Revue de l’histoire des religions 2 | 2013 Écrire dans les pratiques rituelles
Revue de l’histoire des religions 2 | 2013 Écrire dans les pratiques rituelles de la Méditerranée antique. Identités et autorités Contrôler les démons Formules magiques et rituelles dans la tradition juive entre les sources qumrâniennes et la Genizah Controlling the Demons: Magic and Rituals in the Jewish Tradition from the Dead Sea Scrolls to the Cairo Genizah Emma Abate Édition électronique URL : http://rhr.revues.org/8115 ISSN : 2105-2573 Éditeur Armand Colin Édition imprimée Date de publication : 1 juin 2013 Pagination : 273-295 ISBN : 978-2-200-92864-3 ISSN : 0035-1423 Référence électronique Emma Abate, « Contrôler les démons », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 2 | 2013, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 03 janvier 2017. URL : http://rhr.revues.org/8115 ; DOI : 10.4000/rhr.8115 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Tous droits réservés Revue de l’his toire des reli gions, 230 – 2/2013, p. 273 à 295 EMMA ABATE EA 4116 (SAPRAT : Savoirs et pratiques du Moyen Âge au XIXe siècle) École pratique des Hautes Études, Paris Contrôler les démons Formules magiques et rituelles dans la tradition juive entre les sources qumrâniennes et la Genizah Cet article examine des pratiques d’écriture rituelle d’origine juive destinées à des prophylaxies antidémoniaques et qui s’étendent de l’époque hellénistique au Moyen Âge. En comparant des formules provenant de sources diverses, notamment des instructions tirées de Papyrus Magiques Grecs, des prières apotropaïques qumrâniennes et des fragments de la Genizah du Caire, apparaissent des traits distinctifs de la procédure exorciste. À travers l’analyse d’un patrimoine traditionnel qui fut codifi é dans le judaïsme du Second Temple, il est possible de décrire des schémas récurrents d’expulsion démoniaque qui traversent les siècles dans une zone assez vaste de la Méditerranée orientale. Controlling the Demons: Magic and Rituals in the Jewish Tradition from the Dead Sea Scrolls to the Cairo Genizah. This paper examines ritual texts of Jewish origin having anti-demonic purposes and dating between the Hellenistic period and the Early Middle Ages. Distinctive features of exorcist prophylaxis are described, taking into account formulas belonging to different contexts: instructions included in the Greek Magical Papyri, apotropaic prayers from the Dead Sea Scrolls and fragments from the Cairo Genizah. Thanks to the analysis of traditional material that was codifi ed under Second Temple Judaism, it is possible to point out some formal patterns of texts and practices of demon expulsion standing for many centuries in a wide area of eastern Mediterranean Judaism. Cette contribution a pour objet l’analyse de divers types de documents appartenant à la tradition juive méditerranéenne et orientale, qui attestent de pratiques d’écriture rituelle destinées à obtenir le contrôle d’entités invisibles nommées shedim (démons) et ru· hot (esprits). L’écriture se révèle un instrument extrêmement puissant et effi cace dans les exorcismes et prophylaxies antidémoniaques. Les documents comportent des prières apotropaïques, des enchantements et des textes d’instruction que l’on peut rapporter à la fois à un contexte domestique, didactique ou liturgique. Leur physionomie refl ète, de manière fuyante à cause du morcellement des sources et des inconnues de temps et de lieu, la diversité des occasions où l’on a eu recours à ces pratiques entre la période hellénistique et le Moyen Âge. Leur structure formulaire signale leur appartenance à un patrimoine traditionnel pluriséculaire qui s’est formé dans le judaïsme du Second Temple (vie siècle avant – ier siècle de notre ère) et qui est resté cohérent et quasiment inchangé pendant des siècles. Notre intention est de montrer tant la variété que les éléments de continuité qui connotent cette typologie textuelle. En premier lieu, deux prescriptions d’origine judéo-hellénistique conservées dans les Papyrus Magiques Grecs1 (iie-ve siècle après J.-C.), seront examinées : elles constituent les témoignages les plus complets qui nous soient parvenus depuis l’Antiquité tardive2. Leur examen permet de proposer la reconstitution des phases d’un rituel exorciste et de dessiner l’architecture d’une conjuration antidémoniaque. L’explication de ces éléments ouvrira sur une comparaison avec les témoignages plus lacunaires et fragmentaires de la tradition juive précédente. Nous examinerons aussi des fragments de rouleaux retrouvés à Qumrân3, 1. Corpus de papyrus compilés du iie au ve siècle, renfermant des formules magiques pour des occasions variées, voir Karl Preisendanz, Papyri Graecae Magicae : Die Griechischen Zauberpapyri, 2 vol., Stuttgart, 1973-1974 (= PGM) et Hans Dieter Betz, The Greek Magical Papyri in Translation, including the Demotic Spells, Chicago, 1986, p. xli-xlviii. 2. PGM, IV. 1227-64, 3007-86. 