Le travail Le travail Problématisation Problématisation L'enjeu philosophique d

Le travail Le travail Problématisation Problématisation L'enjeu philosophique d'une réflexion sur le travail est à apprécier sur deux plans. Mais sur ces deux plans, il semble pertinent de ramener la question du travail, comme nous le faisons pour beaucoup d'autres notions, à la problématique de l'humanisation. Le travail est d'abord une réalité « sociale », collective. C'est une structure, un « mode de production » des richesses. Comme activité collective, il a une fonction structurante : un mode de production déterminé induit une certaine forme de société, parce qu'il conditionne les tâches à accomplir, les gestes, les comportements, le partage des responsabilités. Il produit ainsi une « structure sociale », qui peut s'exprimer, se consolider en institutions (Etat, etc.) et s'exprimer dans des croyances, des valeurs, une conscience de soi qui s'exprime dans des œuvres, bref tout ce que nous appelons, au sens restreint, une culture. Mais si c'est le mode de production des richesses (et son évolution) qui conditionne le caractère particulier d'une culture, cette fois entendue au sens large, il conditionne aussi la formation du type d'homme que produira cette culture. Si donc c'est bien l'action de la culture qui « humanise » l'homme, que peut nous suggérer cette idée que fondamentalement, la logique propre à cette humanisation obéit fondamentalement au mode de production qui « régit » cette culture ? Et les choses seront d'autant plus complexes que « notre » culture sédimente une histoire, qui est celle de l'évolution de ce mode de production, et donc du conflit (ou de la superposition) des logiques sociales et culturelles dont chaque étape de cette évolution était porteuse. Mais qu'en est-il de l'idée d'une nature humaine en général ? De l'universalité ? De l'autonomie de l'homme, et du sens d'une réflexion sur sa « véritable » nature ? Mais le travail est aussi une activité individuelle. Et dès lors la question : « dans quelle mesure le travail participe-t-il à l'humanisation de l'homme ? » prend un tout autre sens. Il semble bien que pour un Grec, par exemple, non seulement on peut être un homme sans travailler, mais le « maximum d'être » dont parlent les Stoïciens, et qui est sans doute le contenu de l'idée de vertu (accomplissement de sa perfection propre, ou aretè), renvoie bien chez eux à une interaction résolue avec le monde (les Stoïciens sont des philosophes de l'action), mais jamais sur le mode du travail. A proprement parler, le travail semble donc ici inessentiel, ce que semble affirmer également aussi bien la Genèse (puisqu'Adam est un homme accompli avant d'être condamné à travailler : le récit implique que le travail nous apparaît non seulement comme inessentiel, mais comme un scandale qui réclame une explication) que le mythe de l'Âge d'Or (voir les premiers textes du chapitre « Travail » du Manuel). On pourrait relier cet exemple à l'idée précédente (la conscience de soi comme reflet d'un mode de production et d'une structure sociale), en remarquant que pour un Athénien, être un homme « libre » renvoie à une réalité sociale bien particulière, celle d'une société où la liberté politique des citoyens s'appuie sur le travail des esclaves : on est libre dans la mesure où l'on n'est pas soumis à l'obligation de travailler. Le Parti Démocratique (celui de Périclès, puis de Cléon, qui domine la période « classique » d'Athènes) revendique bien le droit, même pour ceux qui travaillent, d'avoir part à cette liberté qui est au fond l'exercice du pouvoir (et il faut pour cela qu'on rémunère les citoyens qui viennent délibérer à l'Assemblée du Peuple), mais l'idée ne semble pas les effleurer que c'est dans le travail que peut se construire une réelle liberté. Il est vrai que la formule « Arbeit macht frei » nous a laissé de mauvais souvenirs. C'est sans doute Karl MARX qui nous incite à penser au plus près le rapport entre travail et humanisation. D'abord parce qu'il affirme que le travail est la condition de l'humanisation véritable ; ensuite parce qu'il est le premier à dénoncer le travail aliéné, qui forme un homme aliéné, posant ainsi la question : quel travail, pour la réalisation de quelle humanité ? Envisager un rapport essentiel entre travail et humanisation nous oblige aussi à revenir sur une opposition que nous entretenons trop facilement entre contrainte et réalisation de soi. Ce qui est peut-être stimulant dans une réflexion sur le travail, c'est de réfléchir à une dialectique de la contrainte et de