L'histoire colonialeL'histoire coloniale Mahfoud Kaddache J'ai dès mon jeune âg

L'histoire colonialeL'histoire coloniale Mahfoud Kaddache J'ai dès mon jeune âge perçu l'histoire à l'école comme un hommage à rendre aux grands Français qui ont fait la France et son oeuvre coloniale. J'ai pleuré sur le sort de Jeanne d'Arc, plaint la mort de Louis XVI, admiré les principes de la Révolution de 1789 et applaudi aux victoires de Napoléon. Sur ce qui touchait à mon pays, je n'ai eu que quelques pages sur l'apparition de l'Islam et sur le combat mené par Abdelkader. À l'université d'Alger, les programmes de la licence que j'ai suivis ne comportaient sur la vingtaine des questions inscrites, aucune se rapportant au Maghreb ou à l'Algérie. Seules nos lectures personnelles nous préparaient aux épreuves orales qui pouvaient aborder l'histoire de notre pays. Nous avons alors jugé l'histoire coloniale : une histoire à la gloire de la colonisation venue apporter les bienfaits de la civilisation française à des indigènes fanatiques et barbares. N'oublions pas que l'histoire coloniale de l'Algérie a été d'abord l'oeuvre d'officiers, de fonctionnaires, de géographes et par la suite d'historiens plus préoccupés de glorifier la colonisation, de mieux connaître "l'indgène" afin de bien le dominer, que de relater le sort réservé à l'autochtone et les aspirations du peuple algérien. Les travaux des E. F. Gautier, Robert Montagne, Louis Bertrand, les frères Jean et Jérôme Tharaud, Augustin Bernard, Ladreit de Lacharrière, Reygasse... et j'en passe, ont contribué à répandre quelques thèses fortement appréciées par les milieux colonialistes : il n'y a pas eu d'État au Maghreb, les Berbères sont hostiles aux Arabes et à l'Islam, le calme règne en Algérie à la veille du 1er novembre 1954... Dans l'opinion française, même chez les gens de gauche, et chez de nombreux historiens, l'idée de l'indépendance de l'Algérie n'effleurait pas les esprits et n'était pas considérée comme une possible hypothèse de recherche. L'idée que la France puisse être une grande puissance sans ses colonies et surtout sans l'Algérie était impensable. Des historiens soulignaient le désir de la politique coloniale de faire des "indigènes" des Français citoyens à part entière, mais faisaient remarquer en même temps que leur bas niveau civilisationnel rendait l'assimilation impossible. Même le gouvernement du Front populaire n'eut pas le courage de faire voter un timide projet de loi Viollette allant dans le sens de l'assimilation, malgré les avis et les recommandations d'un de ses conseillers, l'historien éclairé Charles-André Julien (photo ci-contre). Cette histoire coloniale fit quelques progrès lorsque certains auteurs commencèrent à accorder quelques pages à nos ancêtres, souvent désignés indigènes. Le plus célèbre d'entre eux a été certainement Charles-André Julien, ses deux principaux ouvrages concernant l'Algérie avaient conquis la sympathie des intellectuels algériens. Son Histoire de l'Afrique du Nord nous avait fait connaître, outre les grandes périodes de notre Maghreb, les aspects politique, économique et culturel des sociétés autochtones et de spopulations étrangères qui s'y étaient installées. Plus important a été la publication de L'Afrique du Nord en marche. Nationalisme musulman et souveraineté française. Julien a ainsi officialisé l'existence des partis nationalistes et leurs revendications de l'indépendance. Ageron a certainement apprécié les travaux de celui qu'il a choisi comme directeur de sa thèse et dont son deuxième ouvrage avait décidé de "sa vocation d'historien". D'autres chercheurs formés à l'école de Julien ou influencés par son esprit ont continué à suivre la ligne tracée par le maître : donner dans l'histoire coloniale une place importante aux sociétés autochtones, à leur condition, leur culture et leurs aspirations. Et on peut citer une longue liste, les Nouschi, Rey-Goldzeiguer, Prenant... (...) Je rêve pour l'Algérie d'une histoire qui ne soit pas une histoire coloniale ni une histoire nationaliste mais une histoire des peuples, de leurs conditions, de leur culture et de leurs aspirations et où les jugements portés seraient exprimés en fonction des droits de l'homme à la dignité, à la liberté et à la vie, dans la paix et la justice. Les horreurs de la conquête coloniale, les massacres de mai 1945, les tortures durant la guerre de libération, la vision des harkis, les folies meurtrières de l'OAS après le cessez-le-feu, le problème des archives restent encore vus différemment par les uns et les autres. De récents colloques, comme ceux organisés à Paris et à Montpellier, comme celui d'aujourd'hui, avec la participation d'historiens français et algériens, contribueront certainement à faire triompher la vérité historique. Il n'y aura - espérons-le - au cours de ce millénaire, plus de place à une histoire coloniale teintée de patriotisme voire d'impérialisme appelant fatalement une histoire nationaliste opposée, celle des ex-colonisés. Saluant tous une ère nouvelle pour l'histoire des relations de nos deux pays, une histoire narrant la vérité d'un réel dialogue scientifique et favorisant l'amitié. Mahfoud Kaddache (2000) La guerre d'Algérie au miroir des décolonisations françaises, éd. Société française d'histoire d'outre-mer, 2000, p. 677-683. Je rêve pour l'Algérie d'une histoire qui ne soit pas une histoire coloniale ni une histoire nationaliste Mahfoud Kaddache - Et l'Algérie se libéra. 