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Table des matières Page de titre Table des matières Page de copyright Du même auteur Dédicace Exergue I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV XV XVI XVII XVIII XIX XX XXI XXII XXIII XXIV XXV XXVI XXVII XXVIII XXIX XXX XXXI XXXII XXXIII XXXIV XXXV XXXVI XXXVII XXXVIII XXXIX Indications bibliographiques Appendice p. 151 © Éditions du Seuil, février 2011 isbn 978-2-02-099297-8 9782021042412 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. www.seuil.com Du même auteur Simone Weil Le ravissement de la raison Seuil, « Points Sagesses », 2009 François d’Assise La Joie parfaite Seuil, « Points Sagesses », 2008 Johannes Brahms Actes Sud, 2008 Goudji L’Amateur, 2002 À la mémoire de Pierre Chabert, Qui fut l’interprète inégalé De son ami Samuel Beckett Désunis, nous courrons à la catastrophe. Unis, nous y parviendrons. I Cioran ! Je te salue comme on se quitte : pour toujours. Le cercueil est emporté. Devant lui, un clochard goguenard. Posté à la porte de l’église, il crache des insultes atroces et précises. Il s’amuse qu’un écrivain ait pu écrire Sur les cimes du désespoir pour mourir à près de quatre-vingt- cinq ans. Quelqu’un l’aura renseigné : cette aumône en vaut une autre. Rien ne peut le faire taire : spectacle affligeant, et tellement bouffon qu’il efface toute tristesse. On touche au fond de l’horreur et de l’hilarité. Déjà la cérémonie avait eu de quoi surprendre en ce jour de juin 1995, non loin du Collège de France, en cette église orthodoxe de la rue Jean-de- Beauvais : un monde pressant, une foule pâmée – le triomphe ! La télévision était présente. Elle filmait des célébrités. Soudain, ce fut l’arrivée de Jean-Edern Hallier, qui agitait sa canne blanche ; et, de toute part, en guise de pleureuses d’Adonis, des femmes du monde de sortie, élégantes, parfumées, comme s’il s’était agi d’une générale, ce que, certes, c’était un peu. À croire que le propos de l’ambassadeur de Russie sur Talleyrand serait cité : « Elles sont attirées vers lui par goût pour le péché. » Cioran a répété à l’envi qu’il ne prisait que Bach, et ce furent des chants roumains à n’en plus finir : un vieux fond de polyphonie céleste. Un pope prit la parole ; en fait de lecture sacrée, destinée à soutenir la prière ultime de quelques-uns, ce fut un texte profane. Moment improbable entre tous, on entendit une déclaration pompeuse du roi Michel, teintée d’un patriotisme pot-au-feu. Ainsi Cioran était-il bel et bien mort. Le prophète des Apocalypses terminait sur une mélodie de fifre et de tambourin, comme on en donne aux soirs de victoire. Peut-être Maurice Blanchot avait-il raison ? L’apocalypse déçoit. Apatride, déjà exilé, désormais en partance, Cioran venait de recevoir le double hommage de l’Église orthodoxe et du roi de Roumanie. Mais non : comme les tubes sournois d’un intestin, qui s’ouvrent dans tous les sens, pour lâcher des miasmes pestifères, restait le clochard qui postillonnait sur le cercueil. De fait, cette comédie venait de se lever sur une autre, également composée de ténèbres, comme si Cioran appelait sur son nom la couleur noire des orages d’été. Dans les jours qui suivirent, un journal rappelait les années de jeunesse, et l’engagement à l’extrême droite du moraliste que l’on pouvait croire apolitique. Et la comédie de virer au pathos. Ce n’était plus un grand écrivain qui était mort, et, dès lors, la nécessité d’exalter sa mémoire ; c’était la dépouille d’un homme qui était offert à la détestation : l’ombre portée de Hitler, et non plus celle du Voyageur nietzschéen. « L’aristocrate des Vandales », comme l’a surnommé Roland Jaccard, était fin prêt pour son ultime avatar – devenir l’Escamoteur de la Gabegie. Pourtant, Cioran avait pris soin de prévenir dans Aveux et Anathèmes en 1987 : « Adolescent, Tourgueniev avait accroché dans sa chambre le portrait de Fouquier-Tinville. La jeunesse partout et toujours a idéalisé les bourreaux. » Blanchot avait déjà été condamné ; Heidegger avait suivi à quelques années près ; et l’année 1995 – deux mois auparavant – avait vu le départ à la retraite de François Mitterrand dont la France avait feint de découvrir qu’il avait posé pour une photo avec Pétain à Vichy. On pressentait le lieu commun digne de ceux de Flaubert : « Cioran : tonner contre ! » Comment ce grand seigneur du