la réalisation de soi, c'est-à-dire au fond à une dialectique de la contrainte et de la liberté. Etymologie Etymologie Cela doit guider votre manière de vous référer à l'étymologie célèbre du terme travail. On ne retient d'ordinaire de l'étymologie latine de travail (latin tripalium) que l'idée de torture. Le tripalium est un instrument de torture composé de trois pieux et qui servait à punir les esclaves rebelles et à ferrer les chevaux rétifs. Tripalium semble donc bien renvoyer à l'expérience de la contrainte et de la domination. Mais le tripalium est au départ, semble-t-il, un instrument de contention utilisé dans les fermes pour aider à la délivrance des animaux, mais aussi au ferrage, au marquage au fer rouge, ou à des interventions vétérinaires douloureuses... Or ferrer un cheval, c'est le rendre apte à un certain usage « social » - aider une vache à vêler, c'est favoriser sa fécondité – on appelle d'ailleurs le fait de mettre bas « délivrance », ce qui renvoie à l'idée de liberté, de même qu'une intervention douloureuse a en principe pour objet de « sauver » l'animal – et on a pu se rendre sensible, depuis le début de l'année, à la question du « salut ». On voit qu'en dehors de la torture, il y a une positivité, une fonction du travail – et dès lors il faut se demander quel rapport nécessaire il pourrait y avoir entre contrainte, souffrance et socialisation, voire humanisation. Le verbe travailler est aussi transitif : le travailleur exerce une action sur la matière qu'il travaille, lui « impose » une forme... Mais on ne parlera pas alors de violence, encore moins de souffrance, encore moins de « torture ». Quand on travaille la terre pour en tirer un produit, on ne lui fait pas violence. Celui souffre, ici, est celui qui travaille, non ce qui est « travaillé ».1 Si la matière est indifférente à sa forme, il n'y a pas violence. Il n'y a violence, contrainte, torture, que si l'action s'exerce sur une matière en laquelle une « nature » s'oppose à ce qu'on essaie d'obtenir d'elle. « Torture » suppose souffrance, opposition à une « nature » qui aspirerait au contraire de ce qu'on lui fait subir, et cela suppose aussi action d'autrui sur moi – car je ne subis une « torture » que lorsque je subis la loi de l'autre. On retrouve donc, d'une part, dans cette étymologie, beaucoup plus que l'idée de contrainte (intérieure, extérieure). On y retrouve le lien avec la socialisation (le ferrage du cheval), la fécondité, la production de sens, la production d'une nature, la production de soi-même par l'expérience de la résistance. Bref il s'agit, d'une part d'une dialectique de l'être et de la violence, d'autre part d'une dialectique entre travail de la matière et production de soi-même, deux dialectiques que vous avez à faire apparaître à votre façon et selon l'occasion qui vous sera offerte. Mais il est bon, d'autre part, d'insister sur l'aspect de contrainte, voire de souffrance subie, que contient l'étymologie, en se demandant pourquoi, de ce point de vue, le travail peut être considéré comme vecteur d'humanisation. Au fond, le travail est un cas particulier de l'opposition entre une loi extérieure et ma loi propre. C'est apparemment le triomphe de l'hétéronomie sur l'autonomie. Mais cette soumission à la loi extérieure, en quoi est-elle, ou en quoi puis-je l'imaginer créatrice d'humanité ? 1 C'est ce qu'on retrouve dans le terme « labeur ». Laborare, en latin, signifie "mettre en valeur, cultiver", autant que "se donner du mal" : ici encore on retrouve production et souffrance, souffrance vécue ici plutôt que donnée, celle que l’on éprouve en labourant la terre, qui nous résiste. Remarquons que labor désignait à l’origine la charge sous laquelle "on chancelle", on glisse (labare, qui donne aussi lapsus). Il devient en ancien français "labeur" qui signifie clairement "affliction, peine, malheur" et au 12e Siècle, un travail pénible, comme celui des champs. La Genèse et l'âge d'or La Genèse et l'âge d'or Leçon de la Genèse (texte 2, p.165) : l'homme travaille à cause de sa faute originelle. Cela revient à dire qu'il a tendance à penser que le travail est une violence faite à sa nature, qu'il le subit mais ne peut le considérer comme lui étant véritablement essentiel. Le mythe de l'âge d'or (texte 1, p,164) semble renvoyer à la même conception ; chez Hésiode, c'est également en vertu d'une faute que l'homme se trouve condamné au travail par les dieux. L'idée commune est que l'homme peut se penser uploads/Industriel/ notions-de-philo-sur-le-travail.pdf

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