138 BBF juillet 2015 FAB LAB EN BIBLIOTHÈQUE Un nouveau pas vers la refondation

138 BBF juillet 2015 FAB LAB EN BIBLIOTHÈQUE Un nouveau pas vers la refondation du rapport à l’usager ? Marjolaine Simon Conservateur des bibliothèques en collaboration avec Marc Maisonneuve Tosca consultants D epuis plusieurs années, le phé- nomène Fab Lab s’est emparé du territoire français. Au cœur de nombreuses journées d’études et d’événements autour de la culture du « Faire » (Make), le Fab Lab et ses équipements enva- hissent peu à peu les bibliothèques à l’occa- sion d’animations ponctuelles mais aussi en tant que service innovant et souhaité pérenne. Face à ces nouveaux usages, les bibliothécaires s’interrogent. PORTRAIT DU FAB LAB Inspiré du cours « How to make (almost) eve- rything », dispensé au sein du MIT, Massa- chusetts Institute of Technology, par Neil Ger- shenfeld dans les années 1990, le « Fabrication Laboratory » est un lieu physique permettant la fabrication numérique. Régulièrement défini comme une plateforme de prototypage d’objets grâce à des machines à commande numérique et machines-outils, le Fab Lab s’apparente à un lieu d’expérimentation, ouvert et accessible à tous. L’essor des Fab Labs se précise dans les années 2000 et le phénomène s’ancre en France dès 2011, de nombreux citoyens s’impli- quant dans des structures de cette nature. Si certains rapprochent l’émergence du phéno- mène des Fab Labs d’une lutte contre la société de consommation et l’obsolescence program- mée, il s’agit avant tout de permettre à toute personne de fabriquer un objet répondant à un besoin individuel grâce à l’utilisation de ma- chines habituellement présentes dans l’indus- trie. Vu par d’autres comme une nouvelle révo- lution industrielle à l’initiative des « ­ makers », le Fab Lab est également une donnée à prendre en compte dans la sphère économique puisqu’il fait appel au partage et à la participation de ses différents utilisateurs (y compris le crowdfun- ding ou financement participatif) pour assurer sa pérennité. L’essor des Fab Labs s’inscrit également dans la mise en commun des savoirs permise par le web et les réseaux sociaux, le cœur même du Fab Lab étant l’idée de partager les connais- sances et compétences tout en favorisant la sé- rendipité, la découverte par hasard de nouvelles idées. Rapproché des phénomènes du DIY – « Do It Yourself » – et DIWO – « Do It With Others » –, le Fab Lab met en avant la collabora- tion entre utilisateurs pour le bénéfice de tous. Ce partage doit également être assuré par la dif- fusion facile et quasi automatique des savoirs au moyen de documents sous Creative Com- mons permettant à chacun de s’informer et de reproduire les projets, souvent réalisés avec des logiciels Open Source. À ce titre, ­ internet est perçu comme l’outil d’interconnexion des Fab Labs dans le monde entier, permettant que les idées soient documentées et propagées. Enfin, le Fab Lab est avant tout un lieu d’expéri- mentation ouvert à tout individu, qu’il soit ar- tiste, entrepreneur, retraité ou simple curieux. Conçu pour favoriser l’innovation, le Fab Lab n’est pas contraint par un cadre fixe, ce sont ses usagers qui le construisent au quotidien et le font évoluer. Lieu de rencontres et de partage, 139 BBF juillet 2015 le Fab Lab fait partie des espaces « HOMAGO », terme utilisé pour désigner les trois usages principaux envisagés mais non exclusifs : Hang- Out, le fait de traîner, source de lien social qu’il soit physique ou virtuel ; Mess Around, le fait de bricoler et de « dé-ranger » ; et Geek Out, le fait de chercher de l’information et des compé- tences dans un domaine d’intérêt spécifique 1. La caractéristique principale des usagers du Fab Lab est la volonté de « hacker » ou bidouil- ler, c’est-à-dire de comprendre le fonctionne- ment des dispositifs dans le but de les repro- duire et de les détourner afin de créer de nouveaux objets ou de nouvelles idées. En cela, les Fab Labs sont à rapprocher du mouvement libriste qui vise non seulement à développer des initiatives en Open Source permettant de redistribuer les contenus, d’accéder à leur code et de les faire évoluer, mais aussi et surtout à explorer les logiciels afin de les améliorer et de les diffuser librement dans de nouvelles ver- sions répondant aux besoins de certains utili­ sateurs. Le Fab Lab contribue également à l’« empowerment » ou capacitation, rendant les individus capables de davantage d’actions et d’autonomie 2. Pour garantir l’harmonie des services placés sous l’étiquette Fab Lab, le MIT a mis en place une charte que toute structure souhaitant béné- ficier du label Fab