39 La néologie en amazighe : exigences linguistiques et retombées sociolinguist

39 La néologie en amazighe : exigences linguistiques et retombées sociolinguistiques Meftaha Ameur Centre de l’Aménagement Linguistique, IRCAM La néologie raconte l’histoire d’une société et de sa langue (J. Pruvot et J.-F. Sablayrolles, 2003 : 29) Pour suivre l’évolution de la société, toute langue vivante doit intégrer des mécanismes de néologie propres à créer les nouvelles unités lexicales qu’imposent le progrès des connaissances et les transformations des techniques. Cette dynamique générale donne l’obligation au lexique d’offrir ce que l’on appelle en linguistique des "séries ouvertes" autorisant la création lexicale nécessaire à l’indispensable renouvellement du lexique. Dans tout aménagement linguistique, l’intervention sur le corpus, en l’occurrence ici le lexique, n’est pas le seul enjeu, la question du statut, requiert également une importance capitale. Dans la présente contribution, nous nous intéressons à la mise à niveau de la langue amazighe et à l’enrichissement de son lexique par l’entremise de la néologie (par création ou par emprunt). Après un état des lieux sur la néologie en amazighe qui met en relief ses caractéristiques générales, l’accent sera mis sur l’évolution qualitative des travaux. Mais l’amélioration constatée se situe au niveau de la méthodologie de travail. Le véritable défi à relever est celui de la diffusion et de l’implantation des néologismes. Pour cela, des moyens d’accompagnement sont indispensables. Seule une bonne articulation des volets linguistique et sociolinguistique peut garantir le succès de l’entreprise néologique. 40 Néologie/néologisme Il n’est pas sans intérêt de fixer ce que l’on entend par néologie. Concept plurivalent, difficile à cerner (Sablayrolles, 2000), nous pouvons relever différentes définitions qui se recoupent, mais se différencient de par l’aspect le plus mis en relief (caractère novateur du signifiant, du signifié ou des deux à la fois). Parallèlement à la définition du concept, les typologies proposées, c’est-à-dire les procédés de création, pour le lexique et plus particulièrement pour la néologie sont nombreuses et diverses. Le classement le plus fréquemment proposé est la répartition en néologie formelle, néologie sémantique et emprunt. Parmi, la panoplie de définitions, nous retenons ici celle fournie par le Dictionnaire de linguistique de Mounin, empruntée à Riffaterre (1974 : 229-230) : « par néologisme, je comprends le mot nouveau, le sens nouveau d’un vocable déjà existant, mais aussi l’emprunt […] ; j’y joins aussi les mots qui après avoir existé sont morts et paraissent neufs quand ils renaissent de l’oubli […]. L’emploi du néologisme se dit néologie ». Cette définition met en relief aussi bien la néologie formelle que la néologie sémantique. L’emprunt ainsi que les mots réactualisés sont également considérés comme des néologismes. Mais ce que ne dit pas la définition, et qu’il faut préciser, c’est que le caractère de nouveauté de l’emprunt réside dans l’accueil de l’unité lexicale étrangère et non pas dans sa création puisqu’il s’agit d’un apport exogène. Caractéristiques générales de la néologie en amazighe A l’issue de l’analyse de différents corpus relatifs à la créativité lexicale (glossaires, vocabulaires et textes) sur la décennie 1995-2005 (Ameur, 2007), nous avons pu cerner les caractéristiques générales de la néologie en amazighe que nous pouvons résumer comme suit. 1. De par sa motivation, la créativité lexicale en amazighe était dictée par une réaction à l’emprunt et une volonté d’épuration de la langue ; il s’agissait d’une néologie militante. 2. Elle s’est caractérisée, pendant les années 80, par l’influence de l’Amawal (1980). Mais un tournant s’est opéré depuis la parution du premier tome du dictionnaire de Chafik (1990). Cet outil lexicographique est devenu la référence en matière de néologie, du moins au Maroc. 41 3. Le touareg est un pourvoyeur de néologismes par excellence. L’existence du dictionnaire en (quatre tomes) touareg-français de Foucauld et celui de Cortade et Mammeri français-touareg en a fait un outil incontournable pour les néologues. L’influence du touareg ne s’est pas limitée au domaine du lexique, elle s’est étendue à la morphologie. C’est ainsi que des schèmes de nom d’agent, par exemple, spécifiques au touareg se retrouvent dans les dialectes nord (Ameur, 2010). 4. D’un point de vue linguistique, les confectionneurs de néologismes n’avaient pas toujours un savoir métalinguistique suffisant leur permettant de forger des unités conformes au système de la langue ; d’où un manque de systématicité dans les procédés de morphogenèse lexicale. 5. Sur le plan de la méthode, on peut également déplorer l’absence de signalisation des sources documentaires exploitées et des dialectes ou parlers explorés. 