La lettre d’Égypte La lettre d’Égypte L’affaire de la « butte publicitaire » :

La lettre d’Égypte La lettre d’Égypte L’affaire de la « butte publicitaire » : les enseignements de la jurisprudence récente de la Cour économique du Caire en matière de droit d’auteur Yasser Omar Amine* Conseiller en propriété industrielle (Le Caire), Formateur agréé par l’OMPI auprès de l’Académie égyptienne de la propriété intellectuelle Diplômé de la Faculté de droit de l’Université Jean Moulin (Lyon III), DES (propriété intellectuelle) de la Faculté de droit de l’Université de Helwan (Le Caire) Au cours des quatre dernières années, la jurisprudence égyptienne en matière de droit d’auteur s’est enrichie d’une série de décisions impor- tantes rendues par la Cour économique du Caire, instituée par la loi no 120 de 20081, dans une affaire symbolique intitulée « la butte publicitaire » qui mérite sans aucun doute de retenir l’attention en raison de l’objet sau- grenu sur lequel le droit d’auteur est revendiqué. En effet, les décisions jurisprudentielles relatives à la saga judiciaire de l’éventuelle protection de la butte publicitaire par le droit d’auteur ont été particulièrement nom- breuses et continuent de marquer la jurisprudence égyptienne et ne cessent d’augmenter dans la mesure où la société de commerce et de publicité (ci-­ après « Miga »), qui est à l’origine de la butte publicitaire, a 1 Loi no 120 de l’année 2008 portant promulgation de la loi relative à la création des Cours économiques, J.O. no 21 « suite » du 22 mai 2008 (ci-­ après « Loi no 120 de 2008 »). Les Cours économiques sont désormais compétentes de façon exclusive pour connaître des litiges et des affaires relatives à l’application du Code égyptien de la propriété intel- lectuelle (id., art. 6) depuis la promulgation de la Loi no 120 de 2008. Voir à ce propos : Yasser Omar Amine, « Compétence des Cours économiques égyptiennes en matière de propriété intellectuelle », (2011) 6 BADCI 16. 659 * Les décisions reproduites dans la présente étude ont été traduites par nos propres soins. 660 (2014) 48 RJTUM 659 intenté de nombreux procès contre maintes grandes sociétés (Coca-­ Cola, Arma Food Industries, Sony Ericsson, Arab Real Estate Company, Telecom Egypt, Al-­ Futtaim Real Estate, Jotun, Groupe Seif Pharmacies, Juhayna Food Industries, Chipsy For Food Industries et Adidas Corporation). Puisque la question de la protection de butte publicitaire par le droit d’auteur fait l’objet d’un vif débat jurisprudentiel à l’heure actuelle, il est indispensable de s’interroger sur la portée des décisions et la manière de les apprécier car les enjeux juridiques de ce contentieux sont d’une impor- tance majeure dans la mesure où la présente affaire semble constituer un premier pas jurisprudentiel vers la dénaturation de la conception égyp- tienne du droit d’auteur, soit la conception personnaliste, en protégeant n’importe quels « objets inutiles2 » ainsi que des « simples idées ». En effet, il s’avère de l’analyse de ces décisions rendues dans la pré- sente affaire qu’elles s’inscrivent malheureusement dans une tendance révolutionnaire d’un Nouveau droit d’auteur égyptien tourmenté. En d’autres termes, il s’agit d’un bouquet de décisions contra legem les plus surprenantes et radicales de l’histoire du droit d’auteur en Égypte dans lesquelles la Cour économique du Caire ne cesse pas de ruiner et de violer, en effet, les principes directeurs les plus élémentaires du droit d’auteur égyptien qui semblaient bien établis. A cet égard, il convient de remarquer que ces décisions s’inscrivent dans une lignée de décisions de la Cour éco- nomique du Caire qui traduisent une nouvelle tendance de la jurispru- dence qui ne s’inscrit plus désormais dans la conception égyptienne personnaliste du droit d’auteur très protectrice de l’intérêt des créateurs 2 En France, plusieurs spécialistes récusent à juste titre le trop-­ plein de la propriété litté- raire et artistique. Notamment le professeur André Lucas qui souligne que : « Si l’on veut que le droit d’auteur garde toute sa légitimité, ce qui est bien nécessaire pour résister aux innombrables et sévères assauts dont il est l’objet par les temps qui courent, si l’on veut que la barque garde le cap, il faut éviter de la charger d’objets inutiles » (André Lucas et Pierre Sirinelli, « Droit d’auteur et droits voisins », P.I. 2004.12.778, cité par J.