INRA Productions Animales, 2018, numéro 1 INRA Prod. Anim., 2018, 31 (1), 23-36

INRA Productions Animales, 2018, numéro 1 INRA Prod. Anim., 2018, 31 (1), 23-36 Odeurs indésirables de la viande de porcs mâles non castrés : problèmes et solutions potentielles Séverine PAROIS1, Michel BONNEAU2, Patrick CHEVILLON2, Catherine LARZUL3, Nathalie QUINIOU2, Annie ROBIC3, Armelle PRUNIER1 1 PEGASE, Agrocampus Ouest, INRA, 35590, Saint-Gilles, France 2 IFIP-Institut du Porc, BP 35004, La Motte au Vicomte, 35651, Le Rheu, France 3 GenPhySE, Université de Toulouse, INRA, INPT, INP-ENVT, 31320, Castanet Tolosan, France Courriel : armelle.prunier@inra.fr „ „ Les défauts d’odeur des viandes, liés à la présence d’androsténone et de scatol dans le tissu adipeux, sont le frein majeur au développement de l’élevage des porcs mâles entiers. L’accumulation de ces molécules est sous le contrôle de multiples facteurs. Quels sont-ils ? Dans quelle mesure peut-on les utiliser pour réduire les défauts d’odeur des carcasses ? À défaut d’abolir entièrement les carcasses odorantes, comment les utiliser dans la chaîne de production ? Introduction La majorité des porcs mâles conti- nuent à être castrés à vif en France et dans les autres pays de l’UE mal- gré l’objectif d’arrêter cette pratique d’ici 2018 (Anonymous, 2010). Cette pratique, réalisée essentiellement pour éviter des odeurs désagréables dans la viande, est douloureuse et les antalgiques sont peu efficaces ou pré- sentent de nombreux inconvénients qui les rendent difficilement appli- cables (Courboulay et al., 2017). Une première solution au problème est l’immunocastration qui consiste à inhi- ber l’activité testiculaire en neutralisant, par des anticorps, l’hormone hypotha- lamique nécessaire à cette activité. Cependant, cette méthode présente plusieurs inconvénients (Guatteo et al., 2012). L’autre solution possible est l’élevage de porcs mâles non castrés (= mâles entiers) (figure 1). Cette option nécessite de résoudre le problème des odeurs sexuelles et de réduire le risque de comportements agressifs et sexuels qui peuvent à leur tour détériorer le bien-être animal ou la qualité de la car- casse (Prunier et Bonneau, 2006). Cet article fait le point des connaissances sur les principaux composés à l’ori- gine des odeurs sexuelles, leurs méca- nismes de synthèse et de dégradation, les ­ facteurs de variation de leur teneur dans la viande et de leur perception par les consommateurs puis les méthodes de détection. Les leviers d’action dis- ponibles pour résoudre le problème posé et les verrous à lever sont ensuite ­ présentés et discutés. Figure 1. Élevage de porcs mâles non castrés. INRA Productions Animales, 2018, numéro 1 24 / Séverine parois et al. 1. Définition et origine de l’odeur de verrat Des odeurs désagréables, qualifiées d’odeurs sexuelles, peuvent se mani- fester lors de la cuisson de la viande de porc mâle entier. Deux molécules en sont principalement à l’origine : l’an- drosténone (5-androst-16-ene-3one), à odeur urinaire prononcée, et le scatol (3-methyl-indole), à odeur fécale carac- téristique (Prunier et Bonneau, 2006 ; Lundström et al., 2009). Une troisième molécule, l’indole, ayant également une odeur fécale est probablement impli- quée mais à un moindre degré compte tenu de la plus faible sensibilité des consommateurs pour cette molécule (Moss et al., 1993). Ces trois molécules sont lipophiles et s’accumulent dans le tissu gras. La présence excessive de l’an- drosténone seule ou du scatol seul est suffisante pour induire une odeur désa- gréable. Ce problème d’odeur semble l’apanage du porc mâle entier même si des problèmes sont ponctuellement rapportés chez des porcs femelles (Hansen et al., 1994) ou chez l’agneau à cause du scatol (Devincenzi et al., 2014) et chez le bélier tibétain à cause de l’an- drosténone (Han et al., 2015). „ „ 1.1. L’androsténone Les testicules porcins ont la particu- larité de synthétiser de l’androsténone en quantité importante, en sus des autres stéroïdes (Robic et al., 2014). Ce composé a un rôle de phéromone bien démontré pour la reproduction (stimulation du comportement sexuel des femelles) et possible pour la régu- lation des relations sociales (McGlone et al., 1986). L’androsténone est synthétisée à par- tir du cholestérol sanguin par les cellules de Leydig (figure 2). L’activité de ces cellules est régulée par deux hormones hypophysaires, la LH (« Luteinizing Hormone ») et la FSH (« Folliculo- Stimulating Hormone »), elles-mêmes sous le contrôle de l’hormone hypo- thalamique GnRH (« Gonadotrophin- Releasing Hormone »). Trois enzymes (cytochrome P450scc, cytochrome P450C17, 3β-hydroxy-stéroïde déshy- drogénase synthétisées par les gènes CYP11A1, CYP17 et HSD3B) sont com- munes aux voies de synthèse de l’an- drosténone, des androgènes et des œstrogènes (Robic et al., 2014), seules une ou deux de ces enzymes étant spé- cifiques d’un type de stéroïdes (figure 2). La quatrième enzyme (5α-réductase codée par le gène SRD5A1) nécessaire