Lab doit respecter (voir enca- dré en page 141). Cette charte, disponible sur le site du MIT, est reprise par de nombreux pays à travers le monde. À ce jour, 542 Fab Labs dans le monde sont « d’appellation MIT », dont 56 en France 3. Les Fab Labs d’appellation MIT sont porteurs de quatre valeurs principales, à savoir : l’ouverture, le respect de la charte, le partage et l’implica- tion dans le réseau des Fab Labs afin d’échan- ger, par exemple par des vidéos conférences. Si à ce jour il n’existe aucun contrôle de l’usage de l’appellation Fab Lab, certaines structures ont fait le choix de s’auto-évaluer afin de définir leur respect actuel de la charte et les points d’amé- lioration à envisager 4. En pratique, un Fab Lab 5 sera donc un lieu ac- cueillant des machines-outils et des équipe- ments informatiques permettant de dialoguer 1 Consulter sur ce sujet la présentation de Coline Blanpain dans le cadre de la journée d’études Bibdoc du 16 avril 2015 à Tours : « La bibliothèque augmentée : regards croisés sur la co- construction des savoirs », disponible sur Slideshare. 2 Fabien Eychenne, Fab Lab : l’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle, FYP éditions, collection « La fabrique des possibles », no 3, 2012. 3 Données au 16 juin 2015. Pour consulter la carte actualisée des Fab Labs à travers le monde, voir : https://www.Fab Labs.io/ labs 4 Voir à ce titre l’initiative du Fab Lab de l’INSA Strasbourg sur : https://ideaslab.insa- strasbourg.fr/Fab Lab/ acces-au-lab 5 Par souci de simplification, dans cet article l’expression Fab Lab désigne un laboratoire de fabrication numérique, qu’il bénéficie ou non de l’appellation MIT, le respect de la Charte MIT étant un modèle vers lequel tendre et non une obligation. 140 BBF juillet 2015 avec ces machines, mais aussi l’équipement de base de tout bricoleur (perceuse, fer à sou- der…). La liste des machines à mettre à disposi- tion des utilisateurs n’est pas exhaustive et peut très bien être adaptée à chaque Fab Lab, à son public et/ou à sa spécialisation le cas échéant 6. Toutefois, il est utile de rappeler ici que l’impri- mante 3D, souvent perçue comme l’élément central et emblématique du Fab Lab, n’est pas l’outil le plus intéressant pour la création numé- rique et que seulement 20 % du temps d’usage constaté dans un Fab Lab relève de l’impri- mante 3D, le reste des projets s’appuyant sur d’autres machines. Une liste des machines re- commandées est disponible sur le site du MIT et peut inspirer les établissements tentés par l’aventure Fab Lab. Toutefois, un Fab Lab ne saurait exister sans personnel dédié, le rôle de ces personnes étant non pas d’animer des ateliers, mais de partici- per avec les usagers aux expérimentations et de faciliter l’usage des outils disponibles. Dans cette optique, de nouveaux métiers 7 sont appa- rus pour désigner ces médiateurs aux multiples compétences et fonctions, capables d’aider les usagers mais aussi d’être à l’écoute de leurs projets et de leurs besoins. Ces personnels sont également des éléments clefs pour l’animation du réseau des Fab Labs au niveau national et à l’international. Enfin, le Fab Lab est caractérisé par son ouver- ture au public, le but étant de s’adapter aux besoins de la communauté utilisatrice. Ainsi, il n’existe pas d’amplitude horaire type ou de consignes strictes, l’essentiel étant d’être ou- vert afin de favoriser les usages et les échanges. FAB LAB ET BIBLIOTHÈQUES : UN MARIAGE DE RAISON ? Si les Fab Labs semblent avoir proliféré sur le territoire, les bibliothèques se sont encore peu emparées du phénomène, leurs initiatives en ce sens restant à la marge. À l’inverse, de nom- breux bénévoles et associations se sont large- ment impliqués pour créer et faire vivre leur Fab Lab. En conséquence, les professionnels s’inter- rogent activement sur la raison d’être d’un Fab Lab dans une bibliothèque, au-delà du phéno- mène de mode 8. En effet, avant de mettre en place ce type de structure, il apparaît nécessaire 6 Parmi les outils et machines souvent cités : découpeuse laser, découpeuse vinyle, fraiseuse, imprimante 3D, machine à coudre, presse thermique, matériel et fournitures de bricolage de base. 7 Voir les fiches métiers « Fab Manager » et « Forgeur numérique » sur le portail gouvernemental des Métiers de l’internet http://www.metiers. internet.gouv.fr/ 8 Thomas Fourmeux, « Des Fab Labs en bibliothèques ? », Arabesques, janvier- février-mars 2015, no 77, p. 14-15. POINTS DE REPÈRE : L’UNIVERS DES LABS – Hackerspace (atelier uploads/Ingenierie_Lourd/ fab-lab-en-bibliotheque.pdf

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