le passé s’accompagne de la naissance d’une nouvelle sensibilité dans le domaine artistique, promue par les artistes sensibilisés à la richesse des productions antiques. Cet intérêt suscite une certaine volonté de préservation au travers de la mise en place de collections privées rassemblant ces objets témoins du génie artistique antique. Puis, à partir du XVIIème siècle, le champ sémantique recoupé par les antiquités s’élargit. A la recherche sur le sol national des vestiges gréco-romains se substitue peu à peu le dénombrement des « antiquités nationales », c’est-à-dire « les anciens monuments érigés ou produits […] avant, et essentiellement après, le colonat 8 André Chastel et Jean-Pierre Babelon (1994), La Notion de patrimoine, Mayenne, Liana Levi, p. 13. Patrimoine et histoire locale : enjeux didactiques et pédagogiques 119 romain »9. Il s’agit, d’une part, de doter la chrétienté d’un corpus de productions à l’image du corpus gréco-romain et, d’autre part, d’affirmer les spécificités de chaque pays. On cherche donc à identifier dans le paysage les témoins des âges passés. Ainsi, Montfaucon, au XVIIème siècle, exprime son désir de voir continuer « la recherche depuis longtemps entreprise avec succès sur ” la belle antiquité ” afin de combler un manque d’information sur les âges alors justement dits obscurs »10. Les reliquats du passé sont alors conçus comme des témoignages et se voient, par là même, gratifiés d’une valeur historique. Cependant, cette acception nouvelle ne s’accompagne pas de mesures préventives systématiques. Il faut attendre la Révolution française pour voir s’élaborer au niveau de l’Etat une véritable politique de préservation des « antiquités ». Le 2 octobre 1789, la Constituante proclame la nationalisation des biens du Clergé. Cependant, cette mesure pose un défi au pouvoir révolutionnaire car la France ne possède pas de définition juridique pour ce fonds commun ni les structures adéquates pour le prendre en charge. Ce nouveau trésor de la nation est analysé en premier lieu comme une valeur marchande. C’est pourquoi « les responsables adoptent immédiatement pour le désigner et le gérer la métaphore successorale » 11. Les biens confisqués deviennent alors un héritage reçu que l’on doit gérer et protéger. Comme le uploads/Histoire/ dijoux.pdf

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  • Publié le Mai 20, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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