6. Au niveau de la réception, et non plus de la production, force est de constater que la néologie amazighe reste une néologie de discours et non une néologie de langue. Les unités lexicales créées ne jouissent pas d’une grande opportunité de reprise et donc n’arrivent pas à se diffuser, encore moins à s’implanter et être appropriées par les locuteurs. Elles restent l’apanage d’un cercle réduit de « personnes éclairées » : militants du tissu associatif et créateurs. 7. A un niveau supradialectal, on note le manque de coordination et de concertation entre les différents confectionneurs de néologismes. Ceci est d’autant plus regrettable que pour les technolectes, où le terme est idéalement monosémique, on se retrouve avec plusieurs termes concurrents pour le même concept. Voici ainsi résumées quelques tendances lourdes de la néologie amazighe. Mais nous constatons une amélioration assez nette depuis que des travaux de terminologie sont élaborés dans des cadres académiques (Terminologie linguistique de Berkaï) et par des équipes (Terminologie grammaticale, Vocabulaire des médias, entre autres). L’évaluation linguistique des néologismes en amazighe montre que le fait d’être locuteur natif est une condition nécessaire, mais non suffisante pour mener avec efficacité un travail de confection d’unités lexicales qui exige une grande maîtrise du fonctionnement morpho- syntaxique de la langue. L’expérience nous a enseigné qu’un travail 42 de terminologie, et à plus forte raison de néologie, émanant d’un groupe de chercheurs a plus de teneur et de consistance qu’un travail individuel. Le premier bénéficie du feed-back nécessaire et de la multiplicité des avis qui fait toujours progresser la réflexion vers, sinon la meilleure des solutions, du moins la moins mauvaise d’entre elles qui débouchera sur une proposition collective. Mounin (1974 : XIX), dans son introduction, consacrée au problème terminologique, précise que même dans un travail de commissions ou de comités, c’est le comportement de chaque chercheur qui est fondamental. Il écrit à ce propos « le problème terminologique est d’abord, au départ, un problème d’hygiène intellectuelle et scientifique individuelle, un problème d’attitude épistémologique. Il fait partie des règles les plus essentielles de la constitution de la connaissance ». Le fruit du travail des équipes, où le linguiste travaille aux côtés du spécialiste, bénéficie aussi de l’évaluation de personnes externes qui ont le recul nécessaire pour la validation des créations lexicales. les néologues ont pour obligation le maintien du lien nécessaire avec les usagers de la langue et éviter le confort que procure le travail en serre chaude ; pour cela des personnes ressources reconnues pour leur bonne maîtrise de la langue sont ciblées pour des consultations lors de recherches ponctuelles. Néologie spontanée / néologie planifiée On distingue la néologie spontanée de la néologie planifiée. La première émane des locuteurs de la langue qui innovent de façon naturelle dans des actes de communication. Cette innovation peut répondre à des besoins de dénomination, il peut s’agir aussi d’une néologie stylistique : néologie de connivence ou néologie ludique, etc. (Sabayrolles, 2000). Les nouvelles unités créées dans de tels contextes ont de grandes chances de reprise par le locuteur-auteur, et par ricochet, par son entourage immédiat qui, à son tour peut l’étendre de façon plus élargie. Le contexte d’énonciation ainsi que le code commun entre les différents locuteurs garantissent à la néologie in vivo une certaine motivation qui contribue dans une large mesure à son implantation. La néologie planifiée et institutionnalisée est une intervention délibérée sur la langue pour dénommer des réalités nouvelles, elle concerne essentiellement les technolectes. Mais même à ce niveau, maintenir le lien nécessaire avec les usagers est une 43 donnée avec laquelle il faut compter dans le but de la viabilité des néologismes. Nous avons décliné ailleurs (Ameur, 2011 : 29) les préalables à l’entreprise néologique qui sont : l’identification des besoins en matière terminologique, la confirmation des besoins réels par des enquêtes, la hiérarchisation des secteurs qui demandent une intervention prioritaire. Nous avons proposé des grilles d’évaluation des néologismes à même d’assurer la validité linguistique des termes forgés. Ces grilles sont fondées sur des paramètres linguistiques, mais aussi sur des paramètres extralinguistiques tels que l’acceptabilité et l’usage. L’accent a été mis sur le critère de pan-berbérité pour la confection des différentes terminologies afin de les unifier. Mais la pan-berbérité reste un concept flou qu’il faut fixer de façon conventionnelle. Sur le plan pratique, la pan-berbérité prend en considération les parlers pour lesquels il existe des outils lexicographiques. D’où la nécessité de travaux de lexicographie sur des parlers peu ou non encore étudiés. Il nous paraît tout à fait opportun de distinguer, à la suite de J.- Cl. Boulanger (1984), la néologie planifiée de la néologie spontanée ou ce que L.-J. Calvet (1974) appelle respectivement la néologie in vitro et uploads/Ingenierie_Lourd/ m-ameur-la-neologie-en-amazighe-exigences-linguistiques-et-retombees-sociolinguistiques 1 .pdf

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