Que Vlo-Ve? Série 1 No 29-30 juillet-octobre 1981 Actes du colloque de Stavelot

Que Vlo-Ve? Série 1 No 29-30 juillet-octobre 1981 Actes du colloque de Stavelot 1977 pages 1-19 Du Poeme symboliste au calligramme Lettre-Ocean et le defoulement du topologique LONGREEE © DRESAT DU POEME SYMBOLISTE AU CALLIGRAMME LETTRE-OCEAN ET LE DEFOULEMENT DU TOPOLOGIQUE par Georges H.F. LONGREE Lorsque, en 1889, Albert Mockel (1) rend compte des aspects de la poétique mallarméenne qui attentent à la «clarté française», c'est à l'ellipse, à l'anacoluthe qu'il consacre son attention. Aux articulations usuelles et aux jalons intermédiaires, ces figures substituent en effet des lacunes, des incertitudes, des courts-circuits, c'est-à-dire une discontinuité qui, en ruinant le successif, abolit une condition d'intelligibilité du discours logique. Pour dégager l'originalité de la démarche du maître, sa sensibilité à la complexité des phénomènes et suggérer le mode de fonctionnement d'une pensée qui s'exprime spontanément par la métaphore, Mockel utilise lui-même une double comparaison physiologique. Sous prétexte de clarifier, de paraphraser, il est inexcusable, affirme le critique, de négliger le rôle des idées incidentes et accessoires, qui sont un peu «comme les papilles tendues ou rétractées des neurones par quoi s'unissent les cellules de notre système nerveux». Le discours mallarméen ne ressortit plus aux modèles des logiciens où la lecture implique le respect d'un ordre rectiligne, orienté du simple au complexe, où la conscience se voit requise de passer par tous les degrés d'une séquence qui actualise «la linéarité de la parole». L'accord des périodes s'accomplit «selon le cours des idées plutôt que selon le cours des mots» et cette logique commande une «syntaxe synthétique» que peut représenter, après l'image des synapses, celle de la «luxuriance touffue d'une prodigieuse chevelure». L'évocation du mode d'être relationnel des idées entraîne celle de leur «flot multiple et mouvant», puis, inévitablement, la référence au modèle symphonique. Un art du temps comme la musique n'abolit pourtant pas le linéaire et demeure soumis au successif (2). Impuissant à briser ce qui suggère la notion de «fil» sonore, le compositeur crée tout au plus l'illusion de le dénouer et de le reprendre en laissant les thèmes se combattre et se soutenir alternativement, sous l'aspect que lui [1] impose la partition, la musique ne peut donner l'image d'un discours qui répudie la continuité rationnelle des enchaînements et l'ordre linéaire des signifiants. Etirées dans la filière de la portée, les notes n'ont pas comme les neurones ou les cheveux touffus le réseau comme principe d'organisation. Mais que Mockel évoque le schème de propagation des ondes sonores à travers l'espace et il possède un modèle capable à la fois de représenter la syntaxe synthétique de Mallarmé et les difficultés qu'elle offre au lecteur «ingénu». Tout se passe à lire «Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui...» comme si nous nous trouvions à proximité d'une cloche trop puissante. Méditer sur le texte, s'éloigner du carillon produit un effet analogue : les implexes, les harmoniques, cessent de masquer l'idée ou le son respectif qui les définit. Nous évitons ainsi de leur accorder une attention maladroite et nous pouvons les classer à leur rang. En même temps, nous demeurons attentifs à la subtilité de leurs rapports, nous sommes à même de reconnaître «l'harmonie dans la complexité» qui déconcerte les logiciens trop épris d'analyse et de simplification. L'image des systèmes nerveux et capillaire, la référence à la «trame infinie qui entrecroise ses fils dans l'âme du contemplateur» et tisse des «rapports mystérieux» entre les choses conduisent à une métaphore qui ne semble emprunter son registre à la musique que pour mieux Que Vlo-Ve? Série 1 No 29-30 juillet-octobre 1981 Actes du colloque de Stavelot 1977 pages 1-19 Du Poeme symboliste au calligramme Lettre-Ocean et le defoulement du topologique LONGREEE © DRESAT dissimuler ce qu'elle cesse de lui devoir. En un glissement dont Mockel ne réalise pas les conséquences, le modèle symphonique fait place à un schème topologique, le carillon propose innocemment le jeu de ses harmoniques et de ses fondamentales comme pour détourner des facteurs qui déterminent la valeur illustrative du schème. Celle-ci tient d'une part à des rapports de position, à des relations purement spatiales et d'autre part à la possibilité de représentation graphique d'un phénomène acoustique. Explicitement, Mockel attire l'attention sur la situation du sujet percevant, sur le recul qu'il prend par rapport à la source du message. Implicitement, il présuppose un savoir qui permet d'évoquer le diagramme convenu par lequel se trouve visualisé le mode de diffusion des ondes sonores dans l'étendue. Presque à son insu, le critique symboliste s'oriente non plus du côté de l'auditif, mais du côté du visuel pour représenter la nature relationnelle et multi-directionnelle