3. Maurice Baillet, Discoveries in the Judean Desert VII, Qumrân grotte 4.III (4Q482-4Q520), Oxford, 1982, p. 215-262 ; Esther Chazon et al. (éd.), Discoveries in the Judean Desert XXIX, Qumran Cave 4.XX : Poetical and Liturgical Texts, Part 2, Oxford, 1999, p. 367-378 ; Florentino García Martínez, Eibert J. C. Tigchelaar, Adam S. van der Woude, Discoveries in the Judean Desert XXIII, CONTRÔLER LES DÉMONS 275 qui contiennent des hymnes et formules en hébreu et en araméen datant des ier siècle avant – ier siècle de notre ère. Entre les périodes antique et médiévale, la diffusion de pratiques magiques destinées à contrôler démons et esprits se manifeste surtout dans les découvertes archéologiques – par exemple des ustensiles destinés à la protection domestique comme les coupes magiques babyloniennes (ive-viie siècles)4 –, et dans une documentation indirecte, les littératures judéo-hellénistique, rabbinique et mystique5. Nous manquons toutefois de témoignages directs de rituels exorcistes. Néanmoins, un fi l direct semble relier les témoignages médiévaux provenant de la Genizah du Caire6 à la tradition de l’Antiquité tardive. Aussi clôturerai-je l’article en examinant deux fragments inédits (conservés à la Bodleian Library d’Oxford) de rituels démoniaques provenant du répertoire de manuscrits magiques de la Genizah et datables des xie-xiiie siècles, car ils démontrent à la fois les développements et la persistance du genre dans le contexte judéo-égyptien médiéval7. Qumran Cave 11.II : (11Q2-18, 11Q20-31), Oxford, 1998, p. 181-205 ; Esther Eshel, « Genres of Magical Texts in the Dead Sea Scrolls », dans Armin Lange, Hermann Lichtenberger, K. F. Diethard Römheld (éds.), Die Dämonen-Demons : Die Dämonologie der israelitisch-jüdischen und früchristlichen Literatur im Kontext ihrer Umwelt, Tübingen, 2003, p. 395-415. 4. Joseph Naveh, Shaul Shaked, Amulets and Magic Bowls : Aramaic Incantations of Late Antiquity, Jérusalem, 1985 ; Id., Magic Spells and Formulae : Aramaic Incantations of Late Antiquity, Jerusalem, 1993. 5. Philip S. Alexander, « Incantations and Books of Magic », dans Emil Schürer éd., The History of the Jewish People in the Age of Jesus Christ (175 B. C – 135 A. D.), Edinburgh, 1986, vol. III, p. 342-379 ; Gideon Bohak, Ancient Jewish Magic. A History, Cambridge, 2008, p. 70-142. 6. Le terme genizah désigne un lieu interne à une synagogue où sont conservés tous types de témoignages écrits en hébreu, qui ne sont plus utilisables, mais qui ne peuvent pas être détruits parce qu’ils pourraient contenir les lettres du nom divin et parce que la langue et l’écriture hébraïque sont considérées comme sacrées. Tandis que les genizot des autres synagogues médiévales ont été périodiquement vidées, la genizah de la synagogue de Ben Ezra à Fustat (la vieille ville du Caire) a continué de conserver son trésor de manuscrits qui s’est accru et enrichi entre le xie et le xixe siècle. Voir : Solomon D. Goitein, A Mediterranean Society. The Jewish Community of the World as Portrayed in the Documents of the Cairo Genizah, Berkeley, 1967-1993, vol. 1, p. 1-15 ; Stefan Reif, A Jewish Archive from Old Cairo. The History of Cambridge University’s Genizah Collection, London, 2000, p. 1-14 ; Adina Hoffman, Peter Cole, Sacred Trash: The Lost and Found World of the Cairo Geniza, New York, 2011. 7. Cf. ms Heb. e. 44, ff. 78-79 et ms Heb. f. 61, ff. 40-41, dans Adolf Neubauer, Arthur E. Cowley, Catalogue of the Hebrew Manuscripts in the Bodleian Library, vol. II, Oxford, 1906, p. 65 & 336. 276 EMMA ABATE Je commencerai par introduire à la nature des démons et à l’imaginaire démonologique et magique juif. L’IMAGINAIRE DÉMONOLOGIQUE JUIF ET LA TRADITION MAGIQUE La pensée juive antique et médiévale est caractérisée par une réelle ambivalence vis-à-vis de la diffusion des arts magiques dans leur ensemble, et des rituels démonologiques en particulier, bien qu’ils entrent dans la liste des pratiques magiques condamnées dans Deutéronome 18:9-15 - Lévitique 19:26 - Nombres 23:23. La croyance aux esprits et aux démons est attestée dans les témoignages classiques, bibliques et talmudiques. Shedim, ru· hot, Lilit et ‘Aza’zel, ou encore les anges rebelles, font leur première apparition dans la Torah, dans les Prophètes et dans les Psaumes8. La foi en un univers organisé hiérarchiquement et fonctionnant par l’intervention de pouvoirs cosmiques dépendants de la volonté divine se diffuse dans le judaïsme du Second Temple à partir d’une contamination perse9. Le monde est entendu comme un complexe habité par des forces angéliques, infernales et démoniaques, qui l’animent et veillent à ses différentes fonctions. La démonologie s’est surtout développée à l’époque hellénistique, lors du passage de l’oralité à la production écrite de textes magiques juifs, dont leurs auteurs – la plupart de tradition scribale ou rabbinique – s’affi rment comme des professionnels de la magie10. uploads/Histoire/ abate-emma-controler-les-demons.pdf
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- Publié le Jan 16, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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