ISBN : 978-2-02-118308-5 © Éditions du Seuil, octobre 2015 Le Code de la propri

ISBN : 978-2-02-118308-5 © Éditions du Seuil, octobre 2015 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. www.seuil.com Table des matières Copyright Dédicace Exergue 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 Le destin des uns et des autres Une reconstitution Sources et bibliographie Remerciements Retrouvez l’univers..... Du même auteur À M. F. À Isabelle « Premier principe : ne jamais se laisser abattre ni par les personnes, ni par les événements. » MARIE CURIE « J’ai souvent eu le sentiment que les liens de Marie Curie avec la vie étaient plus profonds et plus sérieux que les miens. » ALBERT EINSTEIN 1 Il y a quelques mois, chez un bouquiniste, je suis tombée sur un curieux ouvrage. Il comptait à peine cent pages. On l’avait soigneusement relié de percaline gris-bleu. Je l’ai ouvert. Une vignette était collée au verso de sa couverture. Elle a aussitôt attiré mon attention : elle figurait le diable. Ou, plus exactement, une sorte d’hybride entre le démon et un vieillard lubrique. Pieds griffus, nez crochu, oreilles démesurément allongées, rictus salace, yeux globuleux que le vice faisait jaillir de leurs orbites. La libidineuse créature brandissait deux initiales entrecroisées, GM. Leur graphisme élégant s’accordait mal avec l’obscénité de la représentation du vieillard et suggérait que la vignette avait été réalisée dans les années 1900. À l’évidence, cette vignette – un ex-libris – avait été confectionnée à la demande d’un amateur de livres qui avait aménagé dans sa bibliothèque ce qu’on appelait à l’époque un « second rayon » : une collection de textes libertins qu’on dissimulait derrière des cloisons secrètes ou sur des étagères haut perchées. Avant de s’y plonger, on verrouillait sa porte. On s’en délectait d’autant plus que c’était un plaisir interdit. Et pour certains, honteux. J’ai ouvert le livret bleu. Recueil de poèmes graveleux, roman érotique, récit pornographique ? Non, rien que deux numéros d’un hebdomadaire petit format reliés en l’état, qui s’apparentaient davantage à des libelles qu’à des journaux. Leur papier, de mauvaise qualité, avait beaucoup jauni. Leur couverture rouge minium, en revanche, n’avait rien perdu de sa couleur criarde, vraisemblablement destinée à attirer l’attention des passants lorsqu’ils croisaient un kiosque. Les numéros se suivaient. Ils étaient respectivement datés du 23 et du 30 novembre 1911. Un gros titre barrait la couverture du premier fascicule : « POUR UNE MÈRE ». Je suis revenue au début du livret et je l’ai hâtivement feuilleté. Ma surprise a redoublé. La quasi-totalité des fascicules était consacrée à des attaques d’une violence inouïe contre la personne de Marie Curie, la brillantissime chercheuse qui, douze ans plus tôt, avec son non moins génial époux Pierre Curie, avait découvert deux nouveaux éléments chimiques, le polonium et le radium. Le couple avait ensuite étudié leurs effets, que Marie avait baptisés « radioactivité ». En 1903, un prix Nobel de physique avait consacré cette extraordinaire découverte. Pierre avait insisté pour que Marie puisse partager avec lui la prestigieuse distinction ; l’Académie suédoise n’avait d’abord vu en elle que la fidèle assistante de son époux. Elle devint ainsi la première femme à recevoir un Nobel. Certains doutaient toujours de son génie scientifique. Mais cinq ans et demi après la mort de Pierre, victime d’un banal accident de la circulation, le Nobel lui fut encore attribué, cette fois au titre de la chimie. À l’heure où j’écris ces lignes, elle reste la seule femme au monde à avoir reçu cette double consécration. Elle les mérite largement : chacun de nous, quand il passe une radiographie, lui doit l’allègement de ses inquiétudes ou de ses souffrances, quand ce n’est pas la vie. Et combien de cancers vaincus grâce aux rayons de la « curiethérapie » ? * J’ai acheté le petit livre bleu et, au plus vite, je l’ai lu. À portée de mon ordinateur pour m’en faire, via la Toile, une idée plus exacte. J’ai été très surprise par ce que m’ont révélé mes premiers clics. La publication que je venais de parcourir était une revue d’extrême droite, L’Œuvre, et les deux numéros réunis par le mystérieux GM qui les avait fait relier avaient failli déclencher une nouvelle affaire Dreyfus. La presse s’entre-déchira, la controverse devint si vive qu’elle suscita cinq duels, quatre à l’épée, un au pistolet. Deux d’entre eux furent