ARCHITECTURE Thèmes généraux - Architecture et philosophie Article écrit par Da
ARCHITECTURE Thèmes généraux - Architecture et philosophie Article écrit par Daniel CHARLES Prise de vue Elles n'ont pas manqué, les tentatives extérieures de confrontation (et d'assimilation) de l'architecture et de la philosophie. Il s'agit le plus souvent d'entreprises conciliatrices, qui posent au départ l'architecture d'un côté et la philosophie de l'autre, et qui visent à montrer la fusion progressive des deux disciplines initialement séparées en un seul corps ou terme ultime. Le résultat n'est pas nécessairement satisfaisant, même si l'auteur s'est entouré de toutes les garanties d'« objectivité » et de rigueur méthodologique. C'est ainsi – pour ne prendre qu'un seul exemple – que le célèbre essai d'Erwin Panofsky, Architecture gothique et pensée scolastique, consacré à la mise en évidence d'un certain nombre d'analogies de structure entre Sommes théologiques et cathédrales gothiques dans les années 1130-1270, s'est attiré les foudres de l'un des maîtres incontestés de la pensée contemporaine. Comme le dit en effet Martin Heidegger dans son cours sur Schelling, « on est accoutumé et l'on aime à comparer les Sommes aux cathédrales médiévales. Certes, il y a dans toute comparaison quelque chose qui cloche ; pourtant cette comparaison des manuels théologiques avec les églises du Moyen Âge non seulement cloche et demeure boiteuse, mais elle est encore parfaitement absurde. Les cathédrales, avec leurs tours, s'élancent vers le ciel dans une ascension continue ; il y aurait donc analogie si les Sommes s'édifiaient elles aussi sur une large base pour s'élever avec leurs flèches jusqu'au ciel, c'est-à-dire ici jusqu'à Dieu. Or la Somme commence précisément par la flèche pour s'élargir ensuite en direction de la vie humaine pratique et éthique. Instituer une comparaison entre un manuel scolaire et un édifice ou une œuvre d'art, voilà qui est déjà tout à fait discutable, mais cela devient franchement absurde quand l'ordre qui régit la construction dans les deux cas – et c'est pourtant bien là ce qui est visé – se révèle précisément inverse ». C'est que la réunion des deux domaines, la pensée et l'architecture, n'est pas un enjeu rhétorique, mais bel et bien un requisit de base : le Socrate d'Eupalinos, ou l'Architecte, de Paul Valéry, confie à Phèdre qu'il a longtemps hésité « entre le construire et le connaître », et que ses « réflexions infinies » auraient aussi bien pu le conduire « à ce philosophe que je fus, qu'à l'artiste que je n'ai pas été [...]. Il y avait en moi un architecte, que les circonstances n'ont pas achevé de former ». La fiction « d'un Socrate regrettant une vocation contrariée » permet que l'on se fasse à l'idée d'une « architecture qui pense », c'est-à-dire qui participe, comme le dit l'historien de l'architecture Christian Norberg-Schulz, « à l'histoire des significations existentielles ». Mais, plus encore, elle laisse supposer que « l'idée d'architecture », selon l'énoncé d'un philosophe contemporain, Daniel Payot, est « plus riche [...] là où, sans même prétendre s'intéresser particulièrement à l'art de bâtir, le savoir cependant le retrouve ou l'implique ». Autrement dit, il existe au départ une architectonique de la pensée, tout comme une pensée secrète à l'œuvre dans le bâtir comme tel. Et peut-être est-on fidèle à l'histoire et de l'architecture et de la pensée en partant, justement, de leur indistinction, pour montrer, au rebours de toutes les synthèses euphorisantes a posteriori, comment les deux disciplines se séparent et conquièrent leur autonomie, jusqu'à s'éloigner l'une de l'autre en une pluralisation ou dissémination qui, à son tour, relance aujourd'hui l'interrogation sur notre destin. I-La philosophie des architectes, de Vitruve à Gropius Architecture vient du grec archè, le commencement, le commandement, ou le principe, et de tektonikos, le charpentier ou le bâtisseur ; et, comme il advient souvent, la rencontre des deux mots infléchit le sens de chacun pour susciter une acception d'ensemble inattendue : l'archè fait de la « tecture » plus qu'une simple bâtisse. Archè est un supplément. Ce supplément implique-t-il, comme le veut Denis Hollier dans La Prise de la Concorde, « ce par quoi une construction échappe à l'espace purement utilitaire, ce qu'il y aurait en elle d'esthétique » ? Examinons ce qu'apporte au juste cette archè. À la fois « commencement » et « commandement », on vient de le mentionner, elle succède – selon l'interprétation de Jean-Pierre Vernant – au mythe, lequel faisait jusqu'alors de la distance entre commencement et commandement la matière même de son récit. Ce que racontent en effet les mythes de la Grèce archaïque relève toujours de la même histoire : celle du prince luttant