dessillement avait-il pu être d’une crédulité aussi assassine à la pire époque du XX siècle, prouvant, par le fait, que son nihilisme avait peut-être d’abord été d’essence politique, avant de se donner libre cours dans ses ouvrages ? Pire, disait-on : il ne s’en était jamais expliqué. Il aurait dissimulé l’évidence. Et il en serait resté à ses premières détestations, avec un dégoût très sûr de soi : le propre du virtuose en impostures. Bref, Cioran avait mérité sa mort qui avait été longue à venir – un point sur lequel le clochard et le journal étaient d’accord. Si Cioran était un auteur si désabusé, c’est qu’il s’était laissé abuser. D’ailleurs n’avait-il pas fait silence sur son passé ? De quoi pouvoir le passer sous silence lui-même, et l’injonction de devoir s’y ranger. On pouvait rentrer chez soi, le cœur lourd. Le monde était sans substance ; les rues mettaient du crêpe à leurs habits ; le ciel avait le gris laiteux de certaines calcédoines. Mais il fallait être indulgent, par pessimisme ; e l’indulgence est d’abord une affaire de désillusions. En place d’une cérémonie religieuse, on avait assisté à une représentation grotesque que parachevait une méchante légende, comme pour signifier qu’une époque s’en était allée. Comment ne pas faire silence, et revenir à soi ? Cioran, si on l’avait aimé, si on l’aimait, si on continuerait à le lire et à le louer avec tendresse, ce serait pour d’autres raisons, placées sur d’autres échelles. Certes, sans doute faut-il mourir jeune, pour échapper à la laideur de vivre, qui est l’infirmité de s’éteindre peu à peu, et la maladie de vieillir dans la décrépitude. Certes, peu d’hommes survivent à leur jeunesse : ils sont presque tous morts dès l’âge de trente ans ; ils traînent l’ombre de ce qu’ils auraient pu être ; et sans même avoir un regret pour la promesse qu’ils s’étaient faite, et qu’ils n’ont pas tenue, ils halent le long des jours, un cadavre pesant tiré par l’habitude. À l’inverse – aussi terrible qu’ait été sa maladie d’Alzheimer – Cioran aura eu une vie accomplie. Sa courbe personnelle l’apparente à celle de bien des mystiques : ni bassesse matérialiste, ni niaiserie idéaliste. Il a été dans le monde ; il a agi, il a été tenté, et il a fauté. Il n’a pas fauté à moitié : il a fauté à l’excès. Qu’on s’en offusque ou non, Cioran, oracle du dégoût, s’est prêté à l’Évangile de l’Enfer et de la force sans cœur. Mais il n’aura eu de cesse que son œuvre en appelle au pardon. En retour, elle nous donne la chance si fraternelle de nous pardonner les uns les autres : non dans le déni, mais dans l’exigence de ne pas tricher avec l’essentiel, de ne pas biaiser avec notre nuit. Impossible donc de se lamenter sur sa mort, comme s’il avait manqué sa vie : Cioran l’a comblée ; il l’a élevée jusqu’à cette cime qui n’est nullement celle d’un désespoir que les asphodèles couronnent. Il n’aura pas eu un sort moindre que celui où il prétendait. Il a accordé le monde entier, pécheur, au ton de ses propres péchés. Il nous confesse. Que les vivants rougissent d’être là. Cioran s’est agrippé ailleurs à une société infinie, que nous rejoindrons tous à notre heure. II Sur les deux versants qui composent son œuvre, roumain et français, Cioran semble être le héros d’un conte de Villiers de L’Isle-Adam, un tortionnaire de la délicatesse morale dont l’âme chante à reculons. Prenons l’histoire du bourreau-musicien. Tribulat Bonhomet a appris de Platon et de Buffon que les cygnes, près d’expirer, chantent divinement leur mort. Il s’agit donc de les tuer pour jouir des accents de leur agonie. L’entreprise est difficile. À la moindre alarme, un cygne noir, qui fait le guet, jette une pierre dans l’étang et la troupe s’évanouit. C’est à force de patience et de cruel amour que Tribulat Bonhomet, par une sorte de danse immobile, insensiblement s’incorpore aux oiseaux, étreint leur cou de ses gantelets et se délecte de leur trépas. Après tout, Néron, pour exciter sa voix, n’a-t-il pas mis le feu à Rome ? Il faut que le grain pourrisse. J’ai écrit, note Cioran, « pour injurier la vie et pour m’injurier. Le résultat ? Je me suis mieux supporté, comme j’ai uploads/Industriel/ cioran-stephane-barsacq-by-philosophie-cioran-cioran-philosophie 1 .pdf
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- Publié le Aoû 17, 2022
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