Le Soir mai 2014 reportage 2 Le Soir mai 2014 1 reportage 2 f Les potagers coll

Le Soir mai 2014 reportage 2 Le Soir mai 2014 1 reportage 2 f Les potagers collec- tifs se développent à Bruxelles. f Les pouvoirs publics les soutiennent, entre autres dans un but social. f Ces jardins ne contri- buent pas directement à la mixité. F adel, je voudrais couper un peu d’ail. » C’est dimanche. Les voisins de la rue Fin se réunissent au potager Majorelle. Les jardins collectifs comme celui-là foisonnent à Bruxelles. Ils poussent sur des friches au cœur de la ville, en pleine terre ou dans des bacs, parfois sur les toits. Jardiner en zone urbaine est au moins aussi vieux que la Révolution industrielle, mais les premiers potagers gérés en collec- tif de notre capitale ont germé en 2006 et 2007. Aujourd’hui, l’asso- ciation Le Début des Haricots, qui encadre et soutient les jardi- niers, en compte une soixantaine. La Région bruxelloise soutient la création de près d’une dizaine de projets par an. Un critère de financement : l’aspect social du projet. Aline Dehasse est animatrice au Début des Haricots, qui gère les appels à projets pour la Région. « Le but n’est clairement pas que de cultiver. C’est aussi de favoriser la rencontre, d’apprendre à travailler ensemble. Nous voulons que les gens se res- ponsabilisent et s’impliquent dans leur quartier. Des logements sociaux, maisons médicales, et CPAS ont lan- cé des potagers collectifs dans un but de lien social et de bien-être, plus que de sensibilisation à l’environne- ment. » L’attention se porte sur la gestion collective du potager, et sur « l’implication d’un public diversi- fié ». Les potagers collectifs, outils de cohésion et de mixité sociales ? Le potager Majorelle s’est créé derrière le canal à Molenbeek, sur un parking où des camions entiers venaient décharger leurs déchets clandestins. Aujourd’hui, c’est propre et coloré. Les bacs sont peints des jaune et bleu éclatants du jardin Majorelle de Marrakech. C’est d’abord un bâtiment social et écologique qui s’est implanté. Fadel Lahoussine lance le pota- ger après s’y être installé. « Nous sommes 14 familles de 11 natio- nalités différentes : Guinée, Togo, Syrie, Liban, Maroc… 80 personnes, et nous n’avions pas d’espace pour nous réunir. » Les voisins enviaient d’abord les nouveaux venus, mais se sont vite intégrés. « Tous ceux qui participent, même juste avec du compost, s’ils veulent un peu de menthe, des carottes ou un potiron, ils peuvent le prendre, avec plaisir. » Les jardiniers accueillent les visi- teurs avec un thé à la menthe et des biscuits. « Le jardin a donné un grand souffle à ce quartier. Il y a un lieu de rencontre, le respect s’ins- talle. Les gens disent bonjour, même s’ils ne viennent pas souvent. Si on ne donne pas au vivre ensemble un charme, une couleur, chacun ferme son appartement et personne ne dit bonjour. Vivre, c’est te sentir en sécu- rité, chez toi, ne pas te sentir toujours étranger. » Tous les jardins n’ont pas la même dynamique. Olivier Alexandre a lancé le potager Helmet en 2009 à Schaerbeek. Au début, le pro- jet inclut tous types de publics, mais le groupe s’uniformise petit à petit. « Aujourd’hui, c’est belgo- belge. Pourtant, le quartier est très mixte. » Un argument utopique Pour David Jamar, socioanthro- pologue de la ville, demander aux potagers urbains de renforcer la mixité n’est pas réaliste. « Les pou- voirs publics ont tendance à se ser- vir de cet argument pour soutenir l’opération. Le potager nait souvent sur bases d’affinités. Si les gens se déplacent, c’est qu’ils se connaissent et sont du même milieu. S’ils sont voisins, c’est le même quartier et la mixité n’est pas exacerbée. Le dis- cours de cohésion sociale est vendeur, mais il ne respecte pas la réalité des expériences. » Aline Dehasse recon- naît ces limites. « Le public est très diversifié sur l’ensemble des jardins, mais pas au sein des projets. Il y aura un jardin uniquement de Marocains, de bobos, d’habitants de loge- ments sociaux... » Tout dépend de l’organisme qui porte le projet. « Si c’est un groupe d’habitants, il y a plus de chances qu’ils soient plutôt de la classe moyenne éduquée. » Travailler réellement sur la mixité exige un lourd travail associatif et l’implica- tion d’acteurs sociaux. C’est le cas à Forest, où Ali Boulayoun est res- ponsable de la maison des jeunes. Il a lancé un potager avec le centre d’art contemporain Wiels. « Ici, des jeunes parlent à des Belges de souche. Les habitants se sentent en sécurité depuis que les jeunes sont