Les plantes tinctoriales, Leurs applications thérapeutiques aux époques antique

Les plantes tinctoriales, Leurs applications thérapeutiques aux époques antiques Le cas particulier des Isatis * par Bernard VERHILLE ** La botanique et l’herboristerie ont été pendant des siècles une part importante de la science médicale après que la botanique a été pour les Grecs une science à part entière. Par ailleurs l’homme qui souhaitait se soigner avec des plantes principalement a déve- loppé de nombreuses technologies dès la préhistoire pour obtenir tout d’abord des couleurs à partir des plantes. Ensuite combinant fibres textiles, techniques de tissage et certains pigments colorants il a pu réaliser des textiles avec des motifs teints. Le cher- cheur en technologie des teintures est d’abord très étonné de découvrir qu’une plante tinctoriale est connue aux époques antique, médiévale et moderne comme médicinale, puis il s’étonne au contraire quand il ne trouve pas d’applications “pharmaceutiques” à une plante tinctoriale. Travaillant pour l’époque médiévale sur les trois plantes tinctoria- les les plus connues en Europe, soit guède, gaude et garance, j’ai vite considéré qu’à cette époque les deux caractéristiques étaient liées dans l’esprit des herboristes. Le projet de mon article est de montrer que ceci est vrai dans les textes depuis que les auteurs ont décrit les plantes, mais aussi que ceci peut s’expliquer dès le Néolithique. La science moderne pharmaceutique s’appuie d’ailleurs de façon consciente sur la connaissance médicale des chamans ou des guérisseurs et parfois sur les caractéristiques médicales des plantes tinctoriales. Parmi elles les plantes productrices d’indigo, comme les Isatis (guède) et l’Indigofera, ont une place tout à fait particulière aussi bien par les qualités exceptionnelles, en tant que pigment colorant de teinture, de l’indigo que par la place toute particulière qu’a le double noyau indol. Les principales plantes tinctoriales Présentons tout d’abord rapidement ces trois plantes tinctoriales, qui ont été seules utilisées pour teindre la broderie de Bayeux : gaude, garance et guède. La gaude est une plante bisannuelle qui, la deuxième année, a une tige au bout de laquelle se forment de petites fleurs jaunes. Nommée par les herboristes Reseda luteola, les teinturiers en achetaient des javelles de tiges fleuries dont ils faisaient tomber les fleurs contenant la lutéoline et l’apigénine dans le bain de teinture. Avec l’aide d’un HISTOIRE DES SCIENCES MÉDICALES - TOME XLIII - N° 4 - 2009 357 __________ * Comité de lecture du 14 février 2009. ** 1, rue du Moulin Brûlé, 80110 Beaucourt-en-Santerre. mordant on obtient une teinture jaune grand teint. On a trouvé des graines de cette plante lors de fouilles archéologiques dans des niveaux du Néolithique européen. On pense que cette technique tinctoriale était utilisée dès 500 av J.-C. par les Grecs. La première année la plante est sous la forme d’une rosette qui ressemble à une laitue et au plantain. La garance nommée Rubia tinctorum est, elle, une plante pérenne dont les racines grossissent et s’allongent d’année en année. La matière tinctoriale est présente dans ces racines. Le producteur du pigment colorant doit donc décider de l’année où il récolte cette racine après deux, trois ou quatre ans en fonction du climat et du sol. Alors il grille les racines comme on le fait par exemple pour la chicorée pour ensuite les broyer et obte- nir une poudre que va utiliser le teinturier. Il est important là aussi de commencer la tein- ture par un mordançage qui permet aux matières actives d’avoir une tenue grand teint. Ces matières actives sont des anthraquinones dont en particulier l’alizarine et la purpu- rine. Le rouge obtenu sur la plupart des fibres naturelles végétales ou animales est connu depuis longtemps. Il a été émis l’hypothèse que certains textiles de Mohendjo Daro (civi- lisation de l’Indus, vers 3000 av. J.-C.) avaient été teints avec ces anthraquinones ; on est par contre sûrs qu’à Tell el Armana en Égypte, vers 1350 av. J.-C., des textiles ont été teints avec ces colorants. On envisage comme très probable que cette teinture était utili- sée en Babylonie dès 2500 av.J.