Monsieur Jean-Claude Toutain Comparaison entre les différentes évaluations du p
Monsieur Jean-Claude Toutain Comparaison entre les différentes évaluations du produit intérieur brut de la France de 1815 à 1938 ou L'histoire économique quantitative a-t-elle un sens ? In: Revue économique. Volume 47, n°4, 1996. pp. 893-919. Résumé L'histoire quantitative (macro) économique ne se justifie que si elle produit, dans une première étape, des séries statistiques longues de suffisante qualité : c'est la condition de possibilité de la seconde étape, interprétative, avec ou sans modèle économétrique. En comparant les méthodes de fabrication des séries existantes du produit intérieur brut de la France et de ses composantes depuis le début du XIXe siècle, ainsi que les conséquences que peuvent comporter les mal-formations congénitales de certains indicateurs sur la « vérité » historique, l'auteur de cet article veut montrer que l'histoire quantitative n'a de sens et ne peut donner sa pleine mesure que si sa rigueur est à la hauteur de ses ambitions. Abstract Quantitative macro-economic history is only justified if in a first phase it is able to produce long-term statistical series of sufficient quality. This is the precondition for the second phase, interpretative, with or without econometric models. Compa-ring the methods used since the early 19th centtury to produce the existing series of the G.N.P. and its constituent elements for France, together with the possible consequences produced by congenital malformations of certain indicators with regards to historical truth, the author of the present article endeavours to show that quantitative history is meaningless and cannot develop its capacities unless its degree of rigour in no way falls short of the level set by its ambitions. Citer ce document / Cite this document : Toutain Jean-Claude. Comparaison entre les différentes évaluations du produit intérieur brut de la France de 1815 à 1938 ou L'histoire économique quantitative a-t-elle un sens ? . In: Revue économique. Volume 47, n°4, 1996. pp. 893-919. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reco_0035-2764_1996_num_47_4_409827 Comparaison entre les différentes évaluations du produit intérieur brut de la France de 1815 à 1938 ou L'histoire économique quantitative a-t-elle un sens ? Jean-Claude Toutain* L'histoire quantitative (macro) économique ne se justifie que si elle produit, dans une première étape, des séries statistiques longues de suffisante qualité : c'est la condition de possibilité de la seconde étape, interprétative, avec ou sans modèle économétrique. En comparant les méthodes de fabrication des séries existantes du produit intérieur brut de la France et de ses composantes depuis le début du XIXe siècle, ainsi que les conséquences que peuvent comporter les mal formations congénitales de certains indicateurs sur la « venté » historique, l'auteur de cet article veut montrer que l'histoire quantitative n'a de sens et ne peut donner sa pleine mesure que si sa rigueur est à la hauteur de ses ambitions. FRENCH ECONOMIC GROWTH, 1815-1938 : SOME REMARKS ON THE DIFFERENT ESTIMATES OF THE GROSS DOMESTIC PRODUCT Quantitative macro-economic history is only justified if in a first phase it is able to produce long-term statistical series of sufficient quality. This is the precondition for the second phase, interpretative, with or without econometric models. Compar ing the methods used since the early 19th centtury to produce the existing series of the G.N.P. and its constituent elements for France, together with the possible consequences produced by congenital malformations of certain indicators with regards to historical truth, the author of the present article endeavours to show that quantitative history is meaningless and cannot develop its capacities unless its degree of rigour in no way falls short of the level set by its ambitions. Classification JEL : N01-N13-N14. L'histoire économique quantitative a pour objet « d'établir et de présenter les faits économiques et leur interprétation d'une manière impartiale », selon la fo rmule sans prétention de Simon Kuznets. L'épistémologue discutera chacun des termes de cette définition : on reprochera à Kuznets son positivisme puisqu'il semble donner la priorité à la manifestation des faits sur la détermination d'une problématique, ou au contraire son « théoricisme », son « conceptualisme » implicites puisqu'il appelle « faits » des objets statistiques définis par référence à un système conceptuel pré-existant et non des objets concrets. Mais ne nous * Université Panthéon-Assas Paris II, ERMES, 92 rue d'Assas, 75270 Paris Cedex 06. 