01/08/2021 Presse francophone et Révolution : la lecture de l’événement (1789-1
01/08/2021 Presse francophone et Révolution : la lecture de l’événement (1789-1793) https://journals.openedition.org/chrhc/1267 1/10 Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique 94-95 | 2005 Des révoltes de l'Europe à l'Amérique au temps de la Révolution française (1773- 1802) DOSSIER Approches thématiques Presse francophone et Révolution : la lecture de l’événement (1789-1793) Eric Wauters p. 197-210 https://doi.org/10.4000/chrhc.1267 Résumé Puisant l’information dans quelques grands journaux européens réputés sérieux, la presse étrangère (ici son échantillon francophone) commenta la Révolution au prisme de préoccupations locales et la presse française en analysa les répercussions extérieures à l’aune des espoirs ou des craintes d’une révolution universelle menée par la patrie des Droits de l’Homme. Facteur d’incompréhension, ce double jeu de miroirs engendra des réactions nationales dont la quasi disparition de la presse francophone en 1792-1794 fut l’un des principaux effets à l’étranger. Entrées d’index Mots-clés : francophonie, presse, réaction, Révolution française Géographie : France Chronologie : Révolution française Texte intégral Il existe en France au début de 1789 une trentaine de journaux nationaux dont 3 seulement d’information politique, les autres étant spécialisés (commerce, médecine, musique, etc.), et en province 47 feuilles qui depuis les années 1770 ajoutent aux annonces des rubriques variées (arts, lettres, sciences, inventions, économie) à 1 01/08/2021 Presse francophone et Révolution : la lecture de l’événement (1789-1793) https://journals.openedition.org/chrhc/1267 2/10 l’exception de nouvelles politiques 1. Au cours de l’année, environ 200 titres nouveaux sont lancés, pour les trois quarts à Paris 2. La Révolution de 1789 a été aussi celle de la presse, en France et en Belgique où une quinzaine de journaux nouveaux à la fin de 1789 et d’autres encore en 1790 viennent s’ajouter à ceux qu’on y publiait déjà : une dizaine de titres destinée à la population ou aux élites francophones ainsi qu’au proche marché français 3. Il existait en effet depuis le xviie siècle une presse étrangère en français qui pénétrait dans le royaume sous l’Ancien Régime vers une clientèle désireuse de lire autre chose que les journaux officiels et très contrôlés ; c’était par exemple le Journal général de l’Europe à Liège (1785), le Journal Encyclopédique à Bouillon ou la Gazette des Pays-Bas à Bruxelles (depuis 1649) aux Pays-Bas, plus loin les Gazettes d’Amsterdam, de Leyde, de Cologne (1734) et des Deux-Ponts (1770), ou encore, dans l’enclave pontificale, le Courrier d’Avignon (1733) qui se vendait à 6 000 exemplaires en mai 1789 4. D’autres feuilles avaient également fleuri dans une Europe où le français était la langue internationale de la culture, tels la Gazette Littéraire de Berlin (1764) et un Journal de Musique pour le clavecin ou piano-forte à Saint- Pétersbourg (1785) 5. Avec l’explosion de journaux en France et en Belgique se produit une circulation nouvelle et exceptionnelle de l’information, à Paris, en province et à l’étranger, qui témoigne dès le début de 1789 de la curiosité générale face à l’événement vécu ou observé. Pour les gazettes anciennes, il est nécessaire de relater rapidement l’événement révolutionnaire pour satisfaire l’intérêt du public et conserver une clientèle française tentée peut-être par les nouveaux journaux. Cet impératif commercial n’exclut nullement la sympathie : à la tête de la Gazette de Leyde, un des principaux journaux politiques d’Europe à la fin du xviiie siècle, Jean Luzac avait déjà contribué à populariser la lutte pour l’indépendance des colonies de l’Amérique du Nord 6, et au Journal général de l’Europe, Pierre Lebrun, physiocrate et joséphiste, accueillit avec plus de joie encore la Révolution française : il se lia peu après aux patriotes belges. 2 La création de journaux nouveaux rend peut-être davantage compte de l’enthousiasme du public. En France, c’est d’abord la multiplication des Correspondances des États Généraux (imprimées à Brest, Nantes, Bordeaux, Grenoble, Avignon et même par deux feuilles concurrentes de Rennes 7), c’est aussi le compte rendu des séances de l’Assemblée nationale que s’efforcent de donner rapidement les feuilles de province, notamment les anciennes affiches pour répondre à la demande du public. A l’étranger, quelques titres, parfois explicites, attestent le même intérêt pour les événements français : à Liège, L’Avant Coureur (1er février) est suivi par l’annonce en août d’un quotidien, le Journal de l’Assemblée Nationale de France qui « renferme en entier le Journal de Paris avec des morceaux pris dans les autres Feuilles » ; à Bruxelles, un Bulletin de Versailles lancé le 14 juillet devient Nouvelles de Paris & de Versailles à la fin août ; à Londres un Journal de l’Europe est dédié à l’Assemblée nationale le 31 juillet, mort-né semble-t-il mais remplacé par le Phare politique et littéraire édité à Londres et distribué dans les deux royaumes, jusqu’en février 1790. En Amérique même, le Courier de Boston est publié dès le 23 avril 1789 par Joseph de Nancrède, vétéran de la guerre d’Indépendance et exégète de la Révolution française pour ses compatriotes auxquels il fait connaître Bernardin de Saint-Pierre ou Brissot de Warville 8. 