SUCCESSION ET HÉRITAGE CHEZ LES FANG DU GABON DE 1841 À NOS JOURS : UN PHÉNOMÈN

SUCCESSION ET HÉRITAGE CHEZ LES FANG DU GABON DE 1841 À NOS JOURS : UN PHÉNOMÈNE SOCIAL ENRACINÉ DANS LES MŒURS Pr. Dieudonné MEYO-ME-NKOGHE Maître de Conférences CAMES GRESHS ENS, Libreville RÉSUMÉ Les Fang du Gabon pratiquent, depuis leur arrivée sur le territoire, l’institu­ tion de l’héritage. La succession se pose de manière différente selon que l’on soit en système patrilinéaire ou matrilinéaire. Et cette situation se complique avec l’existence de la coutume et du droit français qui régissent la société répartie en citoyens de statut local et de droit français pendant la colonisation. L’héritage se présente sous trois formes : la transmission du pouvoir politique et spirituel ; l’héritage des biens matériels et enfin l’héritage de l’épouse ou lévirat. Ces trois formes obéissent à des règles que cet article présente dans les deux parties qui le composent ainsi que les subtilités liées à chaque transmission. Mots-clés : Gabon, Fang, Héritage, liens familiaux, héritage politique, héri­ tage matériel, lévirat. ABSTRACT Fang of the Gabon practises since their arrival on the territory the phenomenon of inheritance. The succession settles(arises) in a different way as we are of the system patrilinéaire or matrilinéaire. And this situation complicates with the exis­ tence of the custom and the French law which(who) govern the company(society) distributed in citizens of local status and French law during the colonization. The inheritance appears under three forms: the transmission of the political and spi­ ritual power; the inheritance of tangible assets and finally the inheritance of the wife or lévirat. These three forms to obey rules which this article presents in both parts(parties) which compose him(it) as well as the subtleties bound(connected) to every transmission. Keys words : Gabon, Fang, Heritage, family ties, political heritage, material heritage, lévirat. Rev. hist. archéol. afr., GODO GODO, N° 20 - 2010 © EDUCI 2010 INTRODUCTION Le problème de la succession se pose depuis l’Antiquité et c’est le cas dans la société fang. Ce peuple, habitant le nord, l’ouest et le centre du Gabon, repré­ sente environ 60% de la population du pays. Mais cette population vit aussi au Cameroun et en Guinée Equatoriale et MEDJO MVE1 estimait, en 1997, qu’ils comptaient environ 800 000 individus répartis sur les trois territoires précités. Le fond culturel de ce peuple comprend les fêtes, les visions du monde, la mort, les savoirs populaires et la transmission du patrimoine ou héritage qui est au centre de cet article. L’héritage consiste en la transmission du patrimoine d’une personne à sa mort vers une autre. Du latin hereditare, c’est-à-dire, recueillir une succession ou posséder après quelqu’un, l’héritage concerne tous types d’objets de sorte qu’il existe l’héritage spirituel, culturel, celui des biens et parfois de personnes. Peuple patrilinéaire, les Fang vivent selon les règles de transmission fondées sur la coutume et qui intègrent le testament verbal, ou en son absence, les règles fondées sur le droit civil des Etats après les indépen­ dances. Cette dualité de droit applicable semble être la source des problèmes d’héritage au Gabon. Les bénéficiaires d’un héritage sont en général les héritiers familiaux ou, d’après le code civil, les héritiers légaux qui sont des personnes proches dans un cas ou l’épouse et les enfants dans l’autre. Si, à l’époque précoloniale et coloniale, les règles de transmission semblaient stables, ce n’est plus le cas de nos jours où de nombreux drames liés à la succession surviennent. Il existe des différents entre les dépositaires de la coutume, généralement les parents du défunt et les veuves et les enfants. Les veuves et les orphelins demeurent les principales victimes de la cupidité des parents des défunts qui privilégient souvent leur intérêt au détriment de celui des descendants et de leur mère qui se trouvent alors privés de leurs droits. La société fang organisait la succession en respectant un équilibre qui péren­ nisait la paix sociale. Cet équilibre était fondé sur la tradition orale elle-même basée sur des règles séculaires. Sur quoi se fonde le problème de la succession dans la société gabonaise ? Comment la société fang règle-t-elle les conflits de compétence entre la coutume et la loi ? La succession du pouvoir politique est- elle la même que celle des biens chez les Fang ? C’est pour aborder l’étendue de ces problèmes que nous avons retenu les termes qui relèvent en ce qui concerne le pouvoir politique de la période au cours de laquelle les Fang sont signalés au Gabon tandis que la deuxième date couvre une période relativement longue et qui arrive aux années 19892 au cours de laquelle le nouveau code civil est promulgué. Cet article comporte ainsi deux grandes parties. La première per­ met d’aborder l’origine et l’évolution de l’institution de l’héritage tandis que la seconde s’intéresse aux règles de transmission liées à chaque cas. I. LES FONDEMENTS ET L’ÉVOLUTION DU PHÉNOMÈNE DE SUCCESSION L’héritage est probablement une pratique aussi vieille que l’humanité. La Bible en fait état et les sociétés anciennes ont mis en place des règles tendant à faciliter ce passage de témoin entre un défunt et son successeur. Dans cette partie, nous aborderons le substratum épistémique sur lequel repose le 1 Medjo Mvé Peter, (1997), Interaction et quantité vocalique dans le parler fang de la région de Cocobeach (Gabon), In Iboogha n°1, p. 150-165 2 C’est la loi 19/89 du 30 décembre 1989 qui promulgue le code civil du Gabon. 