L’ETOILE DES GEOMETRES Louis TREBUCHET 2005 « Le divin Pythagore, bien qu’il ai

L’ETOILE DES GEOMETRES Louis TREBUCHET 2005 « Le divin Pythagore, bien qu’il ait jugé bon de ne nous laisser aucun de ses propres écrits, à en croire du moins Ocellos de Lucanie, Archytas et le reste de ses disciples, ne commençait jamais une lettre par « Bonjour » ou « Prospérité », mais prescrivait de débuter par « Santé ». Aussi tous ses disciples avaient-ils coutume de placer le vœu de « Santé » au début de toutes leurs correspondances, parce qu’il convenait parfaitement à l’âme et au corps. En outre, le Pentagramme, symbole interne de la secte, ils l’appelaient « Santé 1». Sans pour autant faire remonter jusqu’à cette époque l’usage fort courant et fort apprécié en franc-maçonnerie de porter des Santés, ce texte est le plus ancien témoignage de l’utilisation du pentagramme étoilé comme signe de reconnaissance par les pythagoriciens. C’est donc en premier vers Pythagore et son école que le compagnon ira chercher la signification de l’étoile flamboyante. Inventeur du terme philosophia, et du terme cosmos pour décrire l’organisation de l’Univers2, Pythagore inaugura au VIème siècle avant JC la voie d’une méthode de réflexion non empirique et purement intellectuelle3. Adaptant à son époque des traditions plus anciennes, telles que l’orphisme, il fonda et anima véritablement une nouvelle école initiatique, qui semble être à l’origine de la philosophie socratique et platonicienne. Cette école d’initiés, la plus ancienne dont il soit attesté qu’ils prêtaient un serment de secret, secte fondée sur la fraternité, la passion de l’arithmétique et de la géométrie, tenta vainement d’étendre au plan de la cité la recherche d’harmonie morale liée à la compréhension de l’harmonie de l’Univers qui fondait avec bonheur leur chemin initiatique individuel. La secte ne survécut guère à son fondateur, mais l’école de pensée qu’elle laissa influença mathématiciens et philosophes pendant de nombreux siècles, puisque les documents les plus complets que nous possédions sur sa vie et son œuvre furent écrits huit siècles après sa mort par Porphyre4 et par Jamblique5. « C’étaient des gens silencieux et toujours prêts à écouter les autres, au point que savoir écouter était pour eux un motif d’éloge. » nous explique Jamblique, qui poursuit en présentant quelques uns des nombreux symboles qui constituaient leur enseignement, parmi lesquels celui-ci qui me paraît parfaitement adapté à l’initié qui s’engage sur le chemin initiatique : « Évite les avenues fréquentées, explore plutôt les sentiers ». Tout cela ne semble pas étranger au franc-maçon d’aujourd’hui, ces comportements nous apparaissent au contraire bien familiers. Mais c’est avec les Devoirs compagnonniques que la ressemblance est la plus proche, et il n’est pas étonnant qu’à plus de mille ans de distance ils se soient reconnus dans le même signe, le pentagramme étoilé. En effet, que ce soit dans l’école pythagoricienne ou dans le compagnonnage, il s’agit à la fois de la découverte, du développement, de l’enseignement et de la mémorisation de secrets géométriques de métier, nécessitant un long apprentissage, et de la transmission d’une conception du monde et de la vie donnant tous son sens spirituel à ce métier et à ces secrets. Ainsi le choix de l’étoile régulière à cinq branches comme signe de reconnaissance est tout à fait significatif. Le géomètre sait qu’on ne peut la tracer de manière juste et précise que si l’on a appris son tracé, si on a été initié à ce secret, et que ce tracé en soi constitue l’expression du nombre d’or. Ne ménageons pas notre admiration aux maîtres de l’œuvre chaque fois que nous verrons une rosace à cinq, sept, ou neuf branches, ou la division d’une abside en cinq, sept ou neuf chapelles, car ce qui est si facile aujourd’hui en prenant un angle de 36° ou 108° sur un rapporteur n’existait pas à l’époque, et restera inconnu et inimaginable en Europe jusque bien après la Renaissance. Tout tracé de construction ne pouvait être que géométrique, à base de corde à nœuds, ou de compas et d’équerre. Et si la division du cercle en trois, six, ou huit était un tracé enfantin, au moins enfin pour l’apprenti géomètre, le tracé de la division en cinq, sept ou neuf était autrement compliqué. En effet, c’est au cours du XVIème siècle seulement que la Renaissance effectua une profonde mutation dans les méthodes mathématiques, une révolution pour l’Europe, l’introduction du calcul avec les chiffres, l’introduction du chiffre même, du zéro et de la virgule, qui apparût pour la première fois dans un calcul européen en 1592. On pouvait conseiller à un étudiant du XVIème siècle d’aller apprendre l’addition et la soustraction dans des universités françaises