Extrait de la publication Extrait de la publication de guérison NOUVELLE REVUE
Extrait de la publication Extrait de la publication de guérison NOUVELLE REVUE DE PSYCHANALYSE Numéro 17, printemps 1978 L'idée ntf © Éditions Gallimard, 1978. TABLE J.-B. Pontalis Une idée incurable. 5 Georges Canguilhem Une pédagogie de la guérison est-elle possible? 13 Norbert Bensaïd Autrement le même. 27 Serge Bonfils L'homme guéri et les avatars de la guérison. 41 Roberte Hamayon Soigner le mort pour guérir le vif. 55 Daniel Widlôcher L'hystérie dépossédée. 73 Michel de M'Uzan La bouche de l'inconscient. 89 Herman Nunberg Du désir de guérison. 99 Masud Khan Frustrer, reconnaître et faire défaut dans la situation analytique. 115 Victor N. Smirnoff Et guérir de plaisir. 139 Jean-Claude Arfouilloux Guérir malgré Freud. 167 Jean-Claude Lavie Guérir de quoi? 187 François Gantheret « Per via di levare. » 201 Hélène Chaigneau Espace de guérison et temps d'une vie. 215 Jean-Michel Labadie Un double défi. 233 Jean Starobinski Le remède dans le mal. 251 Extrait de la publication Extrait de la publication J.-B. Pontalis UNE IDÉE INCURABLE Ce numéro est ambitieux dans son projet mais prudent par son titre. Ambitieux, car le champ des pratiques sociales qu'intéresse l'idée de guérison est indéfini. La médecine est loin de le délimiter. On peut, comme s'y emploient de nombreux auteurs attentifs à repérer les pouvoirs diffus de normalisation, englober sans artifice sous le seul chapitre de la guérison la visée éducative, la fonction de la religion, les prétentions de la politique, la finalité, au moins contemporaine, de la justice, et jusqu'aux effets de l'art comme « purgation » des passions, selon la vieille définition, toujours reprise, dès qu'il s'agit de représentation'. Oui, on peut soutenir qu'est partout impérieux aujourd'hui, et même prévalent, le souci de gué- rir. Ce n'est pas seulement l'hôpital moderne mais l'ensemble de la société qui méri- terait d'être défini, dans l'image idéale qu'elle se donne d'elle-même, comme « machine à guérir ». Lente extinction des religions de la rédemption et du Mal; effacement progressif du Droit, au bénéfice du « besoin de sécurité », et de la peine, au profit de la « rééducation » et de la « réinsertion » sociale; dissolution d'un enseignement dont la structure a longtemps correspondu aux fins recher- chées2. Par toutes les failles ainsi ouvertes, la volonté de guérir, franche ou camouflée, parvient à se glisser au premier plan. « L'âge médical peut commencer », affirmait Knock voici cinquante ans. Nous y sommes. Même ceux qui, aujourd'hui nombreux, dénoncent son emprise la confortent à leur insu. On parle, par exemple, en mimant le jargon qu'on récuse, de maladies « iatrogènes », à savoir induites ou aggravées par la consommation médicale; mais 1. Voir, par exemple, les débats sur les films de violence ou de pornographie. Sont-ils nocifs ou bienfaisants pour la bonne santé du corps social? On en parle comme de médicaments. 2. L'école laïque et obligatoire était école de laïcité et d'obligations; la faute d'orthographe était faute; l'instituteur instituait le citoyen. Les « humanités » l'humanisaient, l'inséraient dans une tradition de culture. L'Université transmettait le savoir universel, avec ses valeurs propres. Le tout s'est appelé Instruction publique puis Éducation nationale. Extrait de la publication L'IDÉE DE GUÉRISON c'est pour nous inviter à faire confiance aux médecins aux pieds nus nos anciens « officiers de santé » ou, tels Sganarelle, promus médecins malgré eux. Ou encore, on nous engage à prendre en charge notre corps, supposé toujours menacé que chacun devienne pour soi « le médecin de soi-même », quitte à multiplier les hypo- condriaques Car la « saine » auto-gestion de la santé cède vite la place à l'auto- soupçon « malsain » de ses défaillances. Il semble décidément qu'on ne puisse critiquer la médecine qu'au nom de plus de médecine une médecine toujours plus présente qui nous informerait à chaque instant, dans un check up incessant, de l'état de notre corps. Knock, là encore « Vous comprenez, ce que je veux, avant tout, c'est que les gens se soignent. » Et « Vous me donnez quelques milliers d'in- dividus neutres, indéterminés. Mon rôle, c'est de les déterminer, de les amener à l'existence médicale. » Aujourd'hui, le but n'est-il pas atteint, dépassé même? C'est l'existence tout entière qui est médicale, assurant ainsi au-delà de ses limites le triomphe de la médecine 1. Un exemple entre mille, pris à dessein dans ce qui prétend vouloir échapper à l'emprise excessive de l'ordre médical. Veut-on « démédicaliser » l'approche des enfants « ces demi-fous que nous tolérons parmi nous », disait Paulhan on les désigne comme symptômes (du couple, de l'inconscient