dès ses débuts pour conquérir la royauté. L'histoire une fois terminée, la dynastie se stabilise : l'archè désigne cette fin du mythe qui permet que l'ordre et la loi puissent être considérés comme acquis, comme déjà constitués, que l'on parle de l'origine du monde comme d'un ordre originel (regroupant l'ensemble des relations géométriques qui tissent l'univers physique). Avec l'archè, le monde est mûr pour être vu – sur une carte, terrestre ou stellaire – et les Ioniens ne manqueront pas d'en faire une theoria : un spectacle. Que signifie, justement, cette spectacularisation ? Que la dynastie s'élargit à la dimension des familles constituant la cité. Cessant d'être concentrée sur un personnage unique, l'archè se géométrise : elle construit un espace homogène (et non plus hiérarchisé, comme dans le mythe) au centre (ou dans l'agora) duquel le foyer public permet à la puissance des anciens dieux, rassemblée, de rayonner à équidistance sur tout un chacun. L'archè, « commencement et autorité sans distance », fournit un point de repère stable, plein, autour duquel l'espace comme champ de relations se constitue en une multiplicité d'images qui renvoient au « donner à voir » (theoria, historia) archétypal. D'où une unification du savoir, une cohésion : une isonomie. L'architecture, dès lors, c'est « une unité de relations isonomes, qui se donne à voir (en spectacle, en représentation), et dans laquelle est donnée à voir, immanente, l'effectivité sans séparation d'une origine » (D. Payot). On est loin de la « simple bâtisse » présupposée au départ : l'archè gratifie celle-ci d'une ordonnance, d'un apparaître spectacularisant (phainesthai), et d'une origine assignable – soit d'un triple supplément. Il se trouve que le premier texte d'importance qui nous ait été légué concernant l'architecture n'est pas grec, mais latin. Son auteur, Vitruve, soutient que l'édifice architectural ne saurait se réduire à une simple bâtisse parce qu'il est harmonieux, inchoatif (renvoyant au commencement de l'histoire) et théorisable ou « traitable » (c'est-à-dire objet d'un traité « scientifique » à vocation universelle, qui en appelle à une autorité « vraie »). « Harmonieux », l'édifice doit être selon Vitruve en ce qu'une unité est censée s'y répartir également partout, grâce à la proportio et à la symmetria, donc grâce à un calcul effectué à partir de l'un des éléments de l'ensemble, qui sert de module (modulus). La co-modulatio, « disposition géométrique de chaque point comme à égale distance de ce foyer de convergence qu'est le module », confère à l'édifice sa structure centrée. Mais sur quoi Vitruve appuiera-t-il la proportio ? Sur le corps humain : chaque partie devra être à l'égard des autres comme une partie du corps à l'égard des autres parties du corps. Exemple : si le module du corps humain est le nombre des doigts, le module architectural en sera l'imitation. D'où, selon la formulation d'Anne Cauquelin, « l'entrelacement des divers éléments architecturés », qui, « formant système », finit par constituer un « corps symbolique ». Car si l'autonomie de l'édifice renvoie à un modèle extérieur et premier, le corps, encore celui-ci sera-t-il inscriptible dans un cercle et dans un carré, c'est-à-dire dans un ordre. Enfin, le texte du Traité de Vitruve tentera d'imiter l'édifice, lequel imite son modèle : l'homme. Dès lors, l'édifice clos, circulaire, et qui renvoie à une origine exhibée en son centre, c'est le théâtre – creuset de la représentation, c'est-à-dire aussi de l'imitation (mimesis). La postérité de Vitruve, du Moyen Âge et de la Renaissance au XIXe siècle, se spécifie par les différentes interprétations de la proportio – et en réalité par les différents dérapages de la mimesis – qu'admettent les Traités. Chez Maxime le Confesseur, le temple représente le monde, et vice versa ; mais le temple est soumis à ordre symétrique, et le monde à proportionnalité universelle. Métaphore qui se perpétue chez Kepler : l'ordre du monde est une coupole, un « grand creux entouré et pour ainsi dire fermé par l'armée des étoiles fixes, comme par une paroi ou voûte » ; et, chez Palladio, la coupole retrace le monde, « ce grand temple achevé dans sa perfection d'une seule parole issue de l'immense bonté de Dieu ». Le modèle architectural « produit la lisibilité du cosmos » (Denis Hollier) ; à la condition toutefois que l'archi-tecture soit bien un ordre soumis à l'archè du Nombre – à laquelle se soumet d'autre part l'Univers. Le Nombre, ou l'origine... Mais comment les hommes ont-ils connu l'archè ? En se référant à la nature, laquelle était déjà – uploads/Ingenierie_Lourd/ charles-daniel-architecture-et-philosophie.pdf
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- Publié le Dec 03, 2022
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