27 Chapitre 1 Clausewitz Carl von Clausewitz, né en 1780, soldat en 1793, génér

27 Chapitre 1 Clausewitz Carl von Clausewitz, né en 1780, soldat en 1793, général en 1818, décédé en 1831, est l’auteur, entre autres, du Vom Kriege (« De la guerre »), ouvrage inachevé1, publié à titre posthume par sa veuve Marie von Brühl, mille fois commenté, devenu mythique. Il y a une histoire de la réception, de la lecture et de la critique de l’œuvre de Clausewitz dans le monde, qui se confond en partie avec l’histoire de la pensée 1. En huit parties : livre 1 sur la nature de la guerre, avec huit chapitres : qu’est-ce que la guerre ?, fin et moyen dans la guerre, le génie martial, le danger dans la guerre, l’effort physique dans la guerre, les renseignements dans la guerre, la friction dans la guerre, conclusions ; livre 2 sur la théorie de la guerre, avec cinq chapitres : classification de l’art de la guerre, théorie de la guerre, art de la guerre ou science de la guerre, méthodicité, critique ; livre 3 sur la stratégie en général, avec 18 chapitres : stratégie, éléments de la stratégie, les données morales, les principales forces morales, la vertu martiale de l’armée, l’audace, la persévérance, la supériorité numérique, la surprise, la ruse, rassemblement des forces dans l’espace, union des forces dans le temps, la réserve stratégique, l’économie des forces, l’élément géométrique, la suspension de l’acte militaire, le caractère de la guerre moderne, tension et repos ; livre 4 sur l’engagement, avec deux chapitres 3 et 4 (pas de chapitres 1 et 2) : l’engagement en général, l’engagement en général (suite) ; pas de livre 5 ; livre 6 sur la défense, avec cinq chapitres (1, 2, 3, 5 et 26) : attaque et défense, rapports mutuels de l’attaque et de la défense dans la tactique, rapports mutuels de l’attaque et de la défense dans la stratégie, le peuple en armes ; esquisse d’un livre 7 sur l’attaque, avec sept chapitres (2, 3, 4, 5, 6, 7 et 22) : nature de l’attaque stratégique, objets de l’attaque stratégique, force décroissante de l’attaque, point culminant de l’attaque, destruction des forces armées ennemies, bataille offensive, point culminant de la victoire ; livre 8 sur le plan de guerre, avec onze chapitres (dont deux chapitres 3A et 3B et deux chapitres 6A et 6B) : introduction, guerre absolue et guerre réelle, cohésion interne de la guerre, ampleur de la fin militaire et de l’effort exigé, définitions plus précises de l’objectif militaire : terrasser l’ennemi, définitions plus précises de l’objectif militaire : terrasser l’ennemi (suite) comme objectif limité, influence de la fin politique sur l’objectif militaire, la guerre comme instrument de la politique, objectif limité : la guerre offensive, objectif limité : la défense, le plan de guerre quand l’objectif est de terrasser l’ennemi. 28 Chapitre 1 • Clausewitz stratégique. L’officier prussien est le maître de la pensée militaire, plus précisément, de la pensée militaire terrestre (il ne traite pas de la guerre navale) interétatique (« du fort au fort ») occidentale moderne (la guerre entre égaux juridiquement). À cet égard, il a surclassé Jomini (1779-1869), son contemporain et rival. Témoin engagé des guerres de la Révolution et de l’Empire, Clausewitz a tiré de la pratique militaire napoléonienne une théorie de la guerre. Celle-ci, « franco-allemande », est devenue la théorie « générale » de la guerre jusqu’à nos jours, lors même qu’elle concerne essentiellement les conflits armés symétriques, id est entre États de puissance équiva- lente. Cette « généralisation » s’explique d’abord par un processus de diffusion de l’œuvre au-delà de la Prusse, en Europe continentale, en Grande-Bretagne, aux États-Unis ; ensuite par un processus d’universa- lisation due à l’expansion occidentale d’une part, à l’intégration dans le marxisme-léninisme d’autre part (d’Engels à Giap et Guevara en passant par Lénine et Mao) ; enfin par un processus de vulgarisation, la biblio- graphie sur Clausewitz étant immense. Parmi mille commentateurs, laudatifs ou critiques, se voulant héritiers ou opposants, citons, en France, Raymond Aron1 et René Girard2, en Allemagne, Carl Schmitt3 et Werner Hahlweg. Ce dernier a consacré sa vie à l’édition et à l’étude de Clausewitz4. Bruno Colson, enfin, est l’auteur de la première biographie en langue française de l’inépuisable théoricien (chez Perrin en 2016). La réflexion clausewitzienne porte, de manière générale, sur la belligérance, la planification et les opérations militaires, l’attaque et la défense, les vertus martiales, plus spécifiquement, sur les rapports entre l’organisation militaire et les structures politico-sociales, la réforme 1. Penser la guerre, Clausewitz, 2 vol., Paris, Gallimard, 1976, et Sur Clausewitz, Bruxelles, Complexe, 1987 ; Julien Freund : « Guerre et politique de Karl von Clausewitz à Raymond Aron », Revue française de sociologie, n° 4, 1976, p. 643-651 ; Emile Perreau- Saussine : « Raymond Aron et Carl Schmitt, lecteurs de Clausewitz », Commentaire, n° 103, 2003, p. 617-622. 