893 Revue économique — N° 4, juillet 1996, p. 893-919. Revue économique laissons pas enfermer dans les apories dont se délectent les épistémologues et contentons-nous ici du sens commun. La première phase de ce programme (éta blir les faits), qui conditionne la pertinence de la seconde, est, en France, trop souvent négligée, par certains méprisée, et on lit nombre d'affirmations d'his toire économique ne reposant que sur des certitudes intuitives, sur des idées reçues se transmettant d'auteurs en auteurs, ou se recommandant d'indicateurs mal construits, ou encore résultant d'une défiguration des « faits » par une volonté de démonstration théorique. Par réaction, nombre d'historiens rejettent en bloc l'histoire macro-économique, ses concepts et ses séries longues, qu'ils ne sont déjà que trop tentés d'ignorer, pour s'en tenir à l'agencement des micro observations et aux monographies. D'autres s'arment de modèles économétri ques qu'ils alimentent de séries statistiques mal faites et aboutissent à des résul tats peu convaincants, voire absurdes. On ne peut pas faire une croix sur l'histoire quantitative macro-économique, et les procès qui lui sont faits repo sent souvent sur des motifs peu rationnels (esprit de chapelle, modes théoriques, corporatismes). Mais, pour convaincre, l'histoire macro-économique doit être rigoureuse à chacune de ses étapes et, tout d'abord, au cours de son étape la moins gratifiante, celle de l'établissement des « faits ». Dans cet article, nous allons examiner les séries longues du PIB de la France et de ses composantes construites, pour le XIXe et la première moitié du XXe siècle, depuis les années vingt et tenter de faire le point sur leur plus ou moins grande recevabilité. LE PRODUIT AGRICOLE La première série longue du volume du produit agricole est l'œuvre de Brousse et Pellier [1944]. Elle a le défaut de ne commencer qu'en 1892 et, plus grave, de n'être qu'une estimation du produit végétal, le produit animal étant considéré comme représenté par la somme des fourrages récoltés, y compris la production estimée des pâturages et pacages. Cette supposition, qui repose sur la parité fortuite de la valeur de la production animale et de la production de fourrages en 1929, et se veut généralisable sur cinquante années, n'est guère acceptable. Il est plus vraisemblable que la production animale ait tendu à équi librer la production végétale, ait donc plutôt varié en sens inverse de la conjonct ure météorologique que dans le même sens ou qu'il n'y ait qu'un lien très lâche entre les deux grandeurs. L.A.Vincent [1962] reprend ces chiffres et les corrige pour établir sa série de quatre années : 1896, 1913, 1928, 1938 ; il déduit les semences, ajoute les cultures maraîchères, redresse l'indice des produits fourra- gers (de 0,4-0,6 ou 0,9 % par an suivant le fragment de période) pour déconnect er les productions animales des produits fourragers. Ces corrections redressent l'indice du volume de Brousse et Pellier de 15 % pour l'ensemble de la période 1896-1938. Carré, Dubois, Malinvaud, en 1972, reprennent ces quatre estimat ions de Vincent et lui apportent quelques modifications mineures (transformat ion de l'indice du produit final en produit brut par un abattement de 4 % au début de la période jusqu'à 3 % à la fin, conversion de l'indice en indice « à conditions météorologiques normales », c'est-à-dire arasement des crêtes débor dant du trend, sans doute en usant de moyennes de plusieurs années : l'année 894 Revue économique — N° 4, juillet 1996, p. 893-919. Jean-Claude Toutain 1928, médiocre, en sort renforcée, l'année 1938, exceptionnelle, réduite). Ces trois auteurs ou groupes d'auteurs appartiennent tous à la Statistique générale de la France ou à l'INSEE, successeur de la SGF. Comme les poupées gigognes, ils s'emboîtent les uns dans les autres par extension. 1896 1913 1928 1938 1896-1938 Tableau 1. Indices du volume du produit agricole, 1896-1938 (année précédente = 1 00) Brousse- Pellier 117 90 109 115 Vincent 116 97 120 135 Carré- Dubois- Malinvaud 115 102 109 128 Toutain 116 104 109 131 Nos estimations (Toutain [1961, révisé en 1987]), qui s'étendent sur la période 1815-1938, comprennent, pour chaque période de dix ans depuis 1815, la quasi-totalité du produit agricole : céréales, légumes secs, pommes de terre, vin, cidre, fruits et légumes, cultures industrielles, bois, viande, graisses et peaux, laine et soie, lait, beurre, oeufs, fromage, fourrages de toutes sortes enfin ; le produit final est délivré des semences, des fourrages et de la consom mation animale de céréales et de pommes de terre. Les prix sont, en principe, des prix à la production. Les séries annuelles sont obtenues en interpolant entre les pôles décennaux complets des séries moins complètes constituées, entre 1815 et 1871, des céréales, légumes secs, pommes de terre, vin et cidre, soit environ 55 % du produit (les pôles décennaux étant considérés comme équival ant à 100 %) ; à partir de 1885, les séries d'interpolation entre les pôles décen naux représentent 68 % du produit. Les uploads/Industriel/ toutain-comparaison-entre-les-differentes-evaluations-du-pib.pdf
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- Publié le Sep 20, 2021
- Catégorie Industry / Industr...
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