Outre-mers Sur l'indépendance : cinquante ans de littérature subsaharienne en l

Outre-mers Sur l'indépendance : cinquante ans de littérature subsaharienne en langue française. Roger Chemain Résumé Résumé : "Les indépendances" susceptibles de faire naître de grands espoirs, si des "résistances" restent à vaincre, en littérature une créativité généreuse se constitue un public proche et élargi. Une forme d'affranchissement comprend une réadaptation de la contestation politique et sociale. La persistance d'un humour insidieux et corrosif s'accompagne d'une libération de l'imaginaire - jamais gratuit. La littérature évolue en donnant à voir, à sentir, à rire, à imaginer, pour mieux être en prise sur le quotidien. La prise de conscience d'une diversité, ruptures et violences se greffent sur un désir d'entente profondément éprouvé. Les deux dernières décennies accusent ces tensions. Durant l'époque concernée, les circonstances voient l'émergence d'écrivains-femmes. Une critique littéraire spécifique se constitue. En des temps où les historiens reconnaissent à la littérature un intérêt, celui de combler les vides de l'Histoire, la fiction narrative peut contribuer à une perception plus complète et plus fine des faits. Les littératures subsahariennes permettent alors de régénérer, de revitaliser la pensée de notre temps. Citer ce document / Cite this document : Chemain Roger. Sur l'indépendance : cinquante ans de littérature subsaharienne en langue française.. In: Outre-mers, tome 97, n°368-369, 2e semestre 2010. Cinquante ans d'indépendances africaines. pp. 239-248. doi : 10.3406/outre.2010.4501 http://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2010_num_97_368_4501 Document généré le 15/09/2015 IV. L'explosion littéraire Sur l'indépendance : cinquante ans de littérature subsaharienne en langue française Roger CHEMAIN Le présent article s'attache à décrire dans ses grandes lignes des littératures africaines depuis l'indépendance ; il ne saurait, compte tenu de ses dimensions, être exhaustif: nombre de textes et d'auteurs intéressants ne sont pas cités car nous n'avons pas cherché à établir un catalogue. On compte peu de textes d'auteurs africains dans les années qui suivent immédiatement l'accession à l'indépendance des anciens d'AEF et d'AOF. Les littérateurs, nombreux dans la décennie précédente, s'étaient pour la plupart voués au procès de la colonisation. Celle-ci disparue, un temps de sidération semble frapper les écrivains les plus reconnus tels Mongo Beti, Ferdinand Oyono. Sur l'indépendance elle-même, sur les événements qui marquent ou suivent l'accès aux indépendances, sur les cérémonies de la célébration, les textes sont également peu nombreux. Au contraire, les récits anticipant sur les courants critiques qui se développeront après 1968-1970, traitent des limites de la souveraineté nouvellement acquise ; et ils concernent des faits et des pays précis. Certains sont à peu près contemporains des faits auxquels ils se réfèrent : ainsi des nouvelles de Sembene Ousmane comme Voltaï- ques r qui évoquent la rupture de l'union Mali-Sénégal et la présentent comme le résultat des maneuvres de l'ancienne puissance de tutelle, cependant qu'une autre nouvelle du recueil, Monsieur le député 1. Sembene Ousmane, Voltaïques, éd. Présence Africaine, 1962. Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010) 240 R. CHEMAIN inaugure la satire des nouvelles élites politiques. Le même auteur dans son roman L'Harmattan 2 narre la lutte - vaine - d'une poignée de militants du P.A.I. 3 contre le référendum de 1958. Dans ces mêmes années, Tchicaya UTam'si célèbre, dans son recueil Epitotne 4, la figure de Patrice Lumumba et évoque les événements qui déchirent le Congo antérieurement belge, mettant ces faits en rapport avec les luttes (...) qui secouent le Tiers-Monde. À ce titre, il reste un des rares auteurs de cette époque à faire mention de la guerre d'Algérie. Ce même auteur consacre un texte pessimiste aux fêtes de célébration de l'indépendance. Une nouvelle douloureusement sera exploitée ultérieurement au théâtre par un compatriote : Indépendance Tcha-Tcha. Bien plus tard et dans un autre contexte, l'enchaînement des ayant conduit à l'indépendance du Cameroun feront l'objet d'un récit épique et dénonciateur dans Remember Ruben 5, et La ruine presque cocasse d'un polichinelle 6 de Mongo Béti dans les années 1980. Au début des années i960, quelques récits continuent à évoquer l'époque coloniale : La palabre stérile 7 de Guy Menga ou 22 8 de Patrice Lhoni au Congo-Brazzaville. Au Congo comme au Cameroun, les premières années de voient publiées ou portées à la scène des pièces non dépourvues d'une dimension critique, mais il s'agit souvent de critique de mœurs plus que de critique sociale : il en est ainsi du problème de la dot dans Notre fille ne se mariera pas 9 de Guillaume Oyono Mbia. Les pièces sont souvent représentées dans un cadre semi-officiel comme le CEFRAD au Congo, ou associatif et scolaire. Aussi traitent-elles de sujets modérément critiques, souvent liés à la tradition : faut-il la respecter, la transgresser, la dépasser ? - chaque protagoniste défendant son point de vue. À Brazzaville, le thème du conflit de générations est très présent ; on le rencontrait déjà dans les romans de Ferdinand Oyono ou de Mongo Béti dans la décennie précédente. Ce thème est au cœur de La de Koka Mbala IO et de L'oracle " de Guy Menga. Les années qui suivent l'accès à l'indépendance et le régime de l'abbé Fulbert Youlou voient les mouvements de jeunesse (JMNR), jouer un grand 2. Ibid., L'Harmattan, Présence africaine, Paris, 1963. 