filmés. Discrètement mais fermement, les autorités firent savoir à Marie Curie qu’elle serait bien inspirée de quitter la France et d’aller poursuivre ses recherches dans sa Pologne natale. On voulut aussi la dissuader de se rendre à Stockholm pour recevoir son Nobel. Elle tint bon, passa outre et, une fois en Suède, fut célébrée comme il se devait. Mais, à peine rentrée, elle s’écroula. Maladie, dépression, tentation du suicide, on la crut perdue. Sa prodigieuse vitalité finit par reprendre le dessus, et au bout d’une dizaine de mois elle redevint – du moins en apparence – la Marie Curie que ses proches avaient toujours connue : entreprenante, créative, obstinée, généreuse, enthousiaste, acharnée, bourreau de travail. On n’avait pas eu sa peau. Mais c’est de peu qu’on l’avait manquée. * Le journal si pieusement conservé sous la précieuse reliure bleue que je tenais entre les mains était donc un torchon, m’apprit la Toile ; et son directeur, Gustave Téry, un signe-torchon. Agrégé de philosophie, ancien élève de l’École normale supérieure, il avait été révoqué de l’Éducation nationale pour la violence de ses propos nationalistes et antisémites. Il avait alors bifurqué vers le journalisme, où il n’avait pas davantage brillé. Sa revue marchait mal ; avec l’attaque contre Marie, il avait voulu faire un coup, mais il n’en était pas l’inventeur : la campagne de calomnies avait commencé trois semaines plus tôt, dans un quotidien tiré à un million d’exemplaires. Marie se trouvait en congrès à Bruxelles, seule femme d’une réunion qui allait faire date dans l’histoire des sciences puisqu’on y confronta les dernières représentations de l’espace, du temps et de la matière – théories de la relativité et des quanta, instabilité des atomes, mouvement brownien, radioactivité – ; elle était occupée à débattre avec les plus grands cerveaux du XXe siècle, dont Max Planck et Albert Einstein, alors seulement connus d’un cercle étroit de chercheurs. Au moment où leurs discussions s’achevaient, elle apprit qu’un journal l’accusait d’entretenir une liaison clandestine avec un homme marié, l’un des participants au congrès, Paul Langevin. Elle ne s’était pas contentée de le détourner de son foyer, proclamait l’auteur de l’article, elle l’avait enlevé. Dès ce jour elle fut salie. Le soupçon l’entoura, que ne parvint pas à dissiper l’annonce de son second Nobel. C’est dans ce contexte que parut le torchon de Téry. Alors qu’elle se préparait à faire le voyage de Stockholm pour recevoir son prix, il publia la copie d’une assignation à comparaître devant la neuvième chambre du tribunal correctionnel de Paris, signifiée neuf jours plus tôt à Paul Langevin par l’avocat de son épouse. Il était poursuivi pour adultère et Marie pour complicité. L’assignation précisait qu’elle était passible, comme son amant, des peines prévues aux articles 339, 359 et 360 du code pénal. Le procès serait jugé le 8 décembre, deux jours avant la cérémonie de remise des Nobel dans la capitale suédoise. * Pour l’essentiel, l’accusation se fondait sur des courriers échangés par Marie et Paul. Ces missives leur avaient été dérobées dix-neuf mois plus tôt par des inconnus qui avaient réussi à s’introduire dans le deux-pièces où, selon l’assignation, les amants avaient pris l’habitude de se retrouver. Les voleurs avaient fracturé la porte, brisé la serrure d’un secrétaire, mis la main sur leurs lettres d’amour. Très peu de temps après, étaient tombées aux mains de la femme de Paul. Tout ce que révélaient ces courriers, c’est que Paul et Marie s’aimaient. Ils y décrivaient leurs sentiments et leurs angoisses dans une prose souvent magnifique et d’une parfaite tenue. Leur situation était d’une grande banalité : ils voulaient vivre leur amour au grand jour. Marie, veuve depuis cinq ans, était libre. Paul, lui, toujours marié à Jeanne, songeait à divorcer. Ce projet n’était pas nouveau. Dès les premiers mois de son mariage, douze ans plus tôt, il avait compris qu’il n’aurait jamais dû épouser Jeanne. Au nom de leurs quatre enfants, celle-ci refusait farouchement toute séparation. Marie pressait Paul de clarifier la situation. De cinq ans plus âgée que son amant, elle était beaucoup plus déterminée – comme le sont généralement les femmes en pareil cas. Elle lui prodiguait des conseils sur les meilleurs moyens de déjouer les pièges que ne cessait uploads/Industriel/ atebooksdz-marie-curie-prend-un-amant-irene-frain.pdf

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