SBOBNtK PRACI FILOZOFICKE FAKULTY BRNSNSKË UNTVERZITY STUDIA MINORA FACTXLTATTS
SBOBNtK PRACI FILOZOFICKE FAKULTY BRNSNSKË UNTVERZITY STUDIA MINORA FACTXLTATTS PHItOSOPHICAE UNIVEHSITATIS BRUNZNSIS L 13, 1992 (ERB XXII) PETR KYLOUSEK L A M Y T H O P O Ï E S I S DE M I C H E L TOURNIER «La logique de mon discours impliquerait au contraire que la fabulation précède la mythopoïesis : la valeur mythique est ce qu'on finit par ren- contrer pouvru que l'on continue obstinément à jouer avec les fonctions narratives.» Italo Calvino 1 Qu'il y ait entre Tournier et le mythe un pacte signé de longue date, voilà un fait universellement reconnu aussi bien par l'auteur que par la critique littéraire. Pour Tournier, «le mythe est une histoire fondamen- tale», «une histoire que tout le monde connaît déjà». 2 Et Serge Koster, l'un des meilleurs critiques se consacrant à Tournier, constate, avec beau- coup de pénétration, que «le recours au mythe (paradoxalement combiné avec l'héritage Goncourt)»- forme le fondement ontologique de l'oeuvre de Tournier et l'absout par là «du crime triple de gratuité, d'arbitraire et de contigence», 3 affres qui, depuis Flaubert, ne cessent de tourmenter les écrivains. Bien sûr, Michel Tournier n'est ni le premier, ni le seul auteur mo- derne à faire parler de mythe à son sujet, ni à pratiquer une écriture ou réécriture mythologiques. Qu'il nous soit permis de mentionner, avec Gerda Zeltner, Julien Gracq (Le Rivage des Syrtes), Albert Camus (La Peste), Jean Giraudoux (Suzanne et le Pacifique), Jean Cocteau (Les Enfants Terribles), ou un Michel Butor dont La Modification s'attire l'étiquette de réalisme mythologique. 4 Ceci en guise d'exemple seulement, car la liste pourrait s'allonger encore. Toutefois, Michel Tournier nous semble constituer un cas à part. En effet, tout lecteur de ses romans se rend vite compte q,ue chez lui la dimension mythologique, loin d'être une contingence, représente un élé- 1 Italo C a l v i n o , «La combinatoire et le mythe dans l'art du récit», in Esprit, X X X I X , 1971, n° 402, p. 682. 2 Michel T o u r n i e r , Le vent Paraclet, Paris, Gallimard 1977, col. Folio, pp. 188 sq. 3 Serge K o s t e r , «Éléments de tourniérologie: en suivant Gaspard, Melchior et Balthazar», in Sud, XVI, 1986, n° 61, p. 37. * Gerda Z e l t n e r , La grande aventure du roman français au XX e siècle, Paris, Gonthier 1967, pp. 134, 137, 153 sq. Michel L e i r i s , «Le Réalisme mythologique de Michel Butor», in Critique, n° 129, 1958, pp. 99 sqq. 20 PETR KYLOUSEK ment essentiel de son art de romancier et qu'elle ne se laisse pas ramener ni à l'imaginaire collectif ou individuel, ni à l'alchimie bachelardienne des images archétypales, ni à une idéologie consciente ou inconsciente. 5 Bref, pour être aussi une transtextualité (historique, culturelle, cultuelle, littéraire, archétypale — individuelle ou collective), pour être aussi une lecture symbolique d'un récit — à la façon de La Peste de Camus —, la mythologie tournérienne ne s'y réduit pas. Car le mythe en tant que récit n'est pas seulement une affaire de lecture «double» (textuelle et au figuré), donc d'allégories ou de symbo- les, ce n'est pas non plus une question de renvois à notre imaginaire arché- typal, c'est aussi une cohésion de valeurs à l'intérieur d'un cadre sacral, culturel ou cultuel: donc un sens qui s'inscrit dans un système, une struc- ture. Michel Tournier a sans doute pu trouver ce fait souligné chez ses deux grands maîtres, à savoir dans les analyses structurales de mythes de Claude Lévi-Strauss et chez Denis de Rougemont qui, lui, parle de la nécessité pour -«un vrai mythe» de se référer à son «cadre sacral». 6 Ce- pendant les variations tournériennes sur des thèmes mythologiques s'in- sèrent dans une situation culturelle en quelque sorte opposée à celle que connurent les poètes de l'époque hellénistique. Témoin Callimaque qui «sans même qu'il le sache, [. ..] doit se plier aux règles de ce jeu d'asso- ciations, d'oppositions, d'homologies que la série des versions antérieures a mises en oeuvre» et qui, pour rester mythographe, est obligé de se conformer à «cet espace mental, structuré et ordonné, que l'analyse d'un mythe dans la totalité de ses versions [...] doit permettre d'explorer.» 