11. De la ponctuation Un point, c’est tout. Trois points, ce n’est pas tout. (P

11. De la ponctuation Un point, c’est tout. Trois points, ce n’est pas tout. (Paul Claudel) De manière rituelle, dans les grilles d’évaluation des productions écrites ou encore à l’occasion des examens, apparait l’item obligé « orthographe et ponctuation ». Et généralement dans la notation on crédite ou pénalise l’élève de quelques points selon la maitrise qu’il affiche dans ce secteur de l’écrit. L’apparition du terme ponctuation accouplé à celui d’orthographe pourrait donc donner à penser qu’il s’agit d’une zone connexe mais autonome. On peut tout aussi bien considérer que les idéogrammes de ponctuation au même titre que l’accentuation appartiennent à l’orthographe qu’on pourrait diviser en deux domaines liés, le domaine alphabétique (phonogrammes, morphogrammes, logogrammes)1 et le domaine extralphabétique (ponctuation , majuscules, segmentation). Petite différence avec le domaine alphabétique qui s’appuie sur un ensemble fermé de vingt- six lettres : pour ce qui est du nombre de signes de ponctuation, le comptage peut varier d’un auteur à l’autre. Au-delà d’une dizaine de signes canoniques sur lesquels on se met automatiquement d’accord, il peut y avoir débat quant à l’intégration de certaines marques plus controversées (accolade, barre oblique, soulignement, etc.). On se réfèrera donc à la définition proposée par N. Catach, qui fait autorité : « ensemble de signes visuels d’organisation et de présentation accompagnant le texte écrit, intérieurs au texte et communs au manuscrit et à l’imprimerie »2. Ceci admis, la ponctuation appelle le même changement de perspective que l’ensemble de l’orthographe : il s’agit de la réhabiliter comme un système organisé et hiérarchisé de signes qui contribuent à la construction du sens et de la réinscrire dans le processus rédactionnel. Et en définitive, on peut ramener les débats autour de la ponctuation à quelques questions-clés qui reviennent de manière récurrente à travers les siècles. Ponctuation logique ou ponctuation rhétorique ? 1 Voir la note 3 du chapitre 6 : « Construire une compétence métalinguistique ». 2 Catach N., La Ponctuation , Langue Française, n° 45, 1980, p. 21. 1 On le sait : historiquement, le développement et la normalisation de la ponctuation, tout comme l’émergence de la notion d’orthographe, sont liés à l’essor de l’imprimerie. Et pendant longtemps, les écrivains ont laissé carte blanche à leurs éditeurs pour ponctuer leurs textes comme ils l’entendaient. A preuve cette remarque de Voltaire à son éditeur : « Vous vous moquez de moi de me consulter sur la ponctuation et l’orthographe, vous êtes le maitre absolu de ces petits peuples-là ». Autant dire qu’il serait bien aventureux de se hasarder à quelque remarque sur la ponctuation des textes d’auteurs antérieurs au XVIIIe siècle. Autant d’éditions, autant de ponctuations différentes. Qu’on en juge d’après ce passage pris au hasard de l’Andromaque (Acte 1 , scène 1) de Racine, dont on sait par ailleurs que, dans sa correspondance, il avait un usage tout janséniste de la ponctuation, se limitant au point et à la virgule. Dans une édition, on peut lire : « Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle, Ma fortune va prendre une face nouvelle ; Et déjà son courroux semble s'être adouci Depuis qu'elle a pris soin de nous rejoindre ici. Qui l'eût dit, qu'un rivage à mes voeux si funeste Présenterait d'abord Pylade aux yeux d'Oreste ? Qu'après plus de six mois que je t'avais perdu, A la cour de Pyrrhus tu me serais rendu ? » (Classiques Larousse, 1991) alors que dans l’autre, on a droit à une toute autre ponctuation : « Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle, Ma fortune va prendre une face nouvelle : Et déjà son courroux semble s'être adouci, Depuis qu'elle a pris soin de nous rejoindre ici. Qui l'eût dit ? qu'un rivage à mes voeux si funeste, Présenterait d'abord Pylade aux yeux d'Oreste ; Qu'après plus de six mois que je t'avais perdu, A la cour de Pyrrhus tu me serais rendu ? » (Editions sociales, 1961) Jusqu'à ce que les linguistes y regardent d’un peu plus près, voici une vingtaine d’années, la ponctuation était en fait essentiellement 2 considérée comme l’apanage des typographes qui en régentaient l’usage de manière excessivement draconienne. Pourtant dès le siècle dernier, les écrivains ont commencé à revendiquer leur propriété littéraire y compris sur la ponctuation de leurs textes. « Je tiens à mes alinéas » confiait E. Zola. D’une édition à l’autre de son Education sentimentale, Flaubert revient sur son découpage en paragraphes et on connait le combat exemplaire qu’a mené G. Sand pour faire respecter les droits de l’auteur en matière de ponctuation. Ceci