2. Achever Clausewitz, Paris, Carnets Nord, 2007. 3. Théorie du partisan (1963), in La notion de politique – Théorie du partisan, Paris, Calmann- Lévy, 1972, rééd. Champs Flammarion, 1999 ; « Clausewitz, penseur politique » (1967), in Carl Schmitt : Machiavel, Clausewitz. Droit et politique face aux défis de l’histoire, Paris, Krisis, 2007, p. 43-85. 4. Cf. J.-J. Langendorf : La pensée militaire prussienne, op. cit., « Post Tenebras Lux : Werner Hahlweg », p. 595-600. 29 Chapitre 1 • Clausewitz de l’armée et la réforme de l’État, la guerre totale et la guerre limitée, l’ascension aux extrêmes, la guerre populaire, la guerre et la paix. Clausewitz, dit-on, oscillait entre deux pôles : Iéna, la défaite prussienne due à une seule bataille décisive ; la campagne de Russie, la défaite française due à l’usure de l’espace, du climat, de la guérilla. Sa réflexion n’est pas seulement descriptive et explicative ; elle est prescriptive, car l’auteur se veut conseiller du prince. Si l’on va au noyau de la pensée clausewitzienne, on trouve trois formules, une « trilogie » et trois antithèses, soit des schémas ternaires pour penser le duel. 1. Les trois formules 1) La formule sur la guerre, continuation de la politique – de la politique étrangère d’État – par d’autres moyens – militaires – ou instrument de la politique, est la plus célèbre. Il s’agit de la politique-objet, c’est- à-dire l’ensemble des facteurs qui conditionnent la guerre, et de la politique-sujet, c’est-à-dire l’action dirigeante. Dans la Formule, la guerre est entendue, non comme conflit armé, mais comme le recours à la force armée. Comme telle, elle n’est pas un « échec de la politique » ni un « mal » ; elle n’est pas non plus quelque chose de sacré1. Elle n’est pas une menace existentielle, donc une situation que l’on veut, doit ou devrait éviter ; elle est un outil, coercitif, que l’État – ou un Parti – peut utiliser – efficacement – pour parvenir à (imposer) des fins politiques (contre une ou plusieurs forces d’opposition). Voilà l’idée fondamentale, mille fois discutée : que la guerre poursuit la politique ; qu’à cet égard le recours à la force armée est utile et efficace ; que la causalité et la finalité de la guerre lui sont extérieures, puisqu’elle est décidée par l’autorité politique pour des buts politiques. Deux autres formulations clés existent : l’une concernant la globalité de la belligérance en tant que phénomène polémologique ; l’autre, sa spécificité en tant que combat. 2) Globalement, la guerre mêle la passion, l’action et la raison : l’ani- mosité populaire, l’activité combattante, l’intelligence politique. Selon cette définition « trinitaire », la belligérance réunit trois acteurs : le 1. Aucune notion de « guerre sainte » chez Clausewitz. 30 Chapitre 1 • Clausewitz peuple (en langage contemporain, l’opinion publique et les médias) ; la force armée ; le gouvernement, ou une autorité non étatique1. Le gouver- nement, disposant de la force armée, doit garder la maîtrise de ce duel qu’est la guerre, où chacun doit compter avec les actions et réactions de l’ennemi2. Ajoutons les tiers, que Clausewitz oublie mais que Julien Freund souligne3 : la guerre est un duel devant des tiers ; c’est pourquoi il importe également de tenir compte des actions et réactions des tiers… « La guerre est l’effet réciproque prolongé de deux (volontés) opposées », dit Clausewitz. Tel est le caractère dialectique de la guerre : l’action mutuelle dans les opérations pour tenter de vaincre l’ennemi en exploi- tant ses faiblesses, en le brisant ou en l’usant. Ce « principe de polarité » explique la recherche de la supériorité sur l’Autre, notamment par la surprise (accomplir quelque chose auquel ne s’attend pas l’ennemi) ou par l’innovation (technique, tactique, opérationnelle ou organisa- tionnelle). Il explique aussi que l’innovation finira par être imitée ou par rencontrer une parade4, du côté de l’adversaire, du moins s’il n’est pas aussitôt vaincu et s’il dispose d’un délai de réaction, du côté des tiers qui observent, du moins s’ils ont les moyens de l’imitation ou de la parade. Telle est la double loi de l’armement : l’innovation puis la diffusion par mimétisme. À la dialectique, s’ajoute le hasard, c’est-à-dire le « brouillard uploads/Histoire/ extrait 9 .pdf

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  • Publié le Mar 11, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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