sur le terrain, même s’ils fument ! » Le potager responsabilise les adolescents. « Ils respectent le lieu parce qu’ils savent qu’ils reviennent demain. » La sécurité du quartier se construit petit à petit. Au fur et à mesure que les gens s’impliquent, un contrôle social s’installe. L’engagement est parfois trop pesant Le jardin demande beaucoup de temps et d’investissement. L’engagement est lourd et tout le monde n’y a pas accès. Olivier Alexandre précise qu’être loca- taire joue beaucoup. « On s’inves- tit moins dans un quartier quand on sait qu’on part dans un an. » Parfois, les différences culturelles sont trop profondes. « Aux premières réu- nions, certaines immigrées avaient pu venir en expliquant à leur mari que c’était à la maison de quar- tier, mais ils mettaient la pression pour qu’elles rentrent tôt. » Plusieurs associations féminines partagent le constat : certaines femmes, sur- tout musulmanes, ne participent pas à des activités mixtes. Vinciane Cappelle, coordinatrice de projets à Amazone, a mené un potager pour femmes pendant plusieurs années. « On donne plus la parole aux hommes dans le domaine agri- cole. Nous voulions que les femmes prennent conscience qu’elles sont capables d’entretenir un jardin. Il y a un réel problème de confiance en soi. Les femmes sont souvent timides, et n’osent pas entreprendre. C’est une question d’émancipation. » Vinciane Cappelle remarque aussi qu’elle ne parvenait pas à atteindre tous les publics. « Beaucoup d’immigrées ne sont plus venues après la première séance. C’est très difficile de les mobi- liser. Elles doivent suivre des cours de langue, ont des problèmes admi- nistratifs... Qui sommes-nous pour leur demander de venir jardiner en collectif ? » Malgré tout, pour David Jamar, jardiner ensemble, ce n’est pas rien. « Cela reste de l’expérimentation sociale. Le potager n’attend pas, il faut s’en occuper. C’est politique. Ça commence quand on décide de mettre les carottes à un endroit et pas à un autre. Comment se répartir les tâches ? » Ces discussions créent toujours des rapports. « Peu de lieux urbains lient les gens. C’est un peu comme les lieux de cultes : l’enjeu est prolongé, on est obligés de se voir en dehors des cercles familiaux. Les potagers apportent la même chose que les églises ou les mosquées, c’est-à-dire beaucoup. » Le soin qu’exige un pota- ger ramène à des préoccupa- tions basiques et terriennes. Qui peut emporter quelle quantité de pois, après quel travail four- ni ? Les jardiniers inventent de nouvelles manières de fonction- ner en groupe. Ils décrivent la joie de regarder pousser ce qu’ils ont semé, des légumes sains, pro- duits par eux. Le bien-être est pal- pable. Il ne faut pas négliger tous ces bénéfices pour les citadins, sans oublier que les carottes et les choux urbains ne sont pas l’ingré- dient miracle contre l’exclusion sociale. ¢ SANDRINE PUISSANT Potagers collectifs : germes de liens en ville SOCIAL Les jardiniers tissent des relations dans les quartiers, mais les pota- gers ne freinent pas nécessairement l’exclusion REPORTAGE ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ ¢ D errière la longue chaussée de Gand où s’alignent les commerces aux peintures écail- lées et palies, au cœur du béton terne et poussiéreux, a jailli une oasis. Pas de foule frémissante ici. La musique des oiseaux se glisse jusqu’à nos oreilles. Les pota- gers collectifs de Velt Koekelberg s’étendent calmement entre les murs. L’espace est vaste : près de 80 personnes cultivent ces jardins. Katleen Deruytter a lancé le projet l’année dernière. Avant, le terrain était une plaine de jeu. « La plaine a dû fermer à cause des jeunes qui venaient se piquer et fumer des drogues. On allait construire des logements sociaux. J’ai mobilisé le quartier pour garder un espace vert. » Un espace de mélanges sociaux et culturels Des immeubles de logements sociaux encadrent un côté du jar- din. En face se dressent des mai- sons de classe moyenne. Katleen habite une de celles-là. « Quand c’était encore un parc, les habitants du logement social regardaient nos maisons comme si c’était un fort euro- péen : il y a une clôture avec un code. Une zone pour les riches où on n’entre pas. Maintenant, on en rigole, on travaille ensemble. » Plus ou moins la moitié du groupe est musulman. « J’ai tou- jours dit que c’est grâce à leurs prières qu’on a eu assez de soleil et de pluie pour une belle première saison. uploads/Ingenierie_Lourd/ d1-puissantbaeyens-sandrine-pdf.pdf

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