L’Art de la guerre Sun Tzu L’Art de la guerre De Sun Tzu à Xi Jinping, par Pasc
L’Art de la guerre Sun Tzu L’Art de la guerre De Sun Tzu à Xi Jinping, par Pascal Boniface Traduction de Joseph-Marie Amiot Couverture : Delphine Dupuy © Dunod, 2019 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff ISBN : 978-2-10-080182-4 De Sun Tzu à Xi Jinping Pascal Boniface Comment peut-on expliquer que le petit livre d’un général chinois, rédigé il y a plus de 2 500 ans, suscite toujours autant d’intérêt et soit baigné d’un halo de respect intellectuel unanime dès son évocation ? Que génération après géné- ration, il soit entouré du prestige d’un classique immortel dont la connaissance est requise pour tous ceux qui s’intéressent aux affaires straté- giques ? Qu’il soit constamment réédité et fasse l’objet, ne serait-ce qu’en langue française, de tra- ductions multiples ? C’est un jésuite français, missionnaire en Chine, le père Amiot, qui fut le premier traducteur en français de L’Art de la guerre de Sun Tzu. Sous le titre Les Treize Articles de Sun Tzu, il a été publié en 1772 dans un recueil comprenant d’autres documents. Le père Amiot l’a traduit non du chinois (mandarin), mais du mandchou, langue officielle de la dynastie Qing, au pouvoir en Chine de 1644 à 1912. La pre- mière traduction de Sun Tzu du chinois au français L’Art de la guerre 6 est celle de Valérie Niquet en 19881. Selon Yann Couderc, il n’y avait que quatre traductions diffé- rentes proposées aux lecteurs en 19982. Par la suite, une nouvelle traduction paraît quasiment chaque année, au point que l’on puisse en décompter trente en 20173. Nous vous présentons dans ce livre la première, celle du père Amiot. Un engouement qui traverse les siècles On ne connaît pas grand-chose de la vie de l’auteur qui puisse permettre d’expliquer cet engouement qui a traversé les siècles. Il n’y a pas de biographie de Sun Tzu. Les éléments dont on dispose sur son existence sont divers et contradictoires. Il a même été suggéré qu’il n’a pas existé et que L’Art de la guerre serait l’œuvre de plusieurs auteurs qui auraient écrit sur plusieurs décennies. Selon Sima Quian4, Sun Tzu aurait vécu au ve siècle avant Jésus-Christ, à l’ère des Printemps et Automnes5. Il serait donc contemporain de Confucius, bien qu’il n’y ait aucune trace d’une 1. Sun Tzu, L’Art de la guerre, Economica, 1988, avec mention en ban- deau « nouvelle traduction ». 2. Yann Couderc, Sun Tzu en France, Nuvis, 2012, p. 53. 3. Yann Couderc, Sun Tzu – qui suis-je ?, Pardes, 2017, p. 9. 4. Premier historien chinois (145-86 av. J.-C.) à avoir écrit une histoire de la Chine depuis sa création. 5. Période allant de 771 à 481 av. J.-C. La Chine est alors constituée d’environ 200 principautés, la dynastie Zhou n’exerce sur elles qu’une faible autorité. 7 De Sun Tzu à Xi Jinping rencontre entre ces deux figures emblématiques de la Chine éternelle. Il aurait offert son traité en 512 av. J.-C. au roi Helü de l’État de Wu (actuelle province de Jiangsu sur la façade maritime orientale) qui, grâce à ses leçons, aurait conquis les territoires voisins. Mais cette version est battue en brèche, d’autres auteurs estimant que Sun Tzu et son immortel ouvrage auraient vu le jour deux siècles plus tard, à l’époque dit des « Royaumes combattants6 ». Deux arguments militent en faveur de cette chronologie. À l’ère des Printemps et des Automnes, celui qui commandait les armées était le roi lui-même et ce rôle ne pouvait donc être dévolu à un général. Par ailleurs, l’usage de l’arc, évoqué par Sun Tzu, n’existait pas à l’époque. Selon Yann Couderc, les motifs militant pour cette mystification chronologique sont tout à fait contemporains. Il s’agit de s’assurer que la pater- nité du premier ouvrage stratégique de l’humanité soit bien attribuée à un Chinois, et d’éviter qu’un étranger, occidental ou même indien, puisse s’en emparer. « Pour les Chinois, la question de la date de naissance de Sun Tzu pourrait être une question d’honneur. En effet, si le vie siècle av. J.-C. devait être effectivement retenu, 6. Période allant du ve siècle av. J.-C. à 221 av. J.