1954-1962, éd. Paris-Méditerranée, 2003. - L'Algérie des Algériens. De la préhistoire à 1954, éd. Paris-Méditerranée, 2003. - Histoire du nationalisme algérien. 1919-1951, éd. Paris-Méditerranée, 2004 Mahfoud Kaddache mahfoudkaddacheJ'ai dès mon jeune âge perçu l'histoire à l'école comme un hommage à rendre aux grands Français qui ont fait la France et son oeuvre coloniale. J'ai pleuré sur le sort de Jeanne d'Arc, plaint la mort de Louis XVI, admiré les principes de la Révolution de 1789 et applaudi aux victoires de Napoléon. Sur ce qui touchait à mon pays, je n'ai eu que quelques pages sur l'apparition de l'Islam et sur le combat mené par Abdelkader. À l'université d'Alger, les programmes de la licence que j'ai suivis ne comportaient sur la vingtaine des questions inscrites, aucune se rapportant au Maghreb ou à l'Algérie. Seules nos lectures personnelles nous préparaient aux épreuves orales qui pouvaient aborder l'histoire de notre pays. Nous avons alors jugé l'histoire coloniale : une histoire à la gloire de la colonisation venue apporter les bienfaits de la civilisation française à des indigènes fanatiques et barbares. N'oublions pas que l'histoire coloniale de l'Algérie a été d'abord l'oeuvre d'officiers, de fonctionnaires, de géographes et par la suite d'historiens plus préoccupés de glorifier la colonisation, de mieux connaître "l'indgène" afin de bien le dominer, que de relater le sort réservé à l'autochtone et les aspirations du peuple algérien. Les travaux des E. F. Gautier, Robert Montagne, Louis Bertrand, les frères Jean et Jérôme Tharaud, AugustinGautier_moeurs_musulmans Bernard, Ladreit de Lacharrière, Reygasse... et j'en passe, ont contribué à répandre quelques thèses fortement appréciées par les milieux colonialistes : il n'y a pas eu d'État au Maghreb, les Berbères sont hostiles aux Arabes et à l'Islam, le calme règne en Algérie à la veille du 1er novembre 1954... Dans l'opinion française, même chez les gens de gauche, et chez de nombreux historiens, l'idée de l'indépendance de l'Algérie n'effleurait pas les esprits et n'était pas considérée comme une possible hypothèse de recherche. L'idée que la France puisse être une grande puissance sans ses colonies et surtout sans l'Algérie était impensable. Des historiens soulignaient le désir de la politique coloniale de faire des "indigènes" des Français citoyens à part entière, mais faisaient remarquer en même temps que leur bas niveau civilisationnel rendait l'assimilation impossible. Même le gouvernement du Front populaire n'eut pas le Charles_Andr__Julien_bureau_1938courage de faire voter un timide projet de loi Viollette allant dans le sens de l'assimilation, malgré les avis et les recommandations d'un de ses conseillers, l'historien éclairé Charles-André Julien (photo ci-contre). Cette histoire coloniale fit quelques progrès lorsque certains auteurs commencèrent à accorder quelques pages à nos ancêtres, souvent désignés indigènes. Le plus célèbre d'entre eux a été certainement Charles-André Julien, ses deux principaux ouvrages concernant l'Algérie avaient conquis la sympathie des intellectuels algériens. Son Histoire de l'Afrique du Nord nous avait fait connaître, outre les grandes périodes de notre Maghreb, les aspects politique, économique et culturel des sociétés autochtones et de spopulations étrangères qui s'yCharles_Andr__Julien_AFN_en_marche étaient installées. Plus important a été la publication de L'Afrique du Nord en marche. Nationalisme musulman et souveraineté française. Julien a ainsi officialisé l'existence des partis nationalistes et leurs revendications de l'indépendance. Ageron a certainement apprécié les travaux de celui qu'il a choisi comme directeur de sa thèse et dont son deuxième ouvrage avait décidé de "sa vocation d'historien". D'autres chercheurs formés à l'école de Julien ou influencés par son esprit ont continué à suivre la ligne tracée par le maître : donner dans l'histoire coloniale une place importante aux sociétés autochtones, à leur condition, leur culture et leurs aspirations. Et on peut citer une longue liste, les Nouschi, Rey-Goldzeiguer, Prenant... (...) Je rêve pour l'Algérie d'une histoire qui ne soit pas une histoire coloniale ni une histoire nationaliste mais une histoire des peuples, de leurs conditions, de leur culture et de leurs aspirations et où les jugements portés seraient exprimés en fonction des droits de l'homme à la dignité, à la liberté et à la vie, dans la paix et la justice. Les horreurs de la conquête coloniale, les massacres de mai 1945, les tortures durant la uploads/Histoire/ mahm-kaddache.pdf

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  • Publié le Apv 03, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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