Rives méditerranéennes 45 | 2013 L’histoire économique entre France et Espagne,

Rives méditerranéennes 45 | 2013 L’histoire économique entre France et Espagne, XIXe- XXe siècles Aux origines de l’industrie moderne marseillaise : l’œuvre de Louis Benet et de Philip Taylor (années 1830-1850) Xavier Daumalin et Olivier Raveux Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rives/4417 DOI : 10.4000/rives.4417 ISBN : 2119-4696 ISSN : 2119-4696 Éditeur TELEMME - UMR 6570 Édition imprimée Date de publication : 15 juin 2013 Pagination : 19-35 ISBN : 2103-4001 ISSN : 2103-4001 Référence électronique Xavier Daumalin et Olivier Raveux, « Aux origines de l’industrie moderne marseillaise : l’œuvre de Louis Benet et de Philip Taylor (années 1830-1850) », Rives méditerranéennes [En ligne], 45 | 2013, mis en ligne le 15 juin 2014, consulté le 05 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/rives/4417 ; DOI : 10.4000/rives.4417 © Tous droits réservés 19 Rives méditerranéennes n° 45-2013 L’histoire économique entre France et Espagne (XIXe-XXe siècles) Aux origines de l’industrie moderne marseillaise : l’œuvre de Louis Benet et de Philip Taylor (années 1830-1850) Xavier Daumalin et Olivier RaveuX umR Telemme Résumé : Les carrières industrielles et les conceptions sociales de Louis Benet et de Philip Taylor permettent de mieux comprendre la diversité des attitudes du patronat marseillais face aux déis de la première révolution industrielle. Que les entrepreneurs disposent d’une formation de haut niveau ou qu’ils aient été formés « sur le tas », qu’ils soient autochtones ou étrangers, ils bénéicient localement d’un remarquable terrain d’opportunités pour leurs projets industriels. Une seule condition compte inalement : savoir s’insérer dans les réseaux relationnels permettant de surmonter les problèmes de capitaux, de marchés et de technologies. Si ces deux hommes ont terminé leurs carrières par des échecs, ils n’en ont pas moins été de grands capitaines d’industrie, laissant derrière eux un héritage imposant et durable. Leurs itinéraires soulignent aussi la diversité des comportements dans la façon de percevoir et d’aborder la question ouvrière, des diférences qui sont assez symptomatiques de l’époque et du lieu. Abstract: he business careers of, and social attitudes adopted by, Louis Benet and Philip Taylor ofer an opportunity to develop a better idea of the diversity of positions taken by Marseilles entrepreneurs with regard to the challenges they faced during the irst Industrial Revolution. Whether they had received gained high level training in business or developed their expertise ‘on the job’ , whether they were native or foreign traders, these entrepreneurs had the advantage of belonging to a rich local business community with many opportunities for industrial projects. In the end, there was only one key issue: knowing how to join the business networks that would allow them to overcome diiculties in obtaining capital, developing markets and taking advantage of new technologies. Even though the careers of both men ended in failure, they were nevertheless important captains of industry and established an impressive and long-lasting heritage. heir itineraries also highlight the diversity of methods in handling the management of workers, a diversity which was also symptomatic for the period and the area. 20 Xavier Daumalin et Olivier Raveux i l pourrait être tentant de considérer les parcours industriels de louis Benet et de Philip Taylor comme des symboles des modalités et des ressorts de l’industrialisation de la Provence littorale des années 1831-1865. avec un entrepreneur autochtone qui a su élargir ses réseaux jusqu’à l’international et un chef d’entreprise anglais qui est parvenu à s’intégrer aux milieux d’afaires locaux et méditerranéens, ce duo incarne une des grandes caractéristiques de la Révolution industrielle marseillaise : la combinaison entre dynamismes internes et apports extérieurs1. en y regardant de plus près, on est cependant frappé par l’originalité de ces destins qui s’inscrivent dans des branches – la mécanique lourde, la métallurgie et la construction navale – dont les exigences en savoirs techniques, en capitaux et en débouchés sont un peu aux antipodes des caractéristiques habituellement retenues pour disqualiier l’industrie marseillaise : une main d’œuvre bon marché, des patrons au mieux prudents au pire timorés face à l’innovation et une production tournée, avant tout, vers les biens de consommation. Pour le littoral provençal, ces deux branches présentent néanmoins l’intérêt d’avoir généré de grandes entreprises, de multiples innovations – tant technologiques, que sociales – et d’avoir mis en œuvre des processus diversiiés de transferts de technologies. en cela, l’étude des « vies parallèles » et des réalisations de ces deux industriels ofre un réel intérêt dans le décryptage d’une Révolution industrielle régionale inalement rebelle à toute lecture uniforme. Par leur caractère pionnier et leurs originalités, les conceptions et les pratiques économiques et