-M. Bruguière « Le paparazzi n’a pas de droit d’auteur sur ses photogra- phies », note sous Paris, 5 déc. 2007, D. 2008. p. 461). Par ailleurs, le professeur Lucas ajoute que : « Par un effet d’entraînement, on tend de plus en plus à faire du droit d’auteur le mode de protection de droit commun de toutes les créations intellectuelles qui ne peuvent être appropriées par d’autres voies. […] Il faut veiller à ne pas dénatu- rer le droit d’auteur en l’appliquant de manière systématique dans des hypothèses marginales, ce qui oblige à en gommer la spécificité » (André Lucas, « Droit d’auteur, information et entreprise », J.C.P. éd. Entreprise et Affaires 1992.7.suppl. no 6). La lettre d’Égypte 661 mais qui sont plutôt en rupture avec les principes traditionnels du droit d’auteur. Dans cet esprit, il nous a paru indispensable d’examiner cette juris- prudence abondante à travers quelques réflexions qui nous amènent à nous interroger a priori sur l’avenir du droit d’auteur égyptien. Nous sommes inquiets de la tendance de la jurisprudence de la Cour écono- mique du Caire en matière de qualification des œuvres sur lesquelles elle se prononce car la véritable atteinte au droit d’auteur est portée par les juges du fond à la conception elle-­ même. Cette tendance n’est pas sans évoquer la qualification récente et critiquable de l’œuvre audiovisuelle en tant qu’une œuvre collective ! Désormais, les buttes publicitaires n’arrêtent pas d’envahir le droit d’auteur égyptien. Ainsi, plusieurs interrogations s’imposent à l’aune de l’affaire de « la butte publicitaire ». Quelle est la place de l’auteur dans le système égyptien ? Les simples idées et concepts sont-­ ils désormais proté- gés par le droit d’auteur ? Les deux termes « idée » et « œuvre » sont-­ ils pris pour des synonymes ? Le dépôt est-­ il une condition de la protection des idées, des méthodes, etc ? En d’autres termes, le dépôt vient-­ il se substituer à la condition de forme ? Néanmoins avant de répondre à ces questions et avant de procéder à l’analyse de cette jurisprudence qui suscite de nombreuses polémiques, rappelons brièvement les faits qui sont quasi identique dans les six affaires avec quelques différences dues à l’activité de chaque société. A la fin de l’année 2010, la Cour économique du Caire a eu l’occasion de trancher une affaire très singulière à propos de l’éventuelle protection d’une butte (tabah, en arabe) publicitaire par le droit d’auteur égyptien3. A vrai dire, l’objet de la protection portait sur une simple idée publicitaire et non pas sur une œuvre au sens du droit d’auteur. En l’espèce, M. Tarek Mohamed Wafaa Abdel-­ Moati Hegazy qui possédait une société de com- merce et de publicité (dénommée « Miga ») avait réussi à enregistrer une idée créative (originale), selon la formulation maladroite des juges du 3 Tarek M. Wafaa Abdel-­ Moati Hegazy (Sté Miga) c. Coca-­ cola et al. (inédit), aff. no 3099/2009, 26 déc. 2010, Cour économique du Caire, 4e ch. Voir à ce propos pour un premier commentaire : Yasser Omar Amine, « Une “butte publicitaire” est-­ elle consi- dérée comme une œuvre protégeable par le droit d’auteur en Égypte ? », R.L.D.I. 2011.77.111, no 2573. 662 (2014) 48 RJTUM 659 fond, dans le domaine de la publicité auprès du ministère de la Culture (plus précisément à l’Administration des droits d’auteur), le 17 juillet 2006 sous le numéro de registre 25614. Le résumé de cette idée créative (sic5) consistait en une « butte verte artificielle utilisée comme intermédiaire de publicité dans lequel est représenté le message publicitaire de diverses épaisseurs et divers genres » intitulé « une butte publicitaire » selon la for- mule employée par le demandeur. Il prétendait, à tort, détenir un monopole d’exploitation sur ce genre de plateforme publicitaire. Ainsi, personne ne pouvait l’exploiter, dit-­ il, sans son autorisation écrite conformément aux dispositions du Code égyptien de la propriété intellectuelle (ci-­ après « CEPI »)6 et en vertu d’une annonce publiée au quotidien Al-­ Ahram en date du 8 juin 2006, par laquelle il avait mis en garde le public afin de ne pas exploiter cette « idée publicitaire » sans son consentement. Il avait conclu un contrat avec la société Pepsi en août 2006 portant sur cette butte publicitaire aux termes duquel deux publicités y seront affichées : la première sur la route de l’Égypte – Alexandrie du désert au 169e km, et la seconde sur ladite route au 32e km. Par la suite, et après avoir découvert que plusieurs sociétés ont indû- ment repris cette idée enregistrée sans solliciter son autorisation en met- tant en place des publicités pour l’exploitation de leurs produits qu’elles commercialisent sur la plateforme de la butte verte dans beaucoup d’en- droits sur la route de l’Égypte – Alexandrie du désert ainsi que dans d’autres places (par exemple la façade d’un bâtiment), il n’a guère uploads/Litterature/ 07-la-lettre-d-egypte.pdf

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