3. Parti Africain de l'Indépendance. 4. Tchicaya U tam'si, Epitome, éd.P.J. Oswald, Paris, 1962. 5. Mongo Beti, Remember Ruben, UGE, 10/18 Paris 1974. 6. Ibid., La ruine presque cocasse d'un polichinel, éd. Des peuples noirs, Paris, 1979- 7. Guy Menga, La palabre stérile, CLE, Yaounde, 1965. 8. Patrice Lhoni, Matricule 22, Imprimerie nationale, Brazzaville. 9. Guillaume Oyono Mbia, Notre fille ne se mariera pas, ORTF, RFI, Paris, 1971. 10. Guy Menga, La marmite de Koka Mbala, éd. Regain, Montecarlo, 1966. 11. Ibid., L'oracle, éd. CLE, Yaounde, 1969. sur l'indépendance 241 rôle dans la vie politique, ce qui explique, dans une certaine mesure, le succès de cette veine critique. De cette période date une évolution théâtrale congolaise qui se poursuit bien au-delà, tout au long des années soixante dix avec des auteurs comme Sylvain Bemba, ou Ferdinand Mouangassa, N'Ganga Mayala I2 Les apprivoisés ou de Patrice Lhoni, Les trois francs I3. • • Deux textes fondateurs paraissent en 1968 : Le devoir de *4 de Yambo Ouologuem et Les soleils des Indépendances I5 d'Ahmadou Kourouma. Le premier fait une entrée fracassante dans le monde des lettres en obtenant le prix Renaudot en 1969 mais ne sera guère suivi que par une Lettre à la France nègre, essai sans grand éclat. Le second, d'abord refusé par maints éditeurs parisiens, paraît au Canada (aux éditions de la Francité au Québec) avant d'être repris par les éditions du Seuil deux ans plus tard en 1970. Ce roman est à l'origine d'une vraie carrière d'écrivain. Les deux ouvrages sus-cités marquent une rupture. Yambo s'en prend à l'image idéalisée du passé africain que le de la négritude avait opposée à l'idée coloniale d'une « Afrique sans histoire » : les grands empires pré-coloniaux paraissent sous sa plume la dictature d'une classe féodale rapace, esclavagiste, qui a su garder son pouvoir sous la colonisation en « la » manipulant. Le roman du Malien n'évoque pas des faits historiques et un état réel, mais un empire imaginaire, le Nakem et sa capitale Tillaberi-Bentia. Bien qu'il semble s'étendre jusqu'à englober des portions de la grande forêt équatoriale, l'essentiel du territoire de cet empire paraît constitué de savanes tout à fait analogues à celles où se développèrent les grands empires médiévaux du Ghana et du Mali. Empire imaginaire, le Nakem n'en a pas moins des liens solides avec les empires réels, dont il condense à la manière d'une épure ou d'un modèle, les différents traits. Le devoir de violence comporte des prolongements modernes, et à vrai dire l'essentiel du roman raconte des événements se situant dans la première moitié du xxe siècle. À la volonté de faire revivre ou de renouer avec un passé révolu, se substitue donc le souci de faire apparaître une permanence. La troisième partie du roman la plus longue (148 p. sur 207), nous dit comment le roi Saïf Ben Isaar el Heït, vaincu par une expédition militaire française, saura néanmoins sauvegarder ses privilèges et ceux 12. Ferdinand Mouangassa, Nganga Mayala, CLE Yaounde, 1976. 13. Ibid., Les apprivoisés, Imprimerie nationale, Brazzaville, 1968. 14. Yambo Ouologuem, Le devoir de violence, éd. Seuil, Paris, 1968. 15. Ahmadou Kourouma, Les soleils des indépendances, éd. De la Francité, 1968, rééd. Seuil, Paris, 1970. Outre-Mers, T. 98, N° 368-369 (2010) 242 R. CHEMAIN des notables. Tout au long de la période coloniale, grâce à son génie de l'intrigue - et au besoin à la science des poisons, il écarte toute velléité manifestée par l'administration de toucher aux structures sociales du pays. Soucieux de l'avenir, il fait instruire « à l'européenne » les fils de ses serfs, s'assurant ainsi la disposition de marionnettes dociles qui, aux lendemains des aménagements postérieurs à la Deuxième Guerre mondiale, lui permettront de contrôler la vie politique du Nakem. Nous suivons ainsi l'histoire de Raymond Spartacus Kassoumi qui, envoyé par les soins de Saïf à Paris afin d'y poursuivre des études d'architecte, tente vainement d'échapper à son destin pour revenir après vingt années de tribulations cruelles, se présenter aux élections législatives dans uploads/Histoire/ litterature-subsaharienne-en-langue-francaise.pdf

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  • Publié le Apv 01, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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