pour dire que s’il existe bien un corps de doctrine qui fait consensus à propos de l’emploi de la ponctuation (on ne ponctue pas n’importe comment), il n’en existe pas moins une marge de manoeuvre très importante dans son usage, qui laisse un espace à l’initiative personnelle. C’est reconnaitre qu’il y a place pour un usage stylistique, des calculs stratégiques dans le maniement des points et des virgules. D’ailleurs, si le style, c’est l’écart, celui-ci ne saurait se concevoir sans la prise en compte d’une norme d’usage sur laquelle on s’accorde et à partir de laquelle on prend des libertés. Ni prescriptive ni facultative absolument, la ponctuation joue de la tension entre la norme et le libre arbitre. Et on laissera le mot de la fin sur la question à J. Drillon (1991)3: « Sur-ponctuer est un travers, sous-ponctuer est un défaut. » Ponctuation respiratoire ou ponctuation sémantique ? Quand on se livre à une enquête auprès des élèves sur leurs représentations de ponctuation, on obtient invariablement deux types de réponses : « la ponctuation sert à marquer une pause » (critère prosodique) et « la ponctuation sert à séparer les idées » (critère sémantique). On retrouve là le vieux débat entre ponctuation respiratoire et ponctuation démarcative. Au départ, il ne fait pas de doute que la ponctuation au moyen-âge était, au même titre que l’accentuation, un corps d’indications données au récitant pour dire à voix haute des textes écrits pendant longtemps en scriptio continua. Et, de nos jours encore, la pratique de la lecture oralisée lors des premiers apprentissages n’a pu que conforter chez les jeunes élèves cette image d’une ponctuation prosodique, qui signale des pauses ou des intonations (pour les signes mélodiques). Pour autant, au fil des siècles, l’écrit s’est autonomisé et la ponctuation pour l’oreille a fait place à une ponctuation pour l’oeil. D’abord, il existe des signes qui n’ont aucun équivalent à l’oral (les signes doubles comme les 3 Drillon J., Traité de ponctuation française, coll. Tel, Gallimard, 1991. 3 guillemets) ; ensuite on a pu démontrer, enregistrements à l’appui, qu’il n’y avait pas de corrélation automatique entre les pauses de débit à l’oral et la distribution des marques de ponctuation à l’écrit. On peut reprendre son souffle là où il n’y a pas de marque à l’écrit, ne pas ménager de pause à l’oral là où il y a une marque. Ponctuation scripturale ou ponctuation lecturale ? La ponctuation a ceci de paradoxal qu’elle est d’ordinaire transparente à la lecture (le lecteur n’en prend conscience que lorsqu’elle fait écran et heurte son attente, soit de manière délibérée par un effet stylistique, soit de manière involontaire par un défaut de maitrise dans les cas d’hyper ou d’hypoponctuation par trop déviantes par rapport à la norme). De même, le scripteur dépose les marques de ponctuation au fil de son texte le plus souvent sans en avoir conscience. Partant de là, peut-on dire qu’on ponctue plutôt à chaud (dans le procès même de textualisation) ou plutôt à froid (en différé, au cours de phases de révision) ? qu’on ponctue plutôt pour soi-scripteur (mode automatique de gestion des paquets de texte activés) ou pour autrui-lecteur (recherche calculée d’effet à produire sur le destinataire) ? Là encore, les habitudes d’enseignement tendent à fausser la vision et à accréditer l’idée d’une ponctuation après-coup. Un des exercices canoniques d’apprentissage de la ponctuation consiste en effet à reponctuer des textes déponctués. Or, les recherches récentes de psycholinguistique nous invitent à remettre en cause cette approche traditionnelle qui fait la part belle à la lecture et néglige la réalité des processus rédactionnels4. La ponctuation est fondamentalement le moyen pour le scripteur de résoudre la contradiction entre des représentations mentales activées, qui sont structurées en réseau, et une réalisation écrite nécessairement linéaire. Du coup, la ponctuation est cet outil qui va permettre dans la chaine écrite de séparer ce qui ne va pas ensemble et de regrouper ce qui va ensemble, au plan conceptuel. L’étude de l’acquisition de la ponctuation est à cet égard une première source d’enseignement5. Dans un premier temps, au début de l’école 4 Fayol M., Des idées au texte, coll. Le psychologue, P.U.F., 1997. Voir en particulier le chapitre VI : « Ponctuation et connecteurs ». 5 Lire notamment l’article de Fayol & alii, Structurations de textes : connecteurs et démarcateurs graphiques, Langue Française, n° 81, 1989. 4 élémentaire, l’enfant planifie pas à pas. Ses textes sont une succession d’annonces de nouvelles et à ce stade-là, pour structurer son uploads/Litterature/ 11-ponctuation 2 .pdf

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