168 Dieudonné MEYO-ME-NKOGHE phénomène de longue durée qu’est l’héritage. Nous verrons ensuite l’évolution de l’institution depuis l’Antiquité et enfin, les règles liées à la transmission de l’héritage politique. I.1. La succession : une institution fondée sur la longue durée ? Se fondant sur des comportements enracinés dans la culture et de longue durée, l’héritage se rattache à l’histoire des mentalités. Les historiens s’emparent de cette notion vers les années soixante dix dans la mesure où elle butine large, car se situant sur trois niveaux, c’est-à-dire, sa position sur le versant de l’impersonnel et de l’automatique en refusant les phénomènes conscients qui caractérisent l’histoire classique. Elle s’inscrit ensuite sur le niveau psychologique pour enfin, privilégier les phénomènes collectifs contrairement aux situations individuelles. C’est ce fondement épistémique qui a conduit les historiens des mentalités à étudier les comportements et les habitudes quotidiennes par opposition aux actions réfléchies, répétitives, c’est-à-dire des permanences, des expressions involontaires et inconscientes comme le demeure le phénomène de succession dont l’origine se perd au crépuscule de l’humanité. En effet, la Bible fait souvent référence aux phénomènes de succession et l’histoire des sociétés occidentales est parcourue par des intrigues liées à ces successions. L’héritage en ce sens qu’il appartient aux phénomènes que l’on fait de manière inconsciente s’inscrit dans la longue durée comme nous le sou­ lignions et relève, de ce fait, de ce que Panosfli désignait par habitus et qui est contraire à l’événement. Voulant protéger la cellule sociale souche, les sociétés humaines, prirent l’habitude de confier au cadet du défunt la garde de la veuve et des orphelins afin d’éviter que l’épouse et les enfants qui constituaient les richesses essentielles d’un homme, ne soient livrés à un autre clan. Les rapts de femmes étaient encore en vigueur dans la société traditionnelle. La longue durée dont nous parlons et dont participe l’héritage, a été l’objet d’étude de plusieurs chercheurs. L’un de ses pionniers est, sans conteste, Philippe Ariès. Dans son Histoire des populations françaises et de leur attitude devant la vie (1971), il suggère que la contraception a suscité une révolution mentale dans le sens d’une maîtrise de la vie. Dans L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (1973), il présente l’enfance comme un âge spécifique, distinct de celui des adultes contrastant avec l’ancien régime, monde perdu d’un univers dans lequel la convivialité transcendait les séparations entre les âges. En attribuant cette mutation à «un phénomène psychologique qui a bouleversé le comportement de l’homme occidental à partir du XVIIIe siècle » (Ariès, 1979 : 136), Ariès a laissé entrevoir l’existence d’un inconscient collectif déterminant la variation des men­ talités selon les époques. Que l’on se situe dans la période précoloniale, coloniale ou après les indépendances, l’institution de l’héritage a lentement évolué. Cette mutation est ce qui caractérise les phénomènes s’inscrivant dans la longue durée et qui rejoignent le mental comme l’affirme Georges Duby. Ce dernier affirme que le niveau mental a sa propre temporalité qu’il subdivise en trois rythmes : celui rapide des émotions d’un moment, d’une conjoncture, de la rumeur (Delacroix, Dosse, Garcia, 2007 : 417) ; celui de l’évolution des comportements et croyances partagés par un groupe social déterminé et enfin, sur une longue durée, les cadres mentaux plus résistants aux changements, de l’héritage culturel, le système de croyance ou modèle de comportement qui perdure par delà l’événementiel. L’héritage entre dans cette dernière catégorie. 169 SUCCESSION ET HÉRITAGE CHEZ LES FANG DU GABON ... Pour encrer le phénomène de l’héritage dans l’histoire des mentalités, il faut, comme l’a fait Duby, déplacer le regard de l’historien de la narration du passé à la recherche de la problématique qui permet d’étudier les représentations de l’institution de l’héritage dans les époques uploads/Histoire/ fichir-article-1850.pdf

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  • Publié le Jan 10, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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