à la synthèse de l’androsténone est aussi impliquée dans la synthèse d’autres androgènes, en particulier l’épi-andros- térone. Les synthèses de l’androsténone et des œstrogènes sont très fortement corrélées entre elles et très faiblement avec celle de la testostérone (Robic et al., 2016). Cependant, le lien entre la synthèse des œstrogènes et de l’andros- ténone n’est probablement pas un lien de cause à effet puisque l’abolition de la synthèse des œstrogènes pendant plusieurs semaines par un inhibiteur spécifique ne modifie pas la teneur en androsténone du tissu adipeux (Zamaratskaia et Berger, 2014). L’androsténone circule dans le sang essentiellement sous forme libre (Zamaratskaia et al., 2008). Cependant, une fraction minoritaire est liée de façon non spécifique à des protéines du sang. Une partie de l’androstérone circulante est captée par les glandes salivaires et excrétée dans le milieu extérieur par la salive pour jouer son rôle de phéro- mone. L’androsténone est liée dans la salive à une protéine spécifique, la phé- romaxéine, qui permet d’augmenter sa solubilité (Booth, 1984). Une autre par- tie de l’androsténone circulante passe dans le tissu gras où elle est stockée. Tous les types de tissu gras sont concer- nés : intramusculaire, intra-abdominal et surtout sous-cutané (Wauters et al., 2016 ; Meinert et al., 2017). Il s’agit, a priori, d’un stockage passif qui est d’autant plus facile que la molécule est très lipophile. Ce stockage est réversible et l’androsténone du tissu gras peut être relarguée dans le sang. La demi- vie apparente de l’androsténone dans le tissu adipeux sous-cutané mesurée après castration des porcs est de l’ordre de 4 jours (Bonneau et al., 1982). Par ail- leurs, le tissu gras ne possède pas les enzymes nécessaires pour synthétiser l’androsténone à partir du cholestérol ou d’autres stéroïdes issus de la circula- tion sanguine (Robic et al., 2016). Figure 2. Biosynthèse des stéroïdes sexuels dans le testicule de porc. – Le nom des enzymes est inscrit à l’intérieur des flèches. – Toutes les enzymes dont le nom commence par P450 sont intégrées au complexe cytochromique P450 : P450scc est codée par le gène CYP11A1, P450c17 est codée par le gène CYP17A et P450-aro codée par l’un des 3 gènes CYP19A1x. – L’enzyme 3β-HSD (enzyme 3β-hydroxystéroïde déshydrogénase/Δ5-Δ4 isomérase) est codée par le gène HSD3B, 17β-HSD (enzyme 17β-hydroxystéroïde déshydrogénase) par l’un des gènes HSD17βx ou par l’un des 5 gènes AKRCx, et 5α-R (enzyme 5a-réductase) est codée par le gène SRD5A. – DHEA = déhydroépiandrostérone. INRA Productions Animales, 2018, numéro 1 Odeurs indésirables de la viande de porcs mâles non castrés : problèmes et solutions potentielles / 25 Une partie de l’androsténone circu- lante est métabolisée. Ce métabolisme comprend deux étapes distinctes : une étape d’inactivation (métabolisme de phase 1) et une étape de conju- gaison (métabolisme de phase 2) (Zamaratskaia et Squires, 2009). Ces mécanismes de dégradation sont com- muns à de très nombreuses molécules, stéroïdes ou xénobiotiques. Le foie est l’organe principal de dégradation de l’androsténone, mais les poumons et les reins (surtout pour la phase 2) peuvent être mis à contribution. La 3β-hydroxy-stéroïde déshydrogénase semble être l’enzyme majeure du métabolisme de phase 1 qui conduit à au moins deux métabolites : le 3α-an- drosténol et le 3β-androsténol. Les principales enzymes du métabolisme de phase 2, SULT1A1 (sulfotransférase) et UGT (uridine-di-phosphate-glucuro- nosyltransférase), permettent d’ajouter un groupement sulfate ou glucuronyl qui aboutit à une grande diversité de produits terminaux (Bonneau et Terqui, 1983). Cette phase 2 augmente la solu- bilité des métabolites et facilite leur éli- mination urinaire. „ „ 1.2. Le scatol Le scatol est synthétisé dans le colon par des bactéries (figure 3) à partir de tryptophane (TRP) prove- nant de la fraction indigestible de l’aliment et de TRP d’origine endo- gène (desquamation de la muqueuse intestinale, recyclage de TRP bacté- rien) (Zamaratskaia et Squires, 2009 ; Wesoly et Weiler, 2012). Le TRP peut également être métabolisé en indole (figure 3). Les quantités de scatol et d’indole produites dépendent large- ment de la quantité de TRP disponible et de l’activité bactérienne. Cette production semble similaire chez les individus mâles entiers, mâles castrés et femelles (Zamaratskaia et Squires, 2009) même si des différences de microbiote existent entre mâles et femelles (Zhou et al., 2015). Une par- tie importante du scatol et de l’indole produits est directement excrétée dans les fèces d’où ces molécules peuvent être volatilisées en l’état ou après modification par les bactéries présentes dans les déjections. À notre connaissance, le scatol n’a pas de rôle biologique. Le scatol et l’indole sont absorbés par la muqueuse intestinale tout au uploads/Industriel/2206-texte-de-l-x27-article-9627-2-10-20180610.pdf

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