-C. On connaît des teintures rouges avec des plantes de la famille des Resedaceae sur l’ensemble du globe depuis la plus haute antiquité. La guède fait, elle, partie de la large famille des plantes productrices d’indigo. En effet la technique de la teinture à l’indigo est connue quasiment sur tout le globe dès la préhis- toire, mais les plantes utilisées pour extraire cet indigo sont différentes en fonction des climats. En particulier il faut séparer les plantes tropicales dont les plus connues sont les Indigofera, et les plantes de climat tempéré ou froid dont les deux plus connues sont les Isatis et les Polygonum. La guède est un terme regroupant un certain nombre d’Isatis que l’on trouvait sur l’ensemble du continent Europe-Asie depuis la Chine du nord jusqu’en Irlande. Sur le continent américain, en Afrique et dans le Pacifique ce sont plutôt des Indigofera qui fournissent l’indigo nécessaire aux teintures ou aux tatouages de courte durée. La guède est une plante bisannuelle, très labile génétiquement, dans laquelle la totalité de la plante contient les précurseurs de l’indigo, la plupart du temps sous forme de glucosides d’indoxyl. La deuxième année une tige se forme avec au bout des fleurs jaunes contenant des colorants non stables. Le producteur d’indigo va donc pendant la première année couper les rosettes de cette espèce de salade ressemblant au plantain (et donc à la gaude). La salade va repousser régulièrement et dans les meilleures conditions climatiques et de sol on peut faire jusqu’à dix coupes la première année. La deuxième année on peut éventuellement faire une coupe ou deux avant la floraison. Les graines seront ramassées soit pour les semer à nouveau soit pour d’autres utilisations. Lorsque la plante contient un maximum de précurseurs de l’indigo, il suffit de couper ou d’écraser les feuilles ou la tige pour voir apparaître la couleur bleue intense de l’indigo. La plante ne peut produire l’indigo elle-même car sa formation implique un milieu très oxydant qui ne peut être obtenu qu’au contact direct de l’oxygène de l’air. L’indigo est un dimère de l’indoxyl contenant donc deux double-noyaux d’indol. L’extraction des précurseurs, puis la formation de pigment indigo implique des réactions enzymatiques très complexes ; le produit obtenu est insoluble. Il faut ensuite que le teinturier réalise une nouvelle réaction enzymatique réductrice pour solubiliser l’indigo sous une forme réduite presque incolore (leuco-indigo). C’est cet indigo réduit qui va teindre en jaune clair la fibre textile sans besoin d’utiliser un mordant. Au contact avec l’air l’indigo réduit s’oxyde pour donner le BERNARD VERHILLE 358 bleu de l’indigo. On pense possible que la teinture à l’indigo ait été déjà connue dans la civilisation de l’Indus, il semble par contre certain que des textiles ont été teints à l’in- digo en zone tropicale (Égypte) et tempérée (Anatolie) dès 2500 av. J.-C. L’étude des textiles teints permet, lors des fouilles archéologiques, d’analyser les colo- rants utilisés et donc de pouvoir dater et situer dans l’espace l’évolution de l’utilisation de plantes tinctoriales. Malheureusement la plupart des morceaux de textile ne sont pas conservés lors des fouilles. Par ailleurs, sur la plupart des tissus les pigments ont disparu. Enfin les techniques d’analyse de ces colorants ne sont arrivées que depuis quelques années à un niveau suffisant. Les textes décrivant les utilisations médicales En ce qui concerne les utilisations médicales des plantes, très peu de restes archéolo- giques permettent d’envisager leur utilisation. Il est un domaine un peu mieux connu, celui de la momification et de la protection dans le temps de ces momies. Nous essaye- rons cependant de tracer les utilisations médicinales de nos plantes tinctoriales pendant l’antiquité grâce aux textes que de grands auteurs grecs ont rédigés. Le personnage central de ce savoir est bien sûr Dioscoride, avec son Peri Hyles Iatrikes (De materia medica) qui sera longtemps la base principale du savoir concernant l’utilisation des plan- tes pour usage médicinal. Je vais donc essayer de suivre la description médicale de l’utilisation de ces plantes ainsi que du plantain (Plantago major) depuis l’époque contemporaine jusqu’au texte grec de Pedanius Dioscoride (40-90 ap. J.-C.). Nous commencerons par le livre du chanoine Paul-Victor Fournier publié en 1943, puis par le livre du docteur Octave Caussin publié en 1907. Ensuite nous étudierons la position de Nicholas Culpeper dans son Complete Herbal, extrait de The English Physitian, An Astrologo-physical discourse of the vulgar herbs of this nation publiés en 1652 et 1653. Nous présenterons ensuite les Commentaires de Dioscoride présentés par le médecin siennois Petrus Andreas Matthiolus (1501-1577). Le plantain est une plante médicinale intéressante car elle a toujours été considérée comme importante depuis les temps les plus anciens jusqu’à aujourd’hui. Elle est souvent comparée avec la gaude ou la guède car la forme de ses feuilles et nombre d’utilisations sont communes. Le chanoine Fournier décrit les effets du plantain, de la gaude et de la garance. Il semble que la guède n’était plus cultivée à l’époque. De son côté le docteur Caussin, évoquant les plantes médicinales de Picardie parle lui du plantain, de la gaude et de la guède mais pas de la uploads/Ingenierie_Lourd/ herbier-tinctorial.pdf

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