ou allemandes, mais pour apprendre la multiplication et la division, il lui fallait passer au moins trois ans dans une université italienne. Montaigne, l’honnête homme, un des hommes les plus cultivés de son siècle, pouvait écrire en 1575: « Je ne sais compter ni à get, ni à plume6 ». Il ne savait compter ni à plume, en écrivant les chiffres arabes, ni à get, en utilisant les jetons. Le calcul arithmétique de cette époque était en effet resté complexe, et réservé à une élite, parce qu’il se faisait toujours sur une abaque à jetons, exactement identique à l’abacus romain avec ses calculi, comme une sorte d’échiquier à colonnes sur lequel on déplaçait des jetons que l’on comptait. Les anglais, conservateurs s’il en fût, ont d’ailleurs gardé ce système de comptabilité jusqu’à la Révolution Française, d’où le titre de chancelier de l’échiquier pour le ministre des finances britannique. Le calcul en écrivant les chiffres arabes, et en utilisant le zéro, beaucoup plus facile à utiliser, n’est apparu pour la première fois en Europe que sur un manuscrit de 1478, appelé l’arithmétique de Trévise. Et on voit qu’un siècle après, il était resté l’apanage de quelques scientifiques de pointe, puisque même Montaigne avouait ne rien y connaître. En 1401 donc, point de chiffres, point de divisions ou de multiplications, puisque les chiffres arabes ne sont arrivés que 77 ans plus tard, en 1478. Point de livres non plus, pour diffuser l’information, quelques rares manuscrits dans les bibliothèques des moines, puisque Gutenberg n’inventera l’imprimerie que 55 ans plus tard, en imprimant le premier livre, la Bible, en 1456. En 1401 toujours, la connaissance scientifique est par contre bien plus avancée chez ceux qu’on appelle les Sarrasins, c’est à dire dans les civilisations arabo- musulmanes de Perse, du Moyen Orient, d’Afrique du nord et d’Espagne. Pourquoi 1401 me demanderez-vous? Parce que c’est le début d’un siècle? Ou la fin d’un autre? La fin des siècles de croisade? Non, Saint Louis est mort depuis plus de 131 ans, dans la débâcle peu glorieuse de la dernière croisade. La fin de l’ordre des Templiers? Non, il y a près de 90 ans que Jacques de Molay convoquait ses bourreaux devant le tribunal de Dieu du haut de son bûcher. La fin du siècle des cathédrales? Certes la fin de cette époque féconde approche, mais quelques magnifiques édifices ne sont point encore sortis de terre. 1401, parce que c’est la date à laquelle les compagnons fixent, dans leur légende, la scission d’Orléans. Dans l’histoire légendaire transmise par la tradition compagnonnique, il semble qu’aucun Devoir ne remette en cause l’antériorité du rite des Enfants de Salomon, pratiqué par les compagnons tailleurs de pierre, les Compagnons Etrangers, qui se disent Enfants de Salomon. Ce Devoir à propos duquel Agricol Perdiguier, Avignonnais la vertu, lui-même gavot, c’est à dire du même Devoir mais compagnon menuisier, écrivait, en 1839. « On fait courir sur eux une vieille fable, où il est question d’Hiram, selon les uns, d’Adoniram, selon les autres; on y voit des crimes et des châtiments, mais je laisse cette fable pour ce qu’elle vaut 7». Bien que certaines théories voient dans ce compagnonnage des Enfants de Salomon, appelé depuis la scission Devoir de liberté, une branche nouvelle constituée de protestants quittant les Devoirs catholiques après la révocation de l’édit de Nantes, je penche pour ma part pour l’hypothèse inverse, celle de l’antériorité des tailleurs de pierre Enfants de Salomon, reprenant ainsi l’opinion exprimée par Agricol Perdiguier: « On conteste rarement aux compagnons Etrangers la qualité de doyens du compagnonnage. Des serruriers, enfants de Maître Jacques, m’ont dit plusieurs fois : Nous reconnaissons les compagnons Etrangers pour nos pères en compagnonnage. En effet, si les enfants de Maître Jacques eussent existé seuls, et si une fraction détachée de leur société eut pris tout à-coup, dans le XIIème ou XIIIème siècle, le nom d’Enfants de Salomon, ou je me trompe, ou elle eut péri sous le poids du ridicule. 8» La légende compagnonnique, ou plutôt l’histoire légendaire du compagnonnage, nous raconte qu’en 1401, lors du début de la construction des tours de la cathédrale d’Orléans, sous la direction de Jacques Moler, dit La flèche d’Orléans, et de Soubise de Nogent, dit Parisien le soutien du Devoir, se produisit une scission au sein du Devoir9, en raison d’une cabale, une grève, organisée parmi les ouvriers. Jacques Moler et Soubise obtinrent du Parlement le bannissement de tous les corps d’état organisés, et uploads/Histoire/ lois-trebuchet-l-x27-etoile-des-geometres.pdf

  • 18
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Oct 05, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.0656MB