3 La presse étrangère qui fait écho à la Révolution n’est pas exclusivement francophone, loin s’en faut : à l’évidence, c’est surtout par les gazettes en langue vernaculaire que le public en a pris connaissance, et parfois dans des feuilles nouvelles tel ce Giornale dell’Assemblea generale di Francia publié à Livourne à partir de septembre 1789. De cet ensemble énorme de publications (notamment en Angleterre et en Allemagne), les journaux en français ne constituent qu’un petit échantillon, probablement représentatif, avec ses bulletins de débats législatifs et un lectorat, certes cultivé et francophone, mais pas nécessairement plus favorable pour cela à la Révolution : à Clèves, La Révolution de France ou correspondance avec un étranger, imprimé d’octobre 1789 à octobre 1791, est nettement contre-révolutionnaire. De même, en publiant sous le titre La Bastille dévoilée le « Récit authentique de la prise ou plutôt de la reddition de la Bastille », les Cahiers de lecture de Gotha tentent de minimiser la portée de l’événement. En rapportant l’événement, la presse étrangère 4 01/08/2021 Presse francophone et Révolution : la lecture de l’événement (1789-1793) https://journals.openedition.org/chrhc/1267 3/10 La diffusion de l’événement renvoie l’image d’une France modèle ou repoussoir selon que cet effet de miroir est utilisé par les patriotes ou par leurs adversaires, dans et hors des frontières 9. Pour l’essentiel cependant, en 1789 au moins, les réactions de sympathie l’emportent là où la presse, francophone ou non, jouit de la liberté d’expression. Poser la question de la lecture de l’événement en Europe dans la presse, c’est faire l’imprudente hypothèse que la circulation de l’information passait principalement par le journal et que ce dernier nous en livrerait les canaux. Or rien n’est moins sûr car, pour l’essentiel, la distribution de l’imprimé échappe à nos regards, et notamment celle des pamphlets et livrets publiés à foison : on en a repéré 3 305 produits à Paris pour la seule année 1789 ; s’il n’y a pas avant 1793 de propagande officielle destinée aux pays étrangers, quelques initiatives privées tentent soit de répandre les idées nouvelles, par exemple le Cercle Social en publiant une version polyglotte de la Constitution de 1791, soit de spéculer sur la curiosité du public en jetant dans le commerce les textes commercialement les plus prometteurs. Le récit de la prise de la Bastille est ainsi imprimé jusqu’à Trois-Rivières en 1791, car ce type d’ouvrages se multiplie aussi à l’étranger. La révolution brabançonne fournit d’ailleurs une matière nouvelle aux éditeurs de brochures qui publient, pour ne donner que ces exemples, une Relation exacte de la Prise de Bruxelles par ses Habitans 10, Le Triomphe du Patriotisme, ouvrage proposé par souscription en faveur des veuves, Orphelins & Blessés, des glorieuses victimes de l’heureuse révolution, opérée par la prise de Bruxelles le 11 & 12 Décembre 1789 11 ou La Liberté ou La Mort, traduit du Flamand 12et plus pessimiste : « Courage donc, Flamands… Plutôt mourir que d’être déshonorés aux yeux de l’Europe, et de rentrer sous le joug de l’esclavage. » 5 Journaux, brochures et livres circulent donc dans l’Europe de la Révolution, mais dans quelle mesure ? À Livourne où vit une colonie française importante, un rapport de police de mars 1792 dénonce l’introduction de livrets révolutionnaires dans les balles de tissu et de bas de soie envoyés de France, trafic dont on accuse un réseau protestant, constitué de soyeux de Nîmes, de négociants de Gênes, Turin et Livourne, et la société populaire de cette dernière ville ; en revanche, les journaux politiques ou les brochures des presses parisiennes ne semblent pas avoir atteint Florence 13. On serait donc tenté de conclure que la circulation des journaux et libelles en Europe (ou au-delà) est plus superficielle que profonde, davantage le fait de quelques grandes places de commerce que celui des petites villes ou des campagnes. Quelques indications de possible souscription à l’étranger, d’ailleurs peu fréquentes, dans des journaux de Paris et ou de grandes villes françaises ne peuvent faire illusion 14. Il est plus vraisemblable que les feuilles accompagnaient le courrier d’étrangers établis en France, avec des livres, brochures ou images qui parvenaient aux cabinets de lecture et aux librairies 15 dont on est loin d’avoir fait uploads/Histoire/ eric-wauters-presse-francophone-et-revolution-la-lecture-de-l-x27-evenement-1789-1793.pdf
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- Publié le Apv 02, 2022
- Catégorie History / Histoire
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