du vers mallarméen. Ce glissement sur lequel nous avons encore beaucoup à dire s'accompagne d'une réticence à développer la métaphore de l'expansion des ondes et à nommer expressément le phénomène du «rayonnement». Mockel n'évoque pas le modèle de l'étoile ou les cercles concentriques qui [2] s'élargissent à partir d'un même foyer. Il ne mentionne pas le mouvement ou l'interférence des ondes pour illustrer le jeu des harmoniques et des fondamentales. Tout le porte cependant à reconnaître et à identifier le diagramme qu'il postule en achevant de suggérer les caractéristiques auxquelles doit de paraître obscure une poésie soustraite aux mécanismes de la raison discursive. Stéphane Mallarmé jugea que le poète doit se placer au centre des idées et des images qu'il a groupées par la réflexion; non point les élucider les unes après les autres, mais les unes par les autres en les resserrant étroitement, ainsi le sens jaillit de leur contact ou de leur interpénétration... Placé au centre de ces idées et de ces images il les envisage d'ensemble, il les voit toutes à la fois et jusque dans leurs détails. (3) Quoique le cercle et même le schème spatial de l'irradiation présagent plutôt qu'ils ne permettent vraiment l'accès à une pensée symbolique multi-dimensionnelle, Mockel renvoie à ces figures afin de suggérer la possibilité d'accords notionnels s'effectuant en dehors de la progression ordonnée et fortement articulée du syllogisme. L'image du centre et, par implica- tion, celle des rayons et de la circonférence relèvent de la forme géométrique la plus apte, selon Paul Klee (4), à figurer «les relations mutuelles», à dégager certains rapports topologiques que n'autorisent pas «les longues chaînes de raisons» spécifiées par Descartes. Il peut s'agir de chiasmes visuels, d'oppositions diamétrales, d'effets de symétrie rapportables en degrés, de possibilités de connexions et de positions dont l'analogue au niveau de la syntaxe poétique serait, selon Mockel, l'enchevêtrement et la juxtaposition des motifs (le pantoum) et le jeu de figures comme l'ellipse, la synchise, l'apposition, la syllepse, l'anacoluthe. Au mode d'être spatial du poème correspond un «point de vue» dont nous avons précédemment noté l'importance. Le réseau des neurones, la chevelure touffue commandent, en niant le linéaire, une appréhension globale. Le texte comme ellipse généralisée, les effets du discontinu, «l'harmonie dans la complexité», doivent être perçus synoptiquement. C'est ce que Mockel signifie en associant 1'élucidation du message au recul pris par rapport au carillon et, figurativement, à la distance que la réflexion permet d'assumer vis-à-vis des vers. Nous sommes invités à distinguer les harmoniques et les fondamentales d'une cloche comme s'il s'agissait d'un plan ou d'un tableau dont nous devrions nous éloigner pour reconnaître l'architectonique. La caution de la métaphore musicale est d'ailleurs répudiée et le modèle topologique ouvertement 2 Que Vlo-Ve? Série 1 No 29-30 juillet-octobre 1981 Actes du colloque de Stavelot 1977 pages 1-19 Du Poeme symboliste au calligramme Lettre-Ocean et le defoulement du topologique LONGREEE © DRESAT [3] exploité lorsque Mockel substitue la perspective de l'auteur à celle du lecteur. Il nous montre Mallarmé capable d'ordonner ses représentations mentales et d'en percevoir simultanément toutes les incidences à partir du foyer qu'il occupe dans l'espace. Source et centre d'un schème expansif, le poète fixe sur un cercle la position respective de ses idées pour prendre la mesure des rapports qu'elles sont susceptibles d'entretenir. En subordonnant la syntaxe à ses représentations mentales, Mallarmé conçoit comme les peintres une oeuvre qui possède un ordre intrinsèque, obéit à des lois spécifiques et s'affirme en tant que système formel autonome. Ce n'est donc pas un hasard si Mockel retrouve pour qualifier la logique du maître la notion de «synthèse» telle qu'elle est quelquefois définie dans le discours de la critique picturale. Le poème apparaît synthétique dans la mesure où il manifeste une déformation subjective, attire l'attention sur sa cohérence interne et sur sa valeur ordonnatrice mais aussi où le point de vue qui l'engendre illustre deux acceptions du terme relevées au passage chez Baudelaire (5) («tout de suite», «tout à la fois») et chez Aurier (toutes les idées générales perçues par le Moi donné). Le discours du théoricien symboliste rejoint ainsi celui des critiques d'art et suggère l'analogie de spéculations portant sur la nature de la syntaxe mallarméenne et de la peinture à la fin du siècle. Il révèle surtout que la poésie dépend pour sa représentation d'un langage qui n'emprunte plus son registre à la musique mais à la topologie et plus précisément au schème de la diffusion des ondes. Qu'il porte sur les sons uploads/Litterature/ 1-29-30-1-19-du-poeme-symboliste-au-calligramme-lettre-ocean-et-le-defoulement-du-topologique-longree.pdf

  • 16
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager