LIMITES FONCTIONNELLES ET TRANSITIVITÉ Laura Pino Serrano De Boeck Supérieur |
LIMITES FONCTIONNELLES ET TRANSITIVITÉ Laura Pino Serrano De Boeck Supérieur | Travaux de linguistique 2010/1 - n° 60 pages 11 à 27 ISSN 0082-6049 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2010-1-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pino Serrano Laura, « Limites fonctionnelles et transitivité », Travaux de linguistique, 2010/1 n° 60, p. 11-27. DOI : 10.3917/tl.060.0011 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. 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Présentation La problématique autour de la notion de transitivité réside dans les accep- tions diversifiées qu’on a voulu assigner à ce terme au cours de l’histoire, mais surtout dans le fait que différentes écoles linguistiques l’adoptent pour recouvrir des concepts dissemblables, parfois assez éloignés. Cela signifie qu’il est presque impossible de nos jours d’assister à une conciliation théo- rique des uns et des autres. Dans une longue réflexion, déjà classique, Lemaréchal 1 souligne l’hétérogénéité des définitions consignées pour la transitivité qui vont de l’identification du verbe transitif par la présence d’un actant (autre que le premier actant) à la seule explication basée sur l’importance du lien entre verbe et actant, déterminé par l’idée du besoin sémantique ou défini par la rection et/ou la diathèse comme critères de transitivité. Quinze ans plus tard, G. Lazard 2 reconnaît qu’il est vain de chercher la signification de ce concept, et qu’il faut se contenter tout simplement de comprendre et d’explorer les raisons qui le fondent. Et beaucoup plus récemment, lors d’un parcours historique à travers les fondements sémantiques des constructions verbales, B. Colombat con- tinue de nous rappeler la complexité et la versatilité du terme 3. Faudra-t-il alors convenir avec M. Gross qu’il faut bannir de notre vocabulaire gram- matical des notions telles que transitif ou complément d’objet direct, car elles ne servent pas à grand-chose voire à rien ? 4 En effet, dans les manuels de grammaire française le problème de la définition et de la délimitation de ces notions subsiste, et la question devient encore plus épineuse à partir du moment où l’on décide de faire la distinc- tion entre une transitivité directe et une transitivité indirecte (basée sur la ** Universidade de Santiago de Compostela GI 1751 FRANCION / GRAMM-R e-mail : laura.pino@usc.es Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 07/10/2014 21h24. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 07/10/2014 21h24. © De Boeck Supérieur Laura PINO SERRANO 12 perspective historique et la conception large du terme), et que l’on exclut, par conséquent, le test de la passivation comme critère de transitivité. Un autre inconvénient dérivé de l’utilisation du terme concerne sa portée : on étend parfois la transitivité hors du verbe ou prédicat et on con- sidère qu’il y a des substantifs (l’attente de la paix ; le transport de mar- chandises) et des adjectifs (incapable de le faire ; favorable au public) transitifs (Blinkenberg, 1960), et même des prépositions, des conjonctions et des adverbes également transitifs (Denis & Sancier-Château, 1994). Tous ces faits ont leur fondement historique, étant donné que le terme, fruit d’une élaboration séculaire, a traversé des moments assez différenciés : de l’échange entre deux personnes dans le paradigme pronominal à un type de rection verbale précise avec l’accusatif, mais aussi avec les cas obliques (cf. Colombat 2003a, 2003b et 2009 ; Pino, 2009 ; Evrard & Pino, 2010). J’essaierai de démontrer que les concepts de valence, transitivité et rec- tion sont complémentaires, mais qu’ils ne sont pas superposables. Pour ce faire, j’examinerai le phénomène de la transitivité en le mettant directement en rapport avec les notions de diathèse, de complémentation, de valence et d’objet, pour passer ensuite à l’analyse des différents types de transitivité reconnus et étudiés par certains linguistes et grammairiens. Je partirai des pré- supposés théoriques sur la transitivité, la rection et la complémentation verbale en général défendus par l’école linguistique structuraliste et par le fonctionna- lisme à visée typologique, de la grammaire dépendantielle ou grammaire des valences et de quelques études descriptives qui mettent en corrélation la struc- ture sémantique et syntaxique de la phrase. Dans cette démarche, il faudra toujours tenir compte, comme le signale Blinkenberg (1960 : 75), que « le domaine de la transitivité est à regarder comme un domaine syntactico-sémantique dont les limites sont par principe mouvantes » et surtout « qu’il s’agit d’une catégorie que si l’on veut bien la comprendre, il ne faut pas craindre de briser ». 