Giancarlo de Carlo mars 1997 C'est dans son agence de Milan que Giancarlo de Ca
Giancarlo de Carlo mars 1997 C'est dans son agence de Milan que Giancarlo de Carlo nous reçoit, avec une grande gentillesse et une active disponibilité. Né en 1919, à Gênes, son plaisir de penser la ville et l'architecture trouvent, en son regard malicieux et la conviction de ses propos, l'expression même de sa passion. Théoricien autant que praticien, Giancarlo de Carlo ne peut séparer ces deux "moments" de l'acte de bâtir, ce même geste de la conception de l'espace urbain. Dans cet appartement d'un immeuble récent, sans grand caractère, situé dans un quartier résidentiel, loin des bruits de la ville, face à un espace vert, nous nous trouvons, par la magie des mots, l'ampleur des questions soulevées, la richesse des propositions, comme déplacés et néanmoins connectés à l'urbain, qui, de partout, nous assaille et nous pousse à réagir. Th. P. Comment et pourquoi êtes-vous devenu architecte? Giancarlo de Carlo: Mon père était ingénieur naval et désirait que je devienne aussi ingénieur. J'ai donc obtenu un diplôme d'ingénieur et, le lendemain, je me suis inscrit en architecture, car au cours de mes études, je me suis rendu compte que je ne pourrais pas, toute ma vie, être ingénieur. Je voulais acquérir une vue plus globale sur l'acte de bâtir. Au début, j'ai cru que j'avais perdu du temps, puis au fur et à mesure que j'exerçais mon nouveau métier, j'ai compris que ce détour par la formation d'ingénieur m'était précieux. J'ai commencé mes études d'architecture à Milan et je les ai terminées à Venise. C'était la fin de la guerre, et comme je me suis engagé dans la Résistance, j'ai interrompu mes études, tout en travaillant beaucoup, en lisant énormément, en discutant dans le "maquis". À cette époque, j'ai réalisé une anthologie de textes de Le Corbusier. Un éditeur, Rosa e Ballo, préparait déjà "l'après- guerre" et souhaitait publier des auteurs importants à ses yeux et peu connus en Italie. Ainsi, il m'a demandé de traduire et d'introduire un choix de textes de Le Corbusier; une jeune femme, que j'ai par la suite épousée, traduisait pour lui un livre de Wright, Architecture et Démocratie, et un autre de Pevsner. Ce petit éditeur a fait connaître en Italie le théâtre expressionniste, le théâtre expérimental français, la poésie d'Eluard, d'Aragon, etc. Il faut dire que nous avions, finalement, beaucoup de temps pendant la Résistance, ce qui explique ces nombreux projets... La Résistance est une période très importante à étudier pour comprendre l'éclosion culturelle qui va suivre la guerre. J'étais à l'époque - disons - trotskiste, puis je suis devenu anarchiste. C'est ma culture, ma sensibilité mais, vous savez, ce n'est pas facile d'être anarchiste! La vie politique était assez confuse - tout comme la Résistance - et c'est l'anarchie comme "art de vivre" qui m'a séduit et continue de me séduire. Avez-vous eu des "maîtres à penser" durant vos études? G. de C.: Non, je ne me souviens pas vraiment d'un professeur ou d'un architecte dont la pensée ait influencé directement la mienne. Mais, après mes études, la réponse est "oui"; de nombreuses rencontres "intellectuelles", mais aussi affectives, ont contribué à ma formation. Une période fertile fut celle de la fin des années cinquante début des années soixante, où je fréquentais un groupe - assez informel d'ailleurs - d'intellectuels et d'artistes autour du romancier Elio Vittorini. C'était un ami et aussi un écrivain important - je pense à Conversation en Sicile, mais aussi à Femmes de Messine, qui ont marqué ce siècle. Il a dirigé, jusqu'à sa mort en 1966, avec Italo Calvino, un autre ami, la revue Menabo, créée en 1959. Proche du parti communiste, il a toujours veillé à ne pas subordonner la pensée, la création, l'art au politique. De nombreux Français fréquentaient aussi sa maison d'été à Bocca Magra, comme Marguerite Duras -l'action des Petits Chevaux de Tarquinia s'y déroule -, Robert Antelme, Dionys Mascolo et d'autres. Les soirées étaient animées et la ville était le thème commun. On ne disait pas: "on va parler de la ville", non, on vivait ensemble, et l'on parlait. Einaudi l'éditeur, Pavese, Calvino, Fortini, Sereni, et d'autres écrivains ou artistes, nous étions là. Chacun travaillait le matin et, le soir, nous discutions à bâtons rompus. Ces débats me plaisaient beaucoup. Beaucoup plus que n'importe quelle discussion avec un architecte! Les architectes sont généralement conformistes. Ils sont trop spécialisés et du coup s'enferment, et se protègent, dans une "pensée commune". Je ne crois pas que l'architecture soit une discipline autonome. Au contraire, je suis persuadé qu'elle ne peut être qu'ouverte à tous les savoirs, hétéronome. Pour faire de l'architecture, il