-C. et l’unification du pays. Sept grands États émergent et s’affranchissent totalement de la dynastie Zhou, et leurs souverains prennent le titre de roi. Se mettent en place des États centralisés dont les affrontements militaires vont provoquer de lourdes pertes. L’Art de la guerre 8 il ferait incontestablement de Sun Tzu, le plus ancien stratège du monde7. » La bataille pour la suprématie se déroule égale- ment dans le champ historique. La volonté chinoise de prendre la première place sur l’échiquier mondial s’accompagne d’une volonté de montrer son anté- riorité dans le domaine de la pensée stratégique qui vient conforter et légitimer ses revendications de puissance, les rendre « naturelles ». L’art de la guerre au xxie siècle n’a évidemment plus grand-chose à voir avec celui de l’époque de Sun Tzu. À l’heure des drones, des missiles tirés à dis- tance, de la compétition spatiale, de la cyberguerre et de la dissuasion nucléaire, cette fascination persis- tante pour un petit manuel divisé en treize articles, censés donner les clés du succès dans des guerres menées il y a vingt-cinq siècles, peut surprendre. N’y aurait-il pas une part de snobisme, une volonté de jouer les esprits profonds en se raccrochant, l’air pénétrant, à quelques citations bien choisies qui vous donnent la stature d’une personne de grande culture ? Parmi ceux qui citent Sun Tzu, combien l’ont vrai- ment lu et combien se contentent de reprendre des formules de seconde main, simples à caser pour donner une ampleur historique et conceptuelle à leur propos, moyen facile d’impressionner leur auditoire ? Pourtant, lire Sun Tzu et son Art de la guerre, qui est 7. « Sun Tzu, pourquoi les Chinois », Lechocduchampdebataille. blogspot.com, novembre 2011. 9 De Sun Tzu à Xi Jinping un opuscule, n’est pas une tâche immense exigeant des jours entiers, contrairement à d’autres grands classiques de la littérature stratégique. Pourquoi donc ce succès qui ne se dément pas à travers les siècles ? Bien sûr, le fait qu’il soit considéré comme le premier traité de stratégie de l’histoire de l’humanité compte énormément. Être à jamais le premier force toujours le respect en stratégie comme dans d’autres domaines. Les craintes ayant possible- ment poussé les Chinois à faire remonter le temps à Sun Tzu semblent d’ailleurs superflues. Les œuvres antiques qui nous sont parvenues relèvent plus du récit de campagne que du véritable traité stratégique. Mais cette antériorité ne suffit pas à expliquer que Sun Tzu et son œuvre soient toujours jugés comme une lecture pertinente au xxie siècle, non seulement pour connaître l’histoire, mais égale- ment pour comprendre et gérer le présent. Que vaudrait un écrit très ancien qui n’a pas prouvé qu’il a pu et peut encore subir le choc des réalités ? Le livre de Sun Tzu n’est pas un simple ouvrage théorique stimulant la réflexion. Il a été mis en pratique et avec un succès indéniable. Les industriels de l’armement estiment faire la différence auprès d’acquéreurs potentiels en appo- sant sur les matériels qu’ils proposent à l’achat « Combat proven ». De même, le livre de Sun Tzu a débouché sur des victoires réelles. Certes, l’usage qu’aurait pu en faire le roi Hélü est douteux pour les raisons chronologiques mentionnées. Il est L’Art de la guerre 10 en revanche établi que Qin Shi Huangdi se serait inspiré de L’Art de la guerre pour vaincre les États voisins en 221 av. J.-C. et devenir le premier empe- reur de la Chine unifiée. L’histoire de la Chine est faite de périodes d’unification au cours desquelles le pays est puis- sant et respecté, et de périodes de déliquescence du pouvoir central et de poussées centrifuges funestes pour la population et propices à l’affaiblissement du pays face aux appétits étrangers. Les dirigeants qui unifient le pays, qu’ils soient rois ou dirigeants communistes, sont donc respectés. Mao avait déclaré qu’il n’avait jamais étudié dans les académies militaires et qu’il n’avait pas plus lu les manuels stratégiques, qu’il n’avait donc jamais lu Sun Tzu. C’est peut-être vrai. Mais on peut aussi penser que Mao, en niant toute inspira- tion due à Sun Tzu, faisait coup double : il balayait l’histoire prérévolutionnaire de la Chine et il attri- buait ses victoires militaires à son propre génie, qui n’avait pas besoin d’être éclairé par d’autres penseurs, et surtout pas par des non-marxistes. « Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus. » L’Art de la guerre, déjà un classique sous la dynastie Song (960‑1279)8, était surtout un enseignement 8. Au viiie siècle, des Chinois en fuite au Japon auraient apporté avec eux l’œuvre de Sun Tzu, qui aurait inspiré les Samouraïs, puis les unifica- teurs du Japon. Hô Chi Minh l’aurait traduit lui-même en vietnamien. 11 De Sun Tzu à Xi Jinping majeur dans les académies militaires de Kuomintang devenant une raison de plus – et qui aurait suffi à elle-même – pour ne uploads/Histoire/ feuilletage-236.pdf
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- Publié le Mar 04, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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