7 Or il est clair que le mythographe du 20 e siècle se trouve dans une situation bien différente. Afin de les fonder ontologiquement, Tournier est forcé de créer l'espace mythologique de ses romans, autrement dit de construire ce cadre sacral sans lequel le récit se réduirait à un simple jeu d'intertextualités ou d'images archétypales isolées. Par conséquent, chez Tournier, le mythe est en premier lieu une affaire de construction et de structuration du texte. Ce n'est donc pas un hasard si François Nourrissier se permet de dé- plorer, à propos du Roi des Aulnes, «une folie des «correspondances» qui frise le tour de passe-passe psychologique». 8 Il peut s'agir d'un défaut, bien évidemment, mais à notre avis, c'est avant tout une nécessité struc- turale. Pour avoir été souvent signalée dans ses différents aspects, 9 cette né- 5 Cf. la doxa de Roland B a r t h e s , «Changer l'objet lui-même»-, in Esprit, XXXIX, 1971, n° 402, pp. 613—616. Cf. Michel Z é r a f f a, Roman et société, Paris, P.U.F. 1971. c Denis de R o u g e m o n t , L'Amour et l'Occident, Paris, 10/18 1962, p. 197. 7 Jean-Pierre V e r a n n t, Mythe et religion en Grèce ancienne, Paris, Seuil 1990, p. 36. 8 François N o u r r i s s i e r , «Le Roi des Aulnes»-, in L'Actualité, 1er novembre 1970, p. 4. 3 Serge K o s t e r , Michel Tournier, Paris, Henri Veyrier 1986. Ariette Bouloumié, Michel Tournier, le roman mythologique, suivi de questions à M. Tournier, Paris, José Corti 1988. LA MYTHOPOÏESIS DE M. TOURNIER 21 cessité structurale n'a pas souvent été examinée, à notre connaissance, de façon systématique. Or, nous nous proposons justement de montrer que la création d'un monde mythologique est surtout un travail de con- struction allant de la sémantique du mot et des procédés de composition à l'architecture d'ensemble. Ce faisant nous allons circonscrire notre analyse aux deux premiers romans de Michel Tournier Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967) et Le Roi des Aulnes (1970), 10 car c'est là que nous voyons l'essentiel de son travail de mythographe: ce sont ces deux romans qui, plus que tous les autres, méritent le nom de «somme mythologique romanesque» 11 et qui étendent leur aura — telle une grille de déchiffrement mythologique — à ses romans et contes ultérieurs. Pourquoi donc les textes de Tournier sont-ils perçus comme mytholo- giques? Quels sont les mécanismes qui les fondent? Quelles sont les spé- cificités des textes tournériens qualifiés pourtant, par l'auteur et par les critiques, comme tout à fait -«classiques»? Voilà les questions auxquelles nous tâcherons de répondre tout en espé- rant que nos réponses, loin de pouvoir prétendre à l'exhaustivité, auront au moins la valeur d'une autre approche possible à l'oeuvre de Tournier. U N E P O L Y S É M I E O R I E N T E E Si les textes tournériens apparaissent comme -«transparents» (autre- ment dit réalistes) quant à leur fonction esthétique, il n'en est pas de même pour leur fonction référentielle qui oppose au lecteur une certaine opacité l'incitant ainsi à un effort d'interprétation et de déchiffrement et l'introduisant par là dans un univers où le sens se multiplie jusqu'à créer un tissu de valeurs enchevêtrées, parallèles, superposées. L'imagi- nation tournérienne vise moins à une poétisation du référentiel qu'à la multiplication des valeurs sémantiques dont elle peut le charger. Les récits tournériens sont polysémiques, mais c'est une polysémie orientée. «Tout ce qui passe est promu à la dignité d'expression, tout ce qui se passe est promu à la dignité de signification. Tout est symbole ou para- bole.» Ces paroles de Claudel, placées en épigraphe au 3 Ç chapitre du Rot des Aulnes (p. 248), résument parfaitement l'essentiel de la création du mythe tournérien. Cependant pour ce faire, il faut d'abord constituer un cadre séman- tique dans lequel les valeurs mythologiques puissent s'inscrire. Les par- ties introductives des romans de Tournier sont révélatrices à ce propos. Dans Vendredi l'auteur nous met en présence d'un énigmatique capitaine 1 0 Michel T o u r n i e r , Vendredi ou les limbes du Pacifique, Paris, Gallimard 1967; Le Roi des Aulnes, Paris, Gallimard 1970. Nos renvois, qui se réfèrent à la collection Folio, seront signalés respectivement par V et RA. 1 1 Le terme est de Bruno V e r c i e r et de Jacques L e c a r m e , La littérature en France depuis 1968, Paris, Bordas 1982, p. 69 — à propos des Météores. 22 PETR KYLOUSEK Van Deyssel qui, à l'aide de tarots, prédit uploads/Litterature/ 1-etudesromanesdebrno-22-1992-1-3-pdf.pdf
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- Publié le Mai 02, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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