2. Concepts en rapport avec la transitivité 2.1. Transitivité et diathèse On peut définir la transitivité comme le mécanisme de rection d’un consti- tuant nominal à l’intérieur du prédicat verbal, et la diathèse comme le mar- quage, à travers la morphologie verbale, des rapports syntaxiques et sémantiques des constituants nominaux de la phrase simple. Il est impossi- ble, bien sûr, de parcourir ici exhaustivement l’histoire de la notion de tran- sitivité et son rapport à la diathèse (pour ce faire, voir Evrard, 2003 et 2005). L’origine de la notion de transitivité, comme l’expose Baratin (1989 : 471-474), remonte à l’idée de passage d’une personne à l’autre dans le paradigme des pronoms personnels (ego > tu, me > te, etc.). Apollonius Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 07/10/2014 21h24. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 07/10/2014 21h24. © De Boeck Supérieur Limites fonctionnelles et transitivité 13 Dyscole (grammairien alexandrin du IIe siècle après J.-C.) applique, le pre- mier, la notion au domaine du verbe. La diathèse, par ailleurs – le terme signifie littéralement « dis- position » –, renvoie au rapport entretenu, dans un cadre énonciatif, par la personne avec le procès verbal : ce rapport peut être « disposant » (actif) ou « disposé » (passif). À partir de ce principe de transitivité dans le domaine du verbe comme gestion (ou non) d’un « complément » à l’accusatif, les grammai- riens latins du XVIe siècle opèrent une réduction du nombre de catégories diathétiques : là où la grammaire latine de l’Antiquité convenait de recon- naître cinq classes de verbes (actif, passif, neutre, commun, déponent), des auteurs comme Linacre, Scaliger ou Sanctius réduisent le champ à trois classes, soit l’actif, le passif et le neutre (ou « absolu »). Ils entérinent en même temps la valeur classificatoire que la tradition latine donnait aux ver- bes selon ces catégories diathétiques et ils la complètent par la distinction lexicale de verbes transitifs et de verbes qui ne le sont pas, sur la base de l’emploi en construction. Cette classification lexicale des verbes trouvera son application la plus prégnante dans la première lexicographie des parlers vernaculaires romans. Et si l’on observe les tables d’abréviations de dictionnaires jusqu’au Littré (en passant par le Furetière ou la première édition du Dictionnaire de l’Académie française), on ne peut manquer de noter la prévision d’une classe de verbes actifs. Or, à effectuer les inévitables contrôles par lemme, on constate qu’aucun verbe, dans aucune de ses acceptions, n’est présenté sous cette rubrique. Par contre, peu à peu se répand la répartition sur base lexicale des entrées verbales dans la lexicographie en « verbes transitifs » et « verbes intransitifs » (cf. Evrard et Pino, 2010). Je propose dans ce travail de rendre à la diathèse (passivation), entendue au sens large (être + participe) mais aussi des tournures avec adjectivation du participe ou avec infinitif passif (cf. Blinkenberg, 1960), son juste rôle dans l’identification du schème transitif, étant donné qu’il s’agit d’un critère servant parfaitement et sans exception à l’identification du prototype transitif non marqué ; au fur et à mesure que le test devient plus difficilement applicable, la construction deviendra par là même moins transitive, toujours selon l’échelle de transitivité généralement admise d’après tous les travaux de typologie linguistique dans ce domaine. (cf. Lazard, 1994 et 1998b ; Duchateau, 1998 ; François, 1998). Je me permets d’insister sur le fait qu’il ne s’agit que d’une option, d’une thèse de travail choisie dans le cadre de cette étude ; d’autres options sont possibles et soutenables, surtout si l’on tient compte des détours histo- riques que ces notions ont subis. Les réflexions de Colombat sur ce point sont claires, précises et uploads/Histoire/ limites-et-transitivite.pdf
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- Publié le Dec 03, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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