faut connaître. Vitruve a élaboré une liste de tout ce que l'architecte doit savoir. C'est impressionnant, c'est une liste sans fin... Il a raison! Un architecte, pour construire, doit s'intéresser à toutes les découvertes, à toutes les innovations, doit être à l'affût de toutes les connaissances, et ceci dans tous les domaines, car la ville est constituée de ce "tout", qui apparaît souvent comme éclaté, dispersé, incomplet, et que personne ne peut vraiment maîtriser. Vous êtes un peu sévère avec les architectes, n'avez-vous pas rencontré quelques exceptions? G. de C.: J'ai rencontré quelques architectes de la génération de Le Corbusier, à commencer par ce dernier que j'ai vu trois fois, ou Alvar Aalto. Les plus célèbres de ma génération, je les ai également rencontrés; en revanche, les architectes de la génération d'après, je n'en connais pas beaucoup. Les "grands" parmi les modernes de la période héroïque ont tous une curiosité insatiable, ce qui les entraîne à pratiquer le principe de Vitruve, à s'intéresser à des domaines très différents et à ramener leur butin sur leur table à dessin. Le Corbusier était assez austère, timide, rude, comme en colère... il avait de bonnes raisons d'être en colère! Mais il était aussi très humain, à cause de sa curiosité, de sa peinture, de son intérêt pour la musique et, disons- le, de son amour pour les gens. Le Corbusier prenait le métro, jouait aux boules avec les voisins de son cabanon, écoutait les voix de la rue, avec une grande simplicité. Son architecture est très sensible, très intelligente, je ne suis pas toujours d'accord avec lui, mais il allait plus loin que ses contemporains, il était moins rigide que les principes qu'il édictait. Il a effectivement mis sur pied les congrès internationaux d'architecture moderne, les fameux Ciam, mais progressivement, il s'en est détaché. À la dernière réunion, il n'était pas là. Vous savez les Ciam, au début, étaient prétextes à discuter des idées, à confronter des projets, à présenter des points de vue, des propositions architecturales ou urbaines. Il y a une dimension expérimentale qui est sous-tendue par sa conception d'un "esprit nouveau", d'un certain déploiement de la technique, d'une certaine rationalité propre à l'ère machinique. À la fin, les Ciam étaient devenus un parti, mais au départ, les fondateurs étaient des chercheurs avec des idées différentes, mais avec la même passion pour questionner leur métier, leur pratique et pour en discuter collectivement. Après la Seconde Guerre mondiale, les Ciam ont été dominés par une véritable dictature, celle de Giedion et des "orthodoxes" des Ciam comme Wogensky par exemple, que je considère gentil et passionné, mais réactionnaire. Ceux-ci n'avaient pas compris Ronchamp, ils considéraient que Le Corbusier divaguait en quelque sorte, qu'il fallait conforter une doctrine qui, à défaut de concepts appropriés à l'architecture et à l'urbanisme de cette nouvelle période, offrait un langage pour une modernité qu'ils imaginaient stable. Vers la fin des Ciam, ce langage était devenu un argument de vente vidé de sa substance et incapable de formuler de nouveaux questionnements; l'architecture moderne était devenue un temple soumis à l'autorité des "infidèles" promus gouverneurs. Lors du IXe Congrès, à Aix- en-Provence en 1953, les plus jeunes ont marqué leur désaccord avec les "apparatchiks" et contesté leur conception étriquée, vieillie et dépassée de la ville. Jaap Bakema, Georges Candilis, Aldo van Eyck, Alison et Peter Smithson et quelques autres ont créé Team X (prononcer team ten). Certains membres de ce groupe, dont moi, s'étaient déjà réunis à La Sarraz -là où le premier congrès s'était tenu en 1928 - afin de préparer le congrès de Dubrovnik qui devait, en 1956, traiter de l'habitat. Nous avons affiché nos projets afin de les montrer aux participants et d'en discuter avec eux, tandis que les "pontes", enfermés dans une salle, tentaient de colmater la brèche... C'était trop tard, le bateau prenait l'eau, et le pilote ignorait le cap à suivre... Chacun des "jeunes" vous racontera à sa manière cet épisode et vous donnera sa propre interprétation de la naissance de Team X. Peu importe, l'essentiel est de comprendre pourquoi les Ciam ne pouvaient plus fonctionner comme avant, et comment, lors du congrès de 1959 à Otterlo, cette aventure-là s'est terminée et qu'une autre a commencé. Celle qui a commencé reposait sur le principe d'une organisation souple, avec une grande liberté, sans un manifeste imposant une règle de conduite. Chacun venait avec des propositions pour en débattre, et non uploads/Ingenierie_Lourd/ giancarlo-de-carlo-interview.pdf
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- Publié le Jui 06, 2021
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