sociales de louis Benet et de Philip Taylor permettent de mieux comprendre la diversité des attitudes du patronat marseillais face aux multiples déis de la première Révolution industrielle. Parcours initiaux Si louis Benet et Philip Taylor sont tous deux originaires de familles manufacturières, leurs parcours avant leurs succès industriels en Provence difèrent fortement. avec des études limitées, un voyage d’études à l’étranger et un apprentissage sur le tas, la formation professionnelle de louis Benet ressemble à bien des égards à celle des négociants marseillais du Xviiie siècle2. l’audace entrepreneuriale et la quête de modernité technique du Provençal s’appuient sur un mode de formation traditionnel. marqués par les notions d’imprévisibilité et de mobilité, la formation et les débuts industriels de Philip Taylor sont en revanche beaucoup plus inattendus. 1 Xavier Daumalin et Olivier RaveuX, « marseille (1831-1865) : une Révolution industrielle entre europe du nord et méditerranée », Annales Histoire Sciences Sociales, 2001/1, p. 153-176. 2 Charles CaRRiÈRe, Négociants marseillais au XVIIIe siècle, marseille, institut Historique Provence, 1973, 2 volumes. Aux origines de l’industrie moderne marseillaise : l’œuvre de Louis Benet et de Philip Taylor... 21 Rives méditerranéennes n° 45-2013 L’histoire économique entre France et Espagne (XIXe-XXe siècles) Formation et premiers pas industriels louis Benet (1805-1877) est issu d’une famille bien implantée à marseille et à la Ciotat3. Son père, Toussaint, était à la fois négociant, armateur et manufacturier. À la Ciotat, il possédait un chantier de construction de navires en bois ainsi qu’une ilature spécialisée dans la fabrication de voiles. C’est dans ce dernier établissement que louis Benet commence sa carrière à l’âge de 22 ans. S’il n’a pas suivi d’études particulières, sa famille a pris soin de l’envoyer un temps en angleterre ain qu’il puisse se familiariser avec les nouveautés industrielles et technologiques de l’époque. alors que la voie semble tracée pour qu’il prenne la succession de son père, louis Benet quitte l’entreprise familiale au début des années 1830 et se lance tour à tour dans la métallurgie et la construction de navires à vapeur. la formation de Philip Taylor (1786-1870) est radicalement diférente. même si son père a été ilateur de lin, rien ne le prédestine à devenir industriel. il suit d’abord des études de médecine, puis devient pharmacien à norwich, sa ville natale4. C’est à l’approche de la trentaine qu’il embrasse une carrière industrielle à londres, tout d’abord dans l’usine de produits chimiques de son frère John, puis comme constructeur d’appareils à vapeur, en association avec le mécanicien John martineau. C’est dans cette dernière branche qu’il se fait un nom, comme entrepreneur mais aussi comme inventeur, en mettant au point la machine à vapeur horizontale. À la in des années 1820, c’est une société métallurgique, la British Iron Company, qui retient l’essentiel de ses activités. impliqué dans la faillite de cette entreprise, il quitte l’angleterre en 1828 et gagne Paris, où il retrouve plusieurs amis français, dont l'économiste Jean-Baptiste Say. Sa décision s’inscrit dans une double logique. elle relève tout d’abord d’une tradition : Paris est depuis longtemps une destination privilégiée des techniciens britanniques à la recherche de nouvelles opportunités5. ensuite, Philip Taylor connaît bien les potentialités du marché français pour y avoir déjà vendu des appareils à vapeur. entre 1828 et 1833, Philip Taylor travaille comme ingénieur-conseil. l’état de santé de sa mère l’oblige ensuite à gagner les rivages ensoleillés du Sud de l’europe. il hésite un temps entre le Piémont et la Provence, puis choisit inalement marseille. Quand il arrive dans la cité phocéenne, en 1834, Philip Taylor est déjà un industriel conirmé et reconnu. 3 Roland CaTy, Éliane RiCHaRD et Pierre ÉCHinaRD, Les Patrons du Second Empire. Marseille, Paris, Picard-Cénomane, 1999, p. 72-76. 4 Philip meadow TaylOR, A Memoire of the Family of Taylor of Norwich, london, 1886. 5 John R. HaRRiS, Industrial Espionage and Technology Transfer. Britain and France in the 18th century, london, ashgate, 1998. 22 Xavier Daumalin et Olivier Raveux La modestie des initiatives fondatrices l’idée de créer en Provence un établissement moderne de construction navale est venue à louis Benet lors de son voyage en angleterre. À liverpool, il avait été impressionné par les chantiers navals de Buckley et avait pu observer de près les steamers anglais. le pari est néanmoins audacieux car louis Benet ne dispose ni des capitaux, ni des connaissances techniques nécessaires à ce type d’activité. les débuts sont d’ailleurs assez laborieux6. louis Benet ouvre en 1833, dans le quartier marseillais de mepenti, une petite fonderie. À défaut de construire des navires, il acquiert la maîtrise des travaux métallurgiques. il faut attendre 1836 uploads/Industriel/ aux-origines-de-l-x27-industrie-moderne-marseillaise.pdf

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