familial). Veut-on « dépé- naliser» la justice, on commence par isoler en entité la délinquance juvénile, comme on parlait naguère de la « crise d'originalité », puis on la traite mesures rééduca- tives, psychothérapiques comme un symptôme (de la société urbaine). Violence, drogue et désespoir? symptômes. Camps et tortures? symptômes. Tout se passe comme si les pouvoirs inquiets, dépossédés de leur légitimité, s'en remettaient au seul langage susceptible de faire l'unanimité, parce que reconnu comme naturel. Vite, Messieurs les docteurs, faites-nous, refaites-nous, une société saine. On sait pourtant où cela mène, ou on devrait le savoir. Mais qui nous guérira de l'amnésie? Il est vrai qu'aujourd'hui, progrès aidant, nos sociétés développées croient pouvoir se passer des recours à l'exorcisme ou au sacrifice du bouc émissaire. De bons mécanismes immunitaires devraient suffire. L'immunologie, science pilote de la politique. Cette invasion du modèle médical, on peut, rétrospectivement, la tenir pour acquise dès l'époque où la médecine s'assigne, au-delà de sa fonction traditionnelle de « secours », la tâche de prévenir le mal et de maintenir la santé, tâche dont le coût social serait, tout compte fait, économiquement moins élevé pour assurer le bon fonctionnement de la machine sociale 2. Et l'on peut considérer une telle mutation comme antérieure à l'avènement et aux progrès de la médecine scientifique. Celle-ci ne fait que fournir ses lettres de noblesse à un projet plus global de prophylaxie et 1. C'est là, on s'en souvient, le sous-titre de la pièce de Jules Romains. 2. Cf. Michel Foucault, « La politique de la santé au xvme siècle », in Les machines à guérir, ouvrage collectif, Institut de l'Environnement, Paris, 1976. UNE IDÉE INCURABLE surtout d'auto-régulation du corps social. Le vieux sens de guérir guérir, c'est garantir trouve enfin sa confirmation objective. J'ai dit que le titre choisi pour ce recueil manifestait aussi notre prudence. Il m'évoque les libellés des leçons universitaires telles que je les ai connues, dans leur charme discret l'idée de Nature, l'idée de Loi, l'idée de Bonheur (toujours neuve.) ou, plus tard, l'idée de Révolution (toujours trahie.). Vous êtes libres de vos énoncés, nous laissaient entendre nos bons maîtres, reconnaissez seulement que l'idée existe, quelles que soient les formes qu'elle revêt. Titrer donc « L'idée de guérison )1, c'est laisser ouvertes bien des possibilités de réponses illusion, peut-être, le voeu de guérir, car on a beau aller jusqu'à « soigner » les morts c'est-à-dire les rendre plus pré- sentables et moins présents' de la mort, on ne guérit pas, on ne se garantit pas; fantasme d'omnipotence qui inquiète quand le souci orgueilleux de guérir vire à l'acharnement, mais qui est déjà discrètement à l'œuvre dès qu'il s'agit de restaurer, de réparer; survivance laïque du thème religieux, et œdipien, du « sauveur »; réalité enfin, incontestable, car toutes les critiques adressées à la médecine ne doivent pas faire méconnaître ce fait que des maladies de plus en plus nombreuses « guérissent », si l'on n'est pas trop exigeant sur le mot et sur la chose. Objection attendue, entendue en quoi un tel tableau concerne-t-il les psycha- nalystes ? Si l'obtention d'une guérison relative est l'exigence absolue du médecin 2, l'idée de guérison serait exclue du champ opératoire de la psychanalyse. La « guérison » viendrait, tout au plus, en « bénéfice de surcroît ». Soit, mais la formule de Lacan, prise à la lettre, est-elle aussi éloignée de la pensée médicale qu'on le croit? Le médecin n'accorde, en effet, que peu de valeur c'est même ce qui le différencie du guérisseur 3 au sentiment subjectif de bien-être que peut éprouver son malade. Tout au plus l'appréciera-t-il comme un élément à prendre en compte parmi d'autres, qui importent bien davantage. Les effets d'un traitement « bien conduit » 4 sont repérables autrement par l'examen, les tests de laboratoire. S'il n'y a plus guère de médecins pour parler de maladies imaginaires, leur méfiance s'accroît quant aux guérisons imaginaires, celles que viendraient attester les seuls dires du patient « Je me sens renaître, Docteur. » Oserai-je dire que les analystes 1. Sur la « thanatopraxie » (technique de conservation des corps), cf. Les cahiers du double, n° 1, automne 1977. 2. Cf. infra l'article du IY Bensaïd, pp. 27-40. 3. Cf. sur ce point les réflexions de Georges Canguilhem, infra, p. 14. • 4. On notera d'ailleurs que Lacan a intitulé l'un de ses textes « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » (mots soulignés par moi). Extrait de uploads/Ingenierie_Lourd/ l-idee-de